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Ciné-Asie Critique - The Taste of Tea

Mercredi, 26 Juin 2013 à 16h00

Voici la chronique de Rogue Aerith consacrée au film The Taste of Tea de Katsuhito Ishii !





« The taste of tea » narre le quotidien des membres de la famille Haruno, vivant dans un village de montagne près de Tokyo. Nobuo, le père, est psychothérapeute spécialisé en hypnose. Yoshiko, la mère, décide de reprendre le dessin d'animation après avoir arrêté un long moment pour s'occuper des enfants. Ayano, l'oncle, nonchalant et lunaire, enregistre en studio un disque anniversaire pour un dessinateur de manga excentrique. Hajime, le fils, est un lycéen timide. Il se remet d'une rupture imaginaire jusqu'à ce qu'il retombe amoureux d'une camarade de classe, bien réelle cette fois-ci, arrivée de la ville. Sachiko, la cadette de huit ans, est hantée par un double géant qui la suit partout. Le grand-père, roi des excentriques, amuse toute la famille par ses pitreries et prend la pose pour sa bru pour lui permettre de dessiner de bons personnages, et la soutient dans son retour dans le milieu de l'animation.


Réalisé par Katsuhito Ishii, « The taste of tea » est sorti en 2004. Le titre du film est un hommage au Goût du saké réalisé par Yasujiro Ozu, l'un des cinéastes les plus renommés dans le Monde dans les années 60-70 et un des meilleurs cinéastes japonais avec Akira Kurosawa et Kenji Mizoguchi. La ressemblance entre les deux films est évidente : Ishii se rapproche de Ozu dans sa manière de traiter les rapports humains, dans la mise en scène lente mais parfaitement maîtrisée, dans le ton très nostalgique de son film, qui a été présenté à Cannes lors la Quinzaine des réalisateurs.

Loin du « Japon des fourmis », des salarymen travailleurs jusqu'à l'épuisement dans des métropoles gigantesques, « The taste of tea » dresse le portrait de personnages rêveurs menant une vie paisible à la campagne. L'absence de fil rouge, et donc d'histoire et de véritable scénario, fait souvent penser au génial film taïwanais « Yi-yi », palme d'Or à Cannes : quand on laisse un personnage en plein milieu d’une action, on le retrouve une dizaine de minutes plus tard et on observe les conséquences de l'action auparavant menée.


« The taste of tea » s'intéresse à chacun des petits bonheurs ou tracas de chaque personnage : cet éparpillement ne donne jamais lieu à une narration éclatée ou décousue, on n'est jamais perdus. Toutefois, l'aspect tranches-de-vie de « The taste of tea » laisse souvent place à de grandes envolées lyriques. Celles-ci constituent à la fois la force et la faiblesse du film. Effectivement, elles donnent lieu à une mise en scène très lente et contemplative : on sait que le cinéma japonais est adepte de ce genre de rythme, mais ici, il faut bien avouer qu'on s'ennuie parfois un peu, à cause de quelques longueurs. Le film dure plus de 2h20, et l'intérêt inégal des petites intrigues propres à chaque membre de la famille Haruno donne lieu à une première heure plutôt lassante. Heureusement, cet ennui est largement compensé par des personnages extrêmement attachants. De plus, le fait de passer d'un personnage à un autre permet d'insuffler une dynamique d'ensemble qui efface la faiblesse des longueurs ponctuelles. Les séquences puissantes et savoureuses ne manquent pas : l'amour naissant entre le fils et sa camarade de classe, le silence du père qui en dit long sur son inquiétude pour sa femme, les jeux de regard entre le grand-père et sa petite-fille, la passion retrouvée de la mère, la relation comique entre le mangaka et l'une de ses assistantes adultère, les jeunes adultes cosplayers dans le métro... et j'en passe ! La palme revient à une formidable séquence durant laquelle le film d'animation produit par la mère est projeté, mais ne comportant pas encore de son, ce sont les membres du studio eux-mêmes qui s'amusent à faire les bruitages (un peu comme si on vous proposait de faire le son des attaques d'un épisode de Saint Seiya) ! La symbolique est également très forte, comme la métaphore du double géant de la petite Sachiko, que l'on ne comprendra qu'en toute fin de film, ou encore le rôle structurant de l'exubérance du grand-père pour la cellule familiale, à la fois gage de fraîcheur et de quiétude pour le foyer.


Si le quotidien des Haruno est réglé selon les rituels banals de toute vie familiale (repas, bains, week-ends, soirées télé), chacun de ses membres revêt une double identité : celle attendue classiquement comme membre de la famille, et celle ramenée à son individualité, ses désirs. Vie extérieure et vie intérieure en quelque sorte. En cela, le réalisateur signe un hymne à la liberté, la création, chacun ayant des objectifs : mener une amourette, réussir à tourner autour d'une barre fixe pour éliminer son double, réaliser un clip de japanim', soigner efficacement ses patients...

Et que dire de l'humour décalé furieusement efficace, mêlant comique de répétition (génial jeu de cache-cache entre le grand-père et sa petite-fille), comique de gestuelle (le mangaka tabassé par son assistante adultère, à la façon d'un match de catch forcément exagéré), humour scatologique d'une des histoires abracadabrantesques racontée par l'oncle Ayano.

« The taste of tea » est particulièrement agréable dans la synthèse faite de la richesse de la culture japonaise qui, contrairement à la culture européenne, notamment française, a depuis longtemps consommé l'absence de séparation entre culture populaire et culture dite plus intello. Grâce à la diversité des personnages et des intrigues, tout y est, ce qui paraît assez incroyable : campagne à vélo (superbes rizières et montagnes), lycée et école élémentaire, manga, cosplay, yakuza, cuisine, petits commerces, intérieur d'une maison, jeu de go, japanese pop. Pour un Japonais, cela ne représente sans doute pas grand chose. A contrario, pour un passionné occidental de culture nippone, « The taste of tea » est un petit bijou. Ce film, c'est le Japon.


« The taste of tea » est servi par un casting 5 étoiles. Des acteurs connus (Tadanobu Asano) ou en passe de l'être à l'époque (Rinko Kikuchi, Anna Tsuchiya) ont, grâce à une mise en scène savamment calculée, une vraie présence à l'écran. Toute une série de cameos rend l'ensemble franchement sympathique, avec un chanteur des SMAP (Tsuyoshi Kusanagi) en assistant projectionniste, Susumu Terajima (l'acteur fétiche et l'ami de Kitano) en fantôme de yakuza légèrement « emmerdé » dans tous les sens du terme, ou encore le réalisateur Hideaki Anno (Evangelion).

Amusant, mélancolique, malheureusement un peu trop long mais toujours limpide, « The taste of tea » est le parfait représentant du refus du formatage cinématographique, tant par sa mise en scène que par son ambition narrative. Un film, c'est comme un thé, et au final, « The taste of tea » nous donne l'occasion d'apprécier une œuvre très douce, mais un peu trop longue à chauffer. Cette cuisson laborieuse est heureusement compensée par une diversité de saveurs pour le moins impressionnante.


Rogue Aerith

commentaires

Koiwai

De Koiwai [12807 Pts], le 26 Juin 2013 à 18h07

Une excellente chronique, pour l'un de mes films japonais préférés. Une véritable pépite d'inventivité qui m'a laissé un excellent souvenir au cinéma et que j'ai pris autant de plaisir à revoir et rerevoir en DVD :-)

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