Search & Destroy Vol.1 - Actualité manga
Search & Destroy Vol.1 - Manga

Search & Destroy Vol.1 : Critiques

Search & Destroy

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 05 Février 2021

En ce début d'année 2021, les éditions Delcourt/Tonkam ont décidé de mettre l'accent sur le plus emblématique des mangakas, Osamu Tezuka. Cela a commencé en janvier avec la sortie du premier volume (sur 3 prévus) de Tezucomi, une version française du magazine japonais éponyme qui, à partir d'octobre 2018 et pendant 18 numéros, a tâché de célébrer au Japon le 90e anniversaire de la naissance de Tezuka (né en 1928) en publiant des histoires d'auteurs de tous horizons (on y a aussi trouvé des français comme Reno Lemaire ou Elsa Brants) inspirées des oeuvres cultes du Maître. Hélas, malgré son idée de départ très sympathique, cette version française de Tezucomi est plus une imposture qu'autre chose, entre le prix prohibitif par rapport à la qualité d'édition, et le fait que le tiers du bouquin ne soit consacré qu'à des extraits de deux séries ensuite vouées à paraître en volumes à part entière chez l'éditeur en ce mois de février, à savoir Ayako l'enfant de la nuit (parfaitement dispensable), et un Search and Destroy bien plus prometteur et dont il est question ici.

Car après sa découverte via l'extrait dans Tezucomi le mois dernier, Search and Destroy a donc vu son premier tome (sur 3) sortir cette semaine. Son auteur, Atsushi Kaneko, n'est plus à présenter auprès des initiés: avec des titres comme Bambi, Soil, Wet Moon et Deathco (tous sortis en France), il s'est imposé comme un artiste phare de la scène manga underground, puisant ses inspirations dans tout un pan culturel allant des récits pulp à la musique punk en passant par de nombreux genres cinématographiques, le tout en imposant une patte visuelle immédiatement reconnaissable avec son trait épais, ses onomatopées totalement immersives et suintantes, et ses contrastes de noir évoquant entre autres Charles Burns. Alors quand un tel artiste décide de se réapproprier Dororo, l'un des mangas cultes de Tezuka, totalement à sa sauce, on se dit que ça va forcément faire des étincelles.

Notons que, pour bien faire les choses, Delcourt/Tonkam a également entrepris cette semaine de rééditer Dororo dans l'une de ses éditions prestige, le timing avec Search and Destroy étant donc parfait, pour le coup. Et soulignons aussi, pour l'anecdote, qu'avant la naissance de Tezucomi on avait déjà pu découvrir en France, aux éditions Doki-Doki il y a quelques années, un autre manga dérivé de Dororo: le très divertissant Dämons, dans lequel le mangaka Hideyuki Yonehara reprenait uniquement à sa façon le postulat de départ de Dororo pour ensuite partir sur un récit de vengeance explosif.

Et dès le pitch de départ, on a envie de dire que Kaneko va nous offrir le même genre de choix que Yonehara, en reprenant juste la base de Dororo pour mieux partir dans son propre univers ensuite. En effet, exit le Japon aux allures plus féodales et à base de samouraïs qui faisait le sel du Dororo d'origine: Kaneko nous transporte dans la ville de Hachisuka, dans un futur aux accents dystopiques, dont les décors urbains à base de buildings froids, de très larges et droites voies routières, de statues géantes et d'édifices un peu mégalomanes transpirent d'une atmosphère un brin dictatoriale.

C'est là qu'on découvre une société qui s'est beaucoup métamorphosée après une guerre civile de grande ampleur : celle-ci voit désormais cohabiter les humains et les "creechs", des robots autrefois utilisés pendant la guerre et qui font désormais partie intégrante de la société, quand bien même les droits de ces derniers sont encore en travail et que pas mal d'humains les détestent. Jeune chapardeur détestant lui-même les creechs et essayant de survivre dans ce tumulte, Doro est en train d'essayer de tirer parti d'un sombre creech chef yakuza du quartier des plaisirs, quand surgit soudainement une impensable silhouette, qui a vite fait de charcuter le yakuza Kick pour ensuite lui arracher la langue et la récupérer. Avec son allure atypique, ses jambes prothétiques et son odeur apparemment nauséabonde, cette demoiselle semble tout avoir d'une creech... et pourtant, Hyaku est humaine. Simplement, on lui a extirpé nombre de parties du corps dès sa jeunesse, et c'est pour récupérer chacune d'entre elles qu'elle a entrepris une implacable vengeance. De quoi intriguer le jeune Doro qui décide de la suivre voire de tenter de l'épauler, quand bien même il se fait plutôt rembarrer par la furie bourrée de colère.

Le nom du personnage de Doro, celui de Hyaku qui rappelle volontiers Hyakkimaru dans l'oeuvre d'origine, et une quête vengeresse pour récupérer les 48 parties du corps dérobées au personnage principal: Kaneko remplit le contrat en ce qui concerne la réappropriation des bases de Dororo, et il peut ensuite partir très vite dans un récit addictif où on retrouve pleinement sa patte. Graphiquement bien sur, pour les éléments déjà cités auparavant, mais aussi pour une mise en scène savamment étudiée, notamment quand il s'agit de mettre en exergue les parties du corps volées à Hyaku et qu'elle cherche à récupérer. Ainsi, la langue est à l'honneur dans le cas du yakuza, avec gros plans sur la bouche d'un ennemi passant son temps à bouffer de façon peu ragoûtante et une héroïne qui ne peut pas encore parler. Puis le cas du marchand d'armes met très efficacement en évidence les yeux, avec gros plans sur les globes oculaires de l'ennemi, et la représentation un peu floue de la vue de Hyaku avant qu'elle ne récupère son bien. Et puis, tout simplement, Hyaku s'inscrit dans la droite lignée des héroïnes badass et sans pitié de Kaneko telles que Bambi et Deathco, avec sa coiffure punk à souhait, son absence d'hésitations quand il faut trancher, et son parler bien à elle ("ça, c'est à moi !"). Mais bien sûr, la miss n'est pas là que pour découper ses cibles et séduire ses lecteurs: la deuxième moitié du tome permettra déjà de découvrir les grandes lignes de son passé expliquant sa situation et l'humanisant un peu plus face aux abjections de ce monde.

Comme on pouvait s'y attendre au vu des qualités habituelles de Kaneko, Search and Destroy commence donc fort, tant l'artiste parvient à se réapproprier juste ce qu'il faut du Dororo d'origine pour ensuite partir de façon bien personnelle dans l'un des trips jouissifs dont il a le secret. D'abord linéaire puis se révélant peu à peu, ce premier volume démarré alors sur les chapeaux de roue en laissant espérer une suite tout aussi efficace. Tout comme le Dororo d'origine qui ne compte que 4 volumes, la série de Kaneko est courte et ne se contentera donc pas d'un schéma répétitif de chasse aux parties du corps. On attendra donc la suite avec d'autant plus de curiosité.

Côté édition, Delcourt/Tonkam a fait du bon boulot, en premier lieu pour le choix d'une jaquette très proche de l'originale japonaise, jusque dans la très chouette perspective du logo-titre. A l'intérieur, le papier et l'impression sont de bonne qualité, et un soin suffisant a été accordé aux polices des onomatopées, si typiques de Kaneko et participant tellement à l'ambiance de ses oeuvres. Enfin, la traduction, confiée à l'expérimenté et récompensé Sébastien Ludmann, est impeccable.
   

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.25 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs