Argent du déshonneur (l') - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 26 Novembre 2014

Hiroshi Hirata, l'un des grands gekikaga sur le thème du samouraï, est indissociable en France du nom d'Akata. Après nous l'avoir fait découvrir via de multiples oeuvres publiées au fil des ans chez Delcourt, les éditions Akata reviennent sur cet artiste pas comme les autres avec L'argent du déshonneur, épais ouvrage de près de 400 pages servi dans une édition de toute beauté, avec préface, très intéressante postface de l'auteur lui-même, biographie mettant bien en avant ses thèmes de prédilection, impression irréprochable sur papier de haute qualité, traduction claire avec un langage adapté, de bons choix de police et un très beau travail sur les onomatopées... Les conditions parfaites, donc, pour découvrir ce qui est sûrement l'un des titres de Hirata qui a le plus de choses à dire (et c'est dire !).


Comme quasiment toujours avec Hirata, on plonge au coeur de l'univers du Japon féodal et du bushido, univers que l'artiste a encore et toujours à coeur de décortiquer autant dans ses facettes dures et cruelles que dans son esprit, celui des bushi et de leur sens de l'honneur et du sacrifice fort. Mais ici, l'esprit du bushido, cette voie du guerrier si souvent droite dans ses convictions, se voit meurtrie, corrompue par ce qui est encore de nos jours l'un des pires fléaux de l'humanité, l'argent.


Nous sommes dans la première moitié du 17ème siècle, vers les années 1630, à une époque où se sont répandues les "contrats sur sa tête", qui voyaient les samouraïs battus au combat, sur le point d'être décapités, pouvoir avoir la vie sauve en signant de leur main ensanglantée une promesse économique au vainqueur (en gros : de l'argent contre la vie sauve). Hanshirô Kubidai est un "recouvreur de dettes", bushi qui, pour se sauver lui-même, est chargé de récupérer l'argent que doivent les hommes ayant signé de tels contrats. Chapeau enfoncé sur un visage que l'on ne voit jamais pleinement, mais que l'on devient désabusé, il observe, dans chacune des 7 nouvelles composant le livre, à quel point l'argent a pu détruire la vie et l'honneur des anciens guerriers.


Les différentes nouvelles sont de longueur variable, pouvant aller d'une trentaine à une centaine de pages, mais si elles partent toutes sur la même base (Kubidai vient récupérer la dette), elles s'avèrent très différentes les unes des autres. Les raisons ayant poussé les guerriers à sauver leur tête sont diverses, vont du simple désir de ne pas mourir à l'envie de sauver d'autres personnages, comme le vieillard du récit les 11 Salopards qui se voit extrêmement mal récompensé. A l'arrivée, même des années plus tard, ces demandes d'argent de cet argent devenu au coeur de tout, rattrapent de terrible manière ceux qui y sont lités, créant le conflit entre maîtres et disciples, obligeant l'épouse à se sacrifier pour son mari, décimant des familles décidant de retourner leur arme contre eux tant l'espoir n'est plus là. Certains sombrent dans les pires bassesses et vont totalement à l'encontre des préceptes qui les animaient avant, d'autres tentent finalement de racheter leur honneur... mais n'est-il pas déjà trop tard ?


Hiroshi Hirata offre des récits sans concession, dominés par une violence physique bien présente, mais, comme toujours avec lui, réaliste et servant avant tout la dureté de ses récits. Les ambiances s'avèrent néanmoins assez variées, l'horreur presque poisseuse des "11 Salopards" par exemple, précédent la superbe "Pleine Lune du Huitième Mois", qui commence d'une manière familiale assez paisible, presque tendre, avant de basculer dans l'effroi. Mais au bout du compte, le message reste toujours celui d'une dignité humaine bafouée ou détruite par le pouvoir de l'argent. Le tout fait brillamment écho à notre monde contemporain, où le pouvoir de ce fameux argent semble toujours plus poussé jusqu'à atteindre des sommets inquiétants.


Comme souvent, Hirata nous offre alors une oeuvre d'une puissance rare, qu'il vaut mieux lire à petites doses pour bien en profiter (d'autant que c'est tout de même dense), et qui s'impose comme un indispensable de l'auteur.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction