Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 19 Mai 2023
Découverte en France il y a quelques années sur la partie visuelle de la trilogie de séries à suspense Bloody Monday, la mangaka Kouji Megumi a fait son grand retour en France au début de ce mois de mai, toujours chez Pika Edition, avec sa dernière série en date: Sengoku - Chronique d'une ère guerrière, où elle adapte un roman de Shôgo Imamura. De son nom original Kangi Banka, cette fresque sur fond historique fut initialement prépubliée au Japon dans le Shônen Magazine des éditions Kôdansha en 2020-2021, pour un total de 4 volumes.
Comme son nom français le laisse bien deviner, l'oeuvre nous plonge dans le Japon de l'époque Sengoku (1477 - 1573), période dite des provinces en guerre, qui fut marquée à la fois par de nombreux conflits et par des bouleversements sociaux. L'histoire s'ouvre sur de toutes premières pages assez énigmatique où Nobunaga Oda, depuis son fief, reçoit une lettre lui déclarant la guerre de la part de Hisahide Matsunaga. Il s'agit là d'un acte de trahison, et pourtant Oda sourit et vante en Matsunaga un homme de principes... Alors, quelle peut bien être leur histoire commune, et qui était exactement ce Matsunaga ?
Immédiatement après, un retour dans le passé nous immisce en 1521, quelque part aux alentours de Kyoto. C'est là que deux enfants orphelins, Kuhé et son petit frère Jinsuke, ont été faits prisonniers par des bandits qui comptent les vendre en tant qu'esclaves. Ils ne doivent leur salut qu'à l'irruption d'une étonnante bande d'enfants voleurs livrés à eux-mêmes depuis longtemps, menés par un certain Tamonmaru, et qui vient à bout des bandits sans trop de difficultés. Soigné par ce groupe en compagnie de son frère, Kuhé ne tarde pas à apprendre le rêve incroyable que leur leader a: construire leur propre pays, où la guerre, le vol et autres horreurs n'existeront plus...
Un peu à la manière de l'excellent manga Sidooh de Tsutomu Takahashi, le début de cette série nous plonge donc dans l'enfance particulièrement dure de deux frères dont la naïveté enfantine a d'ores et déjà volé en éclats face aux vicissitudes d'une époque très troublée et cruelle. Et la dureté de cette époque, Kouji Megumi tâche assez bien de nous la faire ressentir, avec son lot de gosses bafoués et livrés à eux-mêmes, d'adultes qui semblent tous pourris (y compris les religieux), de forts volant les faibles, de faibles cherchant encore plus faibles qu'eux, et de moments d'action assez brutaux avec ce qu'il faut d'effusions de sang et de corps meurtris. On le sent bien: ce Japon-là est en guerre depuis tellement longtemps que c'est avant tout la loi du plus fort qui domine, et que les morts d'adultes comme d'enfants peuvent pulluler sans cas de conscience. Toutefois, on va arrêter là la comparaison aux débuts de Sidooh car, Shônen Magazine oblige, la mangaka conserve un style et une ambiance bien plus typés shônen, voire presque un peu nekketsu lors de certaines phases de grands sacrifices, de valeurs et de rêves martelés à tout bout de champ (et à vrai dire, cette façon de Tamonmaru et des autres de crier à la moindre occasion leur rêve pourrait finir par gonfler un petit peu). Cela s'accompagne aussi d'expressions faciales souvent exagérées (entre autres, les méchants bandits apparaissent vraiment très très méchants, oulala) qui plairont ou non selon les goûts. En revanche, on ne trouvera pas grand chose à redire au dynamisme des quelques moments de combat ainsi qu'aux décors d'époque suffisamment qualitatifs et présents pour nous immerger dans cette période troublée de l'Histoire nippone.
C'est dans ce contexte que l'on suit un début d'intrigue où, quand on est habitués à ce type de lecture, absolument tous les principaux bouleversements sont prévisibles, à commencer par celui de la toute dernière page. Mais ce n'est pas pour autant que l'histoire n'est pas plaisante à suivre, non seulement parce que Kouji Megumi impose un rythme à la fois soutenu, clair et équilibré, mais aussi et surtout parce qu'il y a de quoi être curieux de voir ce qui sera fait de la réinterprétation d'un personnage historique ayant bel et bien existé, à savoir Hisahide Matsunaga, puisque le romancier d'origine semble ici imaginer un parcours romancé de cet homme pour mieux dépeindre l'époque. On suit alors avec un certain intérêt ces gosses orphelins qui prétendent construire un pays, leur désir de se faire un nom avec force et détermination, leurs valeurs (ils sont prêts à tout pour survivre, mais viennent toujours en aide aux plus faibles), et l'intégration parmi eux d'un Kuhé d'abord méfiant et de son frère.
Plutôt bien mené et assez efficace (malgré le gros manque de surprises pour un lectorat averti), ce premier tome de Sengoku se lit facilement, et pourrait plus particulièrement plaire à des lecteurs cherchant un petit shônen sur fond historique et un peu plus mûr que la moyenne du genre. Cette chronique ayant été faite à partir d'une épreuve numérique, pas d'avis sur l'édition.