Poison City Vol.1 - Actualité manga
Poison City Vol.1 - Manga

Poison City Vol.1 : Critiques

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 17 Mars 2015

Critique 1


Tetsuya Tsutsui et Ki-oon...voilà une collaboration plus que fructueuse ! Déjà auteur de plusieurs titres de qualités chez l'éditeur, passant par un partenariat privilégié, l'auteur nous revient avec un nouveau titre court en seulement deux tomes qui va quelque peu nous sortir de son cadre habituel, mais va s'avérer beaucoup plus personnel !


Dans un futur très proche, à savoir l'aube des jeux olympiques de Tokyo en 2020, nous suivons le parcours de Mikio Hibino, un jeune mangaka qui tente de faire publier sa nouvelle série, un titre horrifique surfant sur la mode des zombies. Le problème est qu'avec l'arrivée prochaine des fameux jeux olympiques au Japon, un comité de censure met tout en œuvre pour annihiler toute polémique pour lisser l'image du pays, en supprimant les œuvres controversés, y compris des œuvres d'art connus du monde entier… Et sa série « Dark Walker » déclenche une réaction démesurée… Anticipation ou science-fiction ?


Dans un premier temps l'auteur, qui n'en est pas à coup de génie prêt, va nous prendre totalement à contre-pied, pour mieux nous saisir : la couverture laisse présager une série dans la même veine que Manhole, avec ce gros plan sur ce visage caché derrière un masque à gaz. Le titre même, « Poison City » laisse supposer une épidémie quelconque. Et enfin les premières pages qui nous montre un individu en dévorer un autre et qui évoque justement cette fameuse épidémie qu'on s'attend à trouver...et puis retour à la réalité : tout ceci n'est que l'introduction de la nouvelle série de Mikio Hibino, le personnage principal du titre… L'histoire du récit de Tsutsui n'a rien à voir avec des zombies et un quelconque fléau ou épidémie...quoi que…


Ce titre est donc une œuvre personnelle pour son auteur puisque lui aussi a connu la censure au Japon, et pire, il ne l'a appris que des années plus tard. Étant actuellement en train de se battre contre cette décision arbitraire (qui nous est clairement expliqué à la fin du tome ; félicitations à Ki-oon pour ça), l'auteur nous fait part de son ressenti vis-à-vis de cette censure, premier pas vers un état fascisant ! Et ce malaise de la société qu'il va tenter de nous exposer, avec une certaine maladresse et une évidente colère.


Ainsi, et c'est là qu'on reconnaît tout le talent de l'auteur, même si ici il n'est pas question de meurtre, d'épidémie, de thriller ou autre, il ne se dégage pas moins une ambiance malsaine du titre, tout au long des pages on ne peut s’empêcher de ressentir un certain malaise, quelque chose de dérangeant...et si ce renforcement de la censure n'était autre qu'un reflet de la réalité qui nous échappe ? On connaît aussi Tsuttsui pour son regard critique envers la société, et il continue avec ce titre, c'est pour cela que l'auteur veut faire passer un message fort, quitte à en rajouter un peu, voir beaucoup, en forçant sans scrupule l'ambiance.


Le procédé narratif est malin et bien pensé : tout en suivant le chemin de croix de ce jeune auteur voulant faire publier son titre avec le moins de compromis possible, Tsutsui développe également l'histoire de « Dark Walker », l’œuvre fictive, traitant ainsi deux histoires en une, et en faisant constamment des parallèles entre les deux, comme notamment la prise de conscience des personnages principaux (réel et fictif) du changement dramatique que leur monde est en train de vivre et qu'ils n'ont pas vu venir.


A côté de ça, Tsutsui vient aussi nous raconter la pression que les auteurs et les éditeurs peuvent subir au Japon, mais également à travers le monde puisqu'il intègre un éditeur étranger venant sauver la mise à son personnage (on s'étonne que ce dernier ne soit pas Français, le parallèle étant évident). L'auteur porte ainsi un regard bienveillant sur les éditeurs qu'il présente comme étant des soutiens précieux et animés par une volonté artistique réelle. C'est presque surprenant et à la limite de la démagogie ; on le sait, le mieux étant l'ennemi du bien. Ici, ceux qui représentent un danger pour la liberté des auteurs sont les têtes pensantes, les décideurs, se plaçant au-dessus de la population et affirmant savoir mieux que les autres ce qui est bon pour la majorité, et peu importe si personne n'est d'accord avec eux !


Et contrairement à ce qui aurait pu paraître évident, Tsutsui n'est pas uniquement animé par un esprit revanchard (même si un peu quand même) il n'est pas uniquement un auteur ayant subi la censure et voulant la dénoncer bêtement, il s'est documenté et pose de vraies questions.


L'éditeur américain qu'il introduit dans son récit, évoque une « chasse aux sorcières » ayant eu lieu dans les années quarante aux Etats Unis, où les comics étaient brûlés en place publique par des enfants manipulés. Il évoque les deux géants Marvel et DC ayant dû subir cette censure puritaine et les conséquences qu'elle a encore aujourd'hui.


Mais Tsutsui ne fait pas que plaider à charge, il ne se contente pas de dénoncer la censure pour ce qu'elle est. Il introduit également un personnage, un auteur de mangas violents ayant pris conscience de la grande violence de ses titres et refusant de continuer dans cette voie. Ainsi la question est réellement posée et le débat est ouvert : jusqu'où peut aller une œuvre ? (cependant le fait que l'auteur en question soit présenté comme ayant été lobotomisé, subit un conditionnement, vient malheureusement atténuer grandement ses propos et ramène donc un peu plus le titre vers le manichéisme).


Le parti pris de l'auteur est donc évident, et il l'expose clairement, notamment via ce politicien présenté comme un être sournois et manipulateur, un peu comme si on assistait à la naissance d'un nouveau chef d'État totalitaire.


Tsutsui nous expose sa vision de la mort de la liberté conduisant directement vers un état fasciste...une réflexion vaste et complexe faisant écho à la triste actualité française, donnant ainsi encore plus de poids à son titre.


On peut lire Poison city comme un titre d'anticipation sans s'occuper du message portée par l'auteur, le titre n'en est pas moins passionnant et tout aussi maîtrisé, mais on passe alors à côté d'un autre niveau de lecteur qui rend ce titre encore plus enrichissant, d'un message fort et assumé de la part d'un auteur qui reste fidèle à ses principes.


Certains ne pourraient y voir qu'un brûlot revanchard, animé par l'amertume d'un auteur aigri, mais ne faut-il pas y voir une œuvre engagée et passionnée et donc un peu maladroite ?


L'auteur n'a rien perdu de son talent narratif et on reconnaît son trait au premier coup d’œil même s'il pourrait apparaître moins précis ; et on ne peut que remercier et féliciter l'éditeur Ki-oon pour nous faire partager le talent d'un tel auteur et pour sa manière de le soutenir et de s'engager à ses côté.


Un titre affirmé, se voulant porteur de message et donc forcément qui divise, mais un titre qui ne laisse pas indifférent !


 


 


Critique 2


Aujourd'hui plus que jamais, la liberté d'expression souffre d'une profonde remise en cause. L'ouverture sanglante de l'année 2015 nous a prouvé que ce droit universel pouvait être contesté avec violence, fracas, et toute la bêtise dont peuvent faire preuve les hommes. Et derrière les mouvements de solidarité, plusieurs voix contradictoires se sont élevées dans le débat public, se disputant la vérité suprême sur cette question.


Lorsqu'il entame sa nouvelle série, au printemps 2014, Tetsuya Tsutsui était à mille lieues d'imaginer que son nouveau récit résonnerait de manière aussi funeste avec l'actualité. Réalisé en collaboration avec l'éditeur français Ki-oon et l'éditeur japonais Shûeisha, qui le prépublie dans le Jump Kai dès avril, Poison City nous présente un autre combat de la liberté d'expression. Cette fois, il n'est pas question d'un terrorisme anarchique, mais de la pression insidieuse d'un gouvernement totalitaire.


Poison City nous raconte l'histoire de Mikio Hibino, un mangaka trentenaire sur le point de lancer un nouveau titre très prometteur : un thriller horrifique intitulé Dark Walker. Mais, resté trop longtemps enfermé dans son atelier, Mikio réalise un peu tardivement que le monde qui l'entoure a bien considérablement changé. La société japonaise cherche en effet se racheter une image propre... quitte à racler toutes ses aspérités. Ainsi, le voilà contraint de corriger les éléments les plus dérangeants de sa nouvelle histoire... mais cela ne lui empêchera pas de s'attirer l'ire des censeurs...


Après avoir essentiellement travaillé sur le registre du thriller social, Tetsuya Tsutsui nous revient avec ce nouveau titre très engagé, le sortant de ses thématiques habituelles. En réalité, il faut voir dans Poison City la projection des déboires personnels du mangaka. En effet, en 2013, l'auteur découvre que l'un de ses précédents titres, Manhole, a été classé comme « œuvre nocive pour les mineurs » par l'agence pour l'enfance et l'avenir du département de Nagasaki ; une condamnation établie de manière très arbitraire en 2009, et dont l'auteur ne sera averti que quatre ans plus tard. Si l'affaire a depuis été renvoyée devant les tribunaux, Tetsuya Tsutsui a décidé d'allier au combat juridique son propre plaidoyer, avec son arme de prédilection : le dessin.


