Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 17 Novembre 2025
2025 a été le retour en grande pompe dans nos librairies, et avec une certaine classe. Particulièrement reconnues durant les décennies 90 et 2000, les autrices ont, depuis, été invisibilisées. Certains de leurs ouvrages devenaient des denrées rares pour tout lecteur qui souhaitait se plonger dans leur œuvre, créant une certaine frustration. Le fait que les titres soient partagés entre plusieurs éditeurs, principalement Tonkam et Pika, n’ayant pas arrangé les choses, les deux maisons n’étant pas spécialement les plus friandes en termes de réimpression, au grand désarroi du manga et de son accessibilité.
C’est Pika qui a tenu à redonner aux Clamp leurs lettres de noblesse dans nos contrées. La démarche ne date pas d’hier et fut entamée en 2018, avec la réédition de Card Captor Sakura dans un bel écrin. Ont suivi Trèfle, Chobits et Magic Knight Rayearth dans de belles éditions similaires. La dynamique s’est développée cette année sous une autre forme : la collection Clamp Universe. Propre à notre langue française, celle-ci adapte la gamme Clamp Premium Collection qui réédite les œuvres du collectif d’autrice sous une direction artistique homogène, parfois avec quelques suppléments. Par exemple, la ressortie Nippone du mythique X fut enrichie par le tome 18.5 qui regroupe les chapitres prépubliés qui n’avaient encore jamais été collectés en tome relié.
L’idée est donc de regrouper autant d’œuvres des Clamp que possible au sein d’une même collection qui se marie avec les rééditions contemporaines que nous avons citées. Le programme fut lancé avec l’un des titres à la réédition la plus attendue : XXX Holic. Dans un deuxième temps, un autre incontournable est venu garnir la gamme : Tokyo Babylon.
Présenté par beaucoup de fans comme un prequel à X, le manga est pourtant un récit à part entière, initialement publié entre 1991 et 1993 dans la revue Wings des éditions Shinshokan. Le titre doit son statut de prequel à la réapparition de certains personnages clés dans X, et peut-être aussi au fait que les deux mangas ont été publiés en parallèle, l’histoire préapocalyptique des Clamp ayant garni les pages de la revue Asuka des éditions Kadokawa Shoten entre 1992 et 2002. Une vraie symphonie qui n’est pas sans rappeler les échos entre Tsubasa Chronicle et XXX Holic.
Dans nos contrées, Tokyo Babylon fut publié pour la toute première fois dès 1996 aux éditions Tonkam. En 2009, une nouvelle version en 5 tomes a vu le jour. Depuis, la série a subi la malédiction des arrêts de commercialisation, le déclin de notoriété des Clamp chez nous n’ayant sans doute pas aidé à son sort. Pika rend de nouveau accessible le manga chez nous, dans une version en 7 tomes qui reprend la version Clamp Premium Collection qui fut publiée en 2022 dans les librairies nippones.
Cette longue introduction était nécessaire pour recontextualiser la collection Clamp Universe de Pika et évoquer l’histoire éditoriale de Tokyo Babylon chez nous, d’autant plus que cette chronique est la première des nouvelles éditions si attendues de ces œuvres.
La lecture de ce premier opus peut sembler anodine puisqu’elle embrasse aujourd’hui un écueil bien connu, celui du manga d’exorcisme. En surface, cette première intrigue a un certain classicisme, que ce soit par la présence d’un groupe de protagonistes aux caractères opposés ou la chasse aux esprits qui s’opère, sans planter d’enjeu particulièrement important. En ne s’intéressant qu’à ce postulat de base, ces débuts de Tokyo Babylon peuvent effectivement paraître ordinaires. Mais l’intérêt de ce premier ouvrage est plus subtil que ça.
Les exorcismes dépeints présentent alors une véritable sensibilité. À travers ces péripéties à la forme classique, les Clamp semblent aborder Tokyo comme une entité à part entière, centre de drames humains où les destins sont impacté au gré des codes de la cité. Il y a donc quelque chose à tirer, un récit touchant à découvrir, derrière les cas d’exorcismes présentés dans ce premier opus. Et quand bien même cela ne suffirait pas à une part du lectorat, il reste le trait si stylisé des autrices et leur sens magistral de la narration, aussi beau que viscéral. Il y a de quoi rester ébahi sur certaines planches à la patte très marquée par son époque, mais qui n’en restent pas moins sublimes, à la croisée des arts de Moto Hagio et Gô Nagai. Et puisque Tokyo Babylon se situe davantage dans les œuvres de jeunesse du collectif de mangakas, il est intéressant d’aborder cette lecture en parallèle à des titres plus contemporains afin de mieux apprécier l’évolution du style Clamp.
Puis, vient le point de récit qui ne manquera pas d’intriguer, d’amuser, mais aussi de dérouter : la relation entre Subaru et Seishirô. À travers eux, on retrouve un type de relation de l’ordre du tabou, autrefois avec l’homosexualité, et aujourd’hui avec la différence d’âge. Les autrices se servent de ces éléments pour souvent faire de cette relation un comic relief, tout en pointant subtilement au fil des pages quelque chose de plus grand derrière cette « romance ». En ce sens, le dernier chapitre du tome, à l’esthétique changeante qui appuie l’évolution de la tonalité, nous aiguille vers une intrigue plus lourde de sens entre ces deux personnages. Qu’en sera-t-il ? C’est bien pour avoir une réponse à cette question qu’on ouvrira le deuxième tome avec curiosité !
Attisant notre curiosité et touchant notre corde sensible par ses histoires douces-amères qui se cachent derrière un genre aujourd’hui essoré, ce premier opus de Tokyo Babylon ne manque pas de charme. Le tout porté par la patte presque irréelle des Clamp, et on obtient un volume de démarrage particulièrement convaincant !
05/11/2025
07/01/2026