Scarlet Secret - Actualité manga

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 18 Septembre 2023

Découverte en France aux éditions Hana en tout début d'année avec le très beau La fée des neiges, la mangaka Tomo Serizawa a fait son retour dans notre langue en juillet dernier, cette fois-ci aux éditions Taifu Comics, avec Scarlet Secret, une oeuvre également nommée Hime Muko (littéralement "Gendre Secret"), dont les 6 chapitres furent initialement prépubliés entre août 2020 et avril 2021 dans le magazine from RED de l'éditeur ShuCream avant d'être compilés là-bas en un unique volume broché paru en septembre 2021 et garni de pages bonus, pour un total d'un petit peu plus de 200 pages en comptant lesdits bonus.

Cette histoire nous immisce en des temps lointains, au coeur du Royaume de Yamatai régi par la reine prêtresse Himiko, souveraine grandement respectée à la fois pour sa longévité et pour ses prédictions, faisant d'elle une élue des dieux avec qui elle serait en contact. C'est tout au sud de ce pays, dans un petit village, que vivent nos deux héros encore enfants, Shiki et Yamato. Orphelin doté d'yeux rouges si bien que les autres gosses du coin le briment en le qualifiant de démon, Shiki aurait peut-être été condamné à la solitude