Ainsi, pour délivrer sa tribune, le mangaka situe l'action dans un futur proche : le récit débute en effet à 200 jours des Jeux Olympiques de 2020, qui se tiendront à Tokyo. Le Japon, qui cherche alors briller aux yeux du Monde, cherche à éviter les scandales et a passé en douce une « loi pour la littérature saine », ainsi qu'une commission d'experts devant statuer de la nocivité du contenu de chaque œuvre. Par le prisme de l'anticipation, Tsutsui tire la sonnette d'alarme : si nous n'y prenons pas garde, c'est à cela que la société de demain ressemblera. Hélas, l'auteur s'y prend avec une certaine maladresse. Et si l'on pouvait lui pardonner quelques approximations dans ses récits précédents, le sujet est ici bien trop grave pour ne pas être traité à la légère.


La première maladresse provient déjà de l'exagération du contexte, à la fois trop proche de nous d'un point de vue temporel (quatre ans, voire moins) pour un extrémisme qui pourrait mettre des dizaines d'années pour se constituer. Dès le premier chapitre, le lecteur occidental sentira une gêne, en voyant la destruction d'une œuvre d'art « tendancieuse »... qui n'est autre que la réplique du Manneken pis ! Qui pourrait croire à ce que l'on touche à une œuvre aussi connue dans le monde (dont une copie existe bel et bien dans une gare tokyoïte) et qui a traversé les âges sans jamais ne susciter aucune controverse ? Ce premier exemple, symbolique est à l'image du reste du propos de ce premier volume.


Par le biais du personnage de Mikio, Tetsuya Tsutsui délivre son argumentaire, confronté à différents niveaux de pression gradués : celui du responsable éditorial empathique, celui du rédacteur en chef cherchant le compromis, celui des autres auteurs qui a été confronté au même problème, et bien évidemment, celui du comité de censure. L'initiative est louable, car elle confronte les différents argumentaires autour de l'épineuse question. Mais au fur et à mesure, la partialité de Tsutsui s'échappe. Shingo Matsumoto, auteur victime de la censure et aujourd'hui pleinement rallié à sa cause, en est le parfait exemple : nous y découvrons un mangaka lobotomisé, nous présentant un avenir bien funeste pour le genre manga. Et si cela n'était pas assez clair comme ça, sa femme vient enfoncer le clou en marginalisant un peu plus ce « pauvre Mikio ».


Mais la plus grossière erreur réside dans le personnage d'Osamu Furudera, ex-ministre de la culture présenté comme le leader de la commission de censure... et qui au final, semble seul à agir. Ainsi, plutôt que d'étendre la question à la société entière, Tsutsui finit par l'incarner en un seul être. Certes, le mangaka défend ce parti pris en faisant des parallèles avec l'histoire du psychologue Frederic Wertham et de son combat contre les dérives des comics américains, les ayant entraînés dans un âge sombre. Mais la fin du volume, qui sous-entend une idée de vengeance, nous conforte dans l'idée que Furudera n'est qu'un « ennemi » comme un autre dans la bibliographie de l'auteur.


Les maladresses se retrouvent aussi dans le scénario, qui semble oublier certaines alternatives en route, de manière volontaire ou non, comme le fait que Dark Walker aurait pu être publié dans une revue plus adulte. Mais le plus étrange, c'est qu'à la fin de ce premier volume, la situation semble s'être arrangée d'elle-même : la censure ne semble qu'avoir eu un impact limité sur la popularité du titre, comme si le comité s'était tiré une balle dans le pied tout seul. Bien sûr, nous ne pourrons juger du message final de Tetsuya Tsutsui qu'une fois après avoir parcouru le second et dernier volume de cette œuvre. Mais jusqu'ici, le manga se perd dans ses propres contradictions, faisant de Poison City une œuvre réalisée à chaud, sous le coup de l'émotion.


D'ailleurs, la précipitation de la réalisation de cette œuvre se ressent également au point de vue de sa narration et de son graphisme. Le découpage des planches reste sommaire, les décors réduits à leur plus simple expression. Le trait est hésitant, presque brut, et certains visages souffrent d'un grand déséquilibre. C'est comme si Tetsuya Tsutsui était reparti dans la fougue de ses premiers récits, mais sans l'expérience acquise en terme de rigueur et de professionnalisme. Du côté de l'édition, en revanche, Ki-oon délivre comme toujours un travail exemplaire, et l'on appréciera de retrouver tous les détails de « l'affaire Manhole » en fin d'ouvrage.


Présenté comme un titre-choc et engagé à l'approche du prochain Salon du Livre de Paris, où Tetsuya est une nouvelle fois invité, Poison City n'est malheureusement pas à la hauteur de son ambition. Là où nous espérions un titre posant à plat toutes les questions sur l'épineux sujet de la liberté d'expression, de ses limites et de ceux qui sont en droit de les poser, nous découvrons la parabole d'une aventure personnelle. Et si le mangaka s'efforce tant bien que mal d'équilibrer les points de vue, sa rancune ressort dans l'exagération qui transparaît à chaque page, décrédibilisant quelque peu la thèse qu'il cherche à défendre. Il en résulte un pamphlet qui semble avoir été effectué dans la précipitation, loin du calme et de la réflexion nécessaire pour défendre cette si juste cause.


 


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Tianjun

12 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Erkael
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs