Stand by me Kakuemon Vol.1 - Actualité manga
Stand by me Kakuemon Vol.1 - Manga

Stand by me Kakuemon Vol.1 : Critiques

Stand by me Kakuemon

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 28 Février 2024

Voici déjà quatre années que Kakuo Manga, un jeune homme de 23 ans, participe à des concours dans l'espoir de devenir mangaka professionnel, en vain. Alors en attendant de peut-être enfin percer, il vivote en tant qu'assistant auprès d'un mangaka vétéran. Malgré les horaires de travail indécents le poussant régulièrement à dormir à peine quelques heures dans l'atelier de son "maître" et la paie vraiment pas à la hauteur des heures de boulot, il tient le coup, porté par cet espoir de gagner un prix un jour, mais aussi par la perspective de déclarer ses sentiments à Machiko, la mignonne assistante travaillant avec lui, quand il sera devenu un mangaka reconnu. Bref, les temps sont durs, mais le naïf garçon ne perd pas espoir... et c'est dans ce contexte que surgit dans sa vie un vieil homme dégarni, grassouillet, alcoolique et peu propre sur lui, qui se présente comme son "lui du futur". Ce vieillard connaissant tout de sa vie, tout porte à croire qu'il ne ment pas ! Et d'emblée, le vieux bonhomme affirme à notre héros qu'il est venu du futur pour le mettre en garde et pour le convaincre de laisser tombée l'idée de devenir mangaka car ça ne le rendra jamais heureux. C'est pile à ce moment-là que, suite à un petit prix enfin gagné à un concours, Kakuo voit sa carrière décoller de façon fulgurante. C'est pourtant là que son cauchemar va commencer face aux affres de l'industrie du manga...

Mangaka largement reconnu avec des séries comme Umizaru, L'Île des Téméraires et surtout l'incontournable Give my Regards to Black Jack grâce à laquelle il a remporté des prix, Shuho Sato est également un auteur engagé: voici désormais plusieurs années qu'il a mis ses propres mangas au second plan pour tâcher, avec son entreprise Densho Bato, de défendre des jeunes mangakas débutants en leur offrant gratuitement la possibilité d’entrer en contact avec un notaire afin d’obtenir des conseils sur la rédaction et les conditions d’un contrat d’édition, entre autres choses. En effet, le fait est que, pendant sa carrière et plus particulièrement pendant ses premières années de mangaka professionnel, Sato dut lui-même faire face à de nombreuses dérives du monde éditorial de manga japonais, et c'est précisément ce qui l'a poussé à concevoir le manga dont il est question ici et qui vient d'arriver en France aux éditions Meian: Stand by me Kakuemon, une oeuvre qui suit son cours au Japon depuis 2015 dans le magazine Torch des éditions Leed (mais dont les droits appartiennent entièrement à l'auteur via sa société Sato Manga Factory), dont le rythme est très lent puisque seuls 3 tomes sont parus là-bas à ce jour en avril 2017, janvier 2019 et mai 2022, mais qui ne devrait pas être une série très longue.

Rappelons qu'en terme de regard critique sur le milieu éditorial nippon du manga, Sato n'en est pas tout à fait à son coup d'essai: dès 2011, il avait lancé, en collaboration avec Tokihiko Ishiki, la série Bokuman qui a vu le jour en réaction à la publication de Bakuman. Les deux mangakas reprochaient alors à Bakuman (à juste titre) de romancer et d’embellir le milieu impitoyable du manga, et de donner une image faussement positive des conditions de travail des auteurs de manga au Japon. Mais malheureusement pour eux, Bokuman avait dû être avorté après seulement trois chapitres suite à certaines attaques et pressions. Stand by Me Kakuemon peut alors être vu comme la suite spirituelle logique et plus mûrie du projet quasiment mort-né Bokuman.

Pour son oeuvre, Sato a eu une idée pas forcément nouvelle mais très intéressante dans un tel contexte: il reprend la structure narrative du célèbre manga Doraemon, via un héros se retrouvant malgré lui contraint de cohabiter avec un être venu du futur qui a éventuellement les solutions aux problèmes que le jeune mangaka en devenir pourrait rencontrer. Le titre Stand by me Kakuemon n'est, d'ailleurs, pas anodin, puisqu'il fait référence au film Stand by me Doraemon sorti au Japon peu de temps avant, en août 2014.

