Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 02 Janvier 2024

Série initialement sortie aux éditions H2T pendant l'année 2021, SkilledFast a fait son retour dans les librairies française il y a quelques mois aux éditions Nouvelle Hydre, avec une nouvelle édition dont les trois volumes sont parus simultanément au mois de juin 2023 dans un très beau format agrandi. Rappelons que ce thriller de science-fiction est la toute première série de l'artiste française Hachin, un passionné de dessin depuis ses dix ans, qui a appris à dessiner en autodidacte, aime particulièrement la SF, a été très marqué artistiquement par le regretté dessinateur virtuose coréen Kim Jung-gi, et se dit également fan de mangakas comme Kentaro Miura, Akira Amano et Tite Kubo (en particulier pour leur dessin, concernant ces derniers).

SkilledFast prend place en 2097, dans la mégalopole fictive de Central-City dont les habitants se compte en millions. Alors qu'à notre époque réelle, l'intelligence artificielle trouve toujours plus sa place en suscitant nombre de questions, dans le futur imaginée par Hachin cette I.A. a déjà été interdite après plusieurs accident graves, pour finalement laisser la place aux SkilledFast, des implants développés par l'entreprise SK-Corp et boostant les capacités de leurs porteurs afin d'en faire des humains augmentés dans un registre spécifique: football, basketball, déduction, sexe, communication... et on en passe. Il est devenu très rare qu'un humain de la mégalopole ne possède pas son SkilledFast, et cela ne semble aucunement plaire à un homme mystérieux se faisant appeler Noskill...

Voici effectivement un moment que le B.I.N., la police centrale de la gigantesque ville, se montre incapable d'arrêter ce tueur en série dont elle préfère taire l'existence au grand public autant que possible. Ses scènes de crime sont toujours mises en scène de manière soignée, signifiante et glauque (avec notamment les cerveaux exposés hors de la boîte crânienne), sans le moindre indice sur place puisque les caméras sont hackées et que tout reste propre). La seule piste d'Eva Steins, commandante de la police, reste pour l'instant la présence du fameux Noskill sur les réseaux sociaux. Mais les investigations pour essayer de démasquer et arrêter le coupable pourraient prendre un important virage avec l'entrée en scène de Roman Kirkegaard: détective privé de son état, il a lui-même été tragiquement confronté au mystérieux meurtrier autrefois, et, pour des motivations bien plus personnelles, décide de mettre ses talents et ce qu'il sait au service d'Eva pour rattraper Noskill.

Commençons par aborder l'univers graphique proposé par Hachin, univers pour lequel l'artiste a imaginé quelque chose qui, par rapport à d'autres oeuvres futuriste, n'est justement pas si futuriste que ça: les immeubles, voitures et autres éléments de ce type ressemblent globalement très fortement à ceux de notre réalité, à ceci près que c'est la technologie implantée aux humains qui y a fait un sacré bonhomme de chemin. Sur ces basses, Hachin livre un rendu visuel très adapté: on pourrait éventuellement reprocher des décors urbains très numériques et des expressions faciales un brin rigides, et pourtant ces éléments amènent une atmosphère assez froide et un peu déshumanisée qui, précisément, colle très bien au récit et aussi idées qu'il va développer. Surtout, on saluera des designs de personnages un peu anguleux et tous bien différents où l'on reconnaît immédiatement chaque figure, l'omniprésence de ces décors intérieurs comme extérieurs pour accentuer l'immersion dans la mégalopole, un grand soin accordé aux angles de vue avec beaucoup de plans très signifiants, et la petite influence de Kim Jung-gi qui se ressent beaucoup sur certaines cases/planches où il y a un petit peu plus d'action à base de motos (c'est très bref, mais quand on est fan de Kim Jung-gi comme votre serviteur, ça se perçoit immanquablement).

Sur ces bases visuelles certes un peu imparfaites mais immersives et prometteuses (encore plus pour une première série), Hachin a l'excellente idée d'éviter les habituelles influences des mangas à la française (souvent composés de shônen d'aventure et consort) pour nous offrir un pur mélange de polar et de science-fiction. Tandis que l'univers SF se comprend très bien au fur et à mesure des informations distillées sur SK-Corps, sur les SkilledFast et sur la place très importante que ces implants ont prise, les débuts de l'enquête pour essayer de coincer Noskill semblent d'abord suivre un déroulement très classique du genre, où un duo principal, tout en devant composer avec des impératifs extérieurs (une direction qui refuse de dévoiler quoi que ce soit sur Noskill au grand public, une grand entreprise négociant avec la police dans ses propres intérêts et qui semble donc cacher bien des choses...), tâche de comprendre le mode opératoire du tueur pour choisir ses victimes pour essayer d'anticiper ses actes, tandis que le tueur lui-même semble se jouer un peu d'eux en mettant toujours à disposition, sur les cadavres, des clés USB révélant le sens de ses sordides expériences et son véritable but. Et alors qu'on semble être là dans une bonne vieille recette du genre façon Se7en de David Fincher, c'est précisément via la découverte, tôt dans le récit, des motivations de Noskill que ce début d'histoire montre son plus grand intérêt.

En effet, on le sent déjà très bien, Hachin interroge volontiers le rapport de l'humain à la machine, ici via le cas d'implants sur lesquels les humains comptent tellement que, quand ils en sont dépourvus, ils ne sont généralement plus capables d'agir et de réfléchir par eux-même, grand drame d'une espèce humaine beaucoup trop aidée par les technologies. Et si l'idée n'est pas nouvelle, le jeune auteur a la bonne idée de la pousser déjà assez loin grâce à deux autres éléments.
Premièrement, la mise en valeur de ce qui fait l'être humain et de ce qui justifie son existence: agir et réfléchir par soi-même, chose devenue en grande partie impossible ici à causes des SkilledFast. Alors, ce n'est sans doute pas pour rien que Hachin glisse ici et là des clins d'oeil à l'existentialisme, ne serait-ce qu'en glissant quelques livres de philosophes célèbres (Spinoza, Descartes...) ou en ayant donné à son personnage principal le nom de Kirkegaard/Kierkegaard, le même que le célèbre philosophe existentialiste danois.
Deuxièmement, confronter plusieurs personnages qui n'ont pas forcément la même vision des choses, les mêmes convictions, les mêmes idéaux, le même passif, alors qu'ils poursuivent parfois des objectifs similaires, les cas les plus parlants ici étant sûrement le rapport délicat entre nos héros et le journaliste Sam, et plus encore le cas de Noskill lui-même, qui ne tue personne lui-même et accuse les SkilledFast d'être eux-même à l'origine de l'agonie des victimes afin de prouver le tort que font ces implants à l'espèce humaine, ce qui est très loin d'en faire un simple et bête "méchant tueur". A partir de là, on voit peu à peu se dessiner une galerie de personnages nuancés (que l'on soit d'accord avec eux ou pas), où chacun agit selon ses principes, même quand lesdits principes s'opposent. Alors, au-delà des conflits de valeur et d'intérêt, sauront-ils communiquer et se comprendre ?

A l'arrivée, ce premier tiers de série s'avère être une très bonne petite surprise dans l'ensemble. Le récit étant tout de même très bavard et ayant donc un rythme assez posé, il faut accepter de se laisser absorber petit à petit par la lecture, mais une fois que l'on est bien dedans on découvre un début de thriller de science-fiction prenant, nuancé, bien pensé, et très loin d'être idiot dans ses sujets.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.75 20
Note de la rédaction