Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 31 Décembre 2024

Auteur taïwanais désormais vétéran dans son pays d'origine où il a eu l'occasion de gagner différents prix, Sheng Chang officie dans la bande dessinée (aux formats manhua ou manga, selon les oeuvres) depuis 20 ans pile, en ayant démarré en 2004 après avoir plaqué une carrière dans la publicité alors vieille de 15 années. En France, il est loin d'être inconnu puisque, après l'avoir découvert en 2006-2007 chez feu Xiao Pan avec les titres X Girl et Stanle, on a pu le retrouver aux éditions Kotoji en 2016-2017 avec la série en quatre volumes Oldman. Depuis, il était redevenu discret dans notre pays, avant de susciter coup sur coup l'intérêt de deux éditeurs. Ainsi, alors qu'on l'a à peine retrouvé il y a quelques jours aux éditions Paquet avec l'imposant one-shot Nine Lives Man, c'est avec Yan, une série née en 2020 et composée de trois gros volumes, que l'artiste a posé ses bagages, plus tôt dans l'année, aux éditions Glénat.

Pour mettre en valeur cette série, on peut dire que Glénat a mis les bouchées doubles. Tout d'abord, en faisant venir l'auteur à la Foire du Livre de Bruxelles, pour le lancement du tome 1 en avril dernier. Ensuite,en offrant à la série une qualité éditoriale réellement impeccable: le grand format, le papier souple et opaque et l'excellente qualité d'impression permettent de profiter au mieux du gros travail visuel de l'artiste, tandis que la jaquette jouit d'un joli vernis sélectif, que le lettrage assuré par Ti-Lala est très propre, et que la traduction de Stéphanie Chen est assez claire. Seulement, le très bel emballage va-t-il se justifier pour cette oeuvre ?

Ici, tout commence par une représentation théâtrale: celle de la célèbre Légende du Serpent Blanc, donné par une troupe familiale de l'Opéra de Pékin. Parmi les actrices, Yan Tienhua, 15 ans, a certes un certain talent mais semble un peu dépitée par son parcours a priori tout tracé dans un divertissement théâtral "de vieux". Pourtant, sa vie va prendre un virage tragique tel qu'elle ne l'aurait imaginé, le jour où toute sa famille est mystérieusement massacrée. Unique survivante du drame, Yan est rapidement arrêtée, en étant considérée comme la principale suspecte. Au sein de la police et dans les médias, on a vite fait de classer l'affaire, soi-disant parce que Yan aurait tout avoué juste avant son arrestation... mais est-ce vraiment ce qu'il s'est passé ?

Trente ans plus tard, la police est une nouvelle fois aux abois face aux actes criminels d'une mystérieuse personne qui s'en prend à des personnes ayant visiblement des choses à se reprocher. En guise de coupable, on découvre une jeune fille maquillée à la manière des actrices de l'Opéra de Pékin, qui semble avoir des capacités surhumaines, qui ressemble étrangement à la jeune Yan comme si elle n'avait pas vieilli, et qui dit être fantôme. Dès lors, son objectif est clair: venger sa famille en retrouvant le vrai coupable du massacre d'il y a trente ans, quitte pour ça à remuer pas mal de choses sombres dans lesquelles trempent des gens louches.

C'est presque une coutume chez Chang Sheng: une bonne partie de ses histoires reposent sur une affaire de vengeance, et c'est à nouveau le cas ici à travers l'assez fascinante figure de Yan, jeune fille vengeresse qui semble revenue d'entre les morts... Est-elle vraiment un fantôme ? Si non, pourquoi a-t-elle gardé son apparence d'il y a trente ans ? Et qu'a-t-il bien pu lui arriver pour qu'elle semble, bien souvent, presque surhumaine dans ses capacités ? L'auteur aura vite fait de répondre aux grandes lignes de ces interrogations, mais franchement ne vous attendez pas à grand chose, tant on sent que tout ceci n'est qu'un prétexte, au point de multiplier les raccourcis oui précisions scénaristiques (par exemple, pour tout ça est-il arrivé à elle en particulier ? ). Au vu du passif de Chang Sheng, où ses scénarios ont quasiment toujours tendance à vite se casser la figure, mieux vaut d'emblée ne pas en attendre beaucoup plus.

Là où il vaut mieux centrer son attention pour bien profiter de l'oeuvre, c'est alors sur deux autres choses, à commencer par un bon trip que l'auteur explique un peu dans sa postface présentant rapidement la genèse de la série. Tout est parti de son envie d'imaginer comment serait une super-héroïne qui, loin des superhéros habituels, ne porterait pas de masque et de combinaison, mais se camouflerait avec du maquillage et des tenues typiques de l'Opéra de Pékin. Et à partir du moment où on accepte cette idée improbable, on se laisse facilement happer par ce que cela permet: un bon gros mélange des genres, combinant des éléments qui parfois n'ont absolument aucun point commun à la base. Ainsi les éléments de culture traditionnelle (l'Opéra de Pékin, ses tenues et ses maquillages) finissent-ils vite par se mêler à des choses typiques des super-héros, avec même des surplus de science-fiction (des robots, entre autres), un petit côté enquête policière via le retour sur l'affaire du dénommé Lei Ming-chi le cliché de l'inspecteur à la retraite blasé qui n'a jamais oublié la vieille affaire bizarre d'il y a 30 ans), et de possibles élans apocalyptiques via les prédictions de la dénommée Higa Mirai (là non plus, ne nous posez pas trop de questions sur le pourquoi du comment).

Quant à l'autre point fort de l'oeuvre, elle provient de ce qui a toujours été le plus gros atout de l'auteur, qu'il continue de peaufiner oeuvre après oeuvre: son esthétique visuelle immédiatement identifiable, riche, très léchée sur le plan plastique des designs aux nombreuses influences (forcément, quand on mélange autant de trucs qui n'ont aucun rapport à la base), et où les séquences d'action jouissent généralement d'excellents instants de chorégraphie et de cadrages immersifs à souhait.

Le résultat, derrière ses limites, a alors de quoi franchement interpeler, en tout cas suffisamment pour qu'on poursuive l'aventure sur les deux tomes suivants. Côté scénario, Yan s'annonce déjà claqué au sol (mais sincèrement, on n'a attend pas forcément plus de l'auteur qui est coutumier du fait), mais le concept de départ, le mélange de genres qu'il permet et la superbe copie visuelle peuvent tout à fait suffire pour laisse sa chance à la série. Affaire à suivre, donc.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
14 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs