Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 11 Février 2022

Auréolé, ces dernières années, de plusieurs succès critiques et publics amplement mérités (les séries d'Akiko Higashimura, celles de Keigo Shinzo, Le rakugo à la vie à la mort...), Le Lézard Noir est toutefois encore capable de nous offrir, de temps à autre, des récits autrement plus atypiques et undergrounds. Et Shit Chofu, paru en ce début d'année 2022, fait partie de ces titres. Nous permettant de découvrir pour la première fois en France l'artiste quarantenaire Junichiro Saito (qui est arrivé tardivement dans le manga), cet ouvrage d'environ 250 pages est sorti au Japon le 29 août 2018 aux éditions Leed, après une prépublication ayant eu lieu entre juillet 2017 et juin 2018 sur le site Torch Web, un dérivé de l'excellent magazine Torch (le magazine de Tokyo Blues, Comet Girl et Panda Detective Agency, entre autres). Notons que l'auteur a ensuite offert, au Japon, deux spin-off à cette oeuvre, avec en 2018 Shit Chofu: Gangsta Journey, et en 2020 Shit Chofu: Mystery America.

Avec Shit Chofu, tout est dans le titre: nous voici plongés à Chofu, une ville qui, pour rester poli, ne semble pas forcément très accueillante: il s'y passe tant de choses invraisemblables et parfois hardcores, rarement bonnes pour la santé mentale de ses habitants, qu'elle semble tout droit sortie de l'enfer ou nous y diriger. L'auteur nous invite tout simplement à suivre, au fil des pages, un certain nombre d'habitants (humains ou pas) qui vont se croiser et, toujours, vivre de instants ou des mésaventures sortant largement de l'ordinaire, comme si tout ça était marqué par le sceau de la folie furieuse. Car tout est possible à Chofu: une femme qui a un flingue en guise de doigt, un gars possédant un pistolet d'airsoft à la place du sexe, des moustiques qui chient dans votre tasse de café, des taupes qui fument des clopes pépouze, des cafards qui ont des têtes de mort, des clebs qui crachent du feu, des gars qui bouffent des tacos au serpent... Ou encore le mangaka qui se met lui-même en scène comme un égocentrique se promenant en slip et butant son responsable éditorial. Tout ça est normal à Chofu. Ou presque. Ou, en tout cas, rien de tout ça n'émeut vraiment les habitants.

Avec ses délires hallucinés qu'on croirait écrits sous l'emprise de drogues, et son humour noir et cynique qui semblent souvent très bien convenir à une galerie de personnages en roue libre le plus naturellement du monde, Shit Chofu est une expérience de lecture que l'on adorera ou que l'on détestera, mais qui ne laissera personne indifférent, d'autant plus que visuellement l'auteur ne s'offre aucune concession via son dessin très artisanal, sans trames, semblant quasiment entièrement fait à la main, et porté par des designs humains ou non-humains bruts de décoffrage. Une oeuvre située quelque part entre Le Festin Nu de Burroughs et Las Vegas Parano de Gilliam, mais dans une ambiance tellement punk qu'elle ferait passer les séries d'Atsushi Kaneko pour du manga Harlequin.

Et pour accompagner tout ça, mention spéciale à la traduction d'Aurélien Estager, particulier bien dans le ton en se permettant, elle aussi, bien des choses. A part ça, on retrouve le grand format sans jaquette ni rabats typique du Lézard Noir, avec un papier et une impression de bonne qualité.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15 20
Note de la rédaction