Dans ce premier volume, l'auteur démarre vite et fort les choses, puisque dès la première page le vieux Kakuo est déjà là, et parce que les premières galères et désillusions arrivent assez vite pour notre héros, initialement trop naïf et pas encore prêt à accepter les conseils de son alter ego du futur, tant il est obsédé par l’idée d’accomplir son rêve coûte que coûte. A partir de l'obtention de son prix, de ses premiers rendez-vous avec son responsable éditorial, de ses premiers récits courts puis de sa première série longue, la success story démarre en trombe entre le million d'exemplaires vendus atteint avec seulement un tome et le lancement d'un projet de film. C'est pourtant derrière cet apparent succès que le véritable cauchemar commence, entre des thèmes imposés sans avoir le choix, l'obligation de rendre 20 pages par semaine selon un planning strict qui ne laisse quasiment aucun repos, les soucis financiers ne tardant pas à apparaître (notamment car notre héros se retrouver à devoir payer des heures supp' à des assistants alors que lui-même est déjà peu payé), le flou dans les dires et dans les contrats de l'éditeur qui semblent le vouer à être arnaqué dans les droits d'auteur, un "co-scénariste" s'appropriant tous les mérites parce qu'il a émis l'idée originale alors qu'il ne fait quasiment rien... Tout ceci sentant d'autant plus le vécu quand on compare Uozaru, la première série fictive de Kakuo, à Umizaru, la première vraie série de Shuho Sato, les deux oeuvres ayant des noms assez similaires bien sûr, mais possédant également toutes les deux un succès fulgurant, des adaptations en film, et un "superviseur" du nom de Kômori.

Se voulant percutant et sans concession, Sato adopte un style visuel en adéquation avec ça. Si chacun se fera son avis sur les différentes scènes érotiques assez brèves qui parcourent le tome et qui semblent parfois trop forcées pour accentuer le côté brut, il y a en revanche pas mal de petites idées graphiques intéressantes, à l'image des designs réalistes très marqués, ou du regard sans pupille du responsable éditorial qui le déshumanise. De manière générale, le mangaka propose un rendu crédible jusque dans les décors photoréalistes ainsi qu'un trait intense voire sombre et oppressant quand il le faut... ce qui ne l'empêche pourtant pas de balancer, par-ci par-là, quelques brèves notes d'humour: les tout petits changements physiques du vieux Kakuo quand un élément de son passé (donc du présent du jeune Kakuo) semble changer, le côté squatteur du vieil homme, le running gag sur les "exploits" de notre héros au lit...

Reste, alors, la question des personnages en eux-mêmes, sans doute un peu trop caricaturaux afin d'accentuer encore le ton sans concession et radical du propos. Tandis que les deux Kakuo ont pour l'instant un côté très loser/misérable (le jeune est souvent un pigeon, le vieux reste surtout un alcoolo bedonnant), tout leur entourage sans exception apparaît détestable, du "maître" faisant à peine semblant de s'intéresser à son assistant et couchant avec son assistante, jusqu'aux trois assistants je m'en foutistes de Kakuo, en passant par le responsable éditorial manipulateur, le rédacteur en chef ultra autoritaire et, en guise d'unique personnage féminin, une Machiko allant surtout là où est son intérêt en utilisant son corps et le sexe pour arriver à ses fins. Et pourtant, en même temps, il y a bel et bien en Kakuo un amour pour le manga. Et s'il veut lui-même tant en faire, c'est sans doute bien parce qu'il a toujours aimé ça, et rien de plus.

"Personne veut de toi, tu te fais exploiter par tout le monde, mais t'as pas le talent pour t'en sortir, alors pourquoi tu veux devenir mangaka ?"

Dans l'ensemble, et malgré certains partis pris qui diviseront, Stand by me Kakuemon frappe déjà assez fort, en dévoilant des coulisses de l'industrie du manga généralement tus, et en secouant facilement. Difficile, alors, de ne pas avoir envie de découvrir la suite de ce récit engagé.

Qui plus est, côté édition, Meian a fait fort: en plus d'un grand format adéquat pour ce genre de série et d'un joli vernis sélectif légèrement en relief sur la jaquette, on a droit à pas moins de 44 premières pages en couleurs, le tout pour un prix de 9,95€ qui reste vraiment raisonnable. Bien que le papier soit parfois légèrement translucide, il s'avère assez souple et épais et permet une très bonne qualité d'impression. Enfin, le lettrage de Genki Design est très correct, et la traduction signée Jean-Baptiste Bondis est toujours limpide et colle bien à la tonalité de l'oeuvre.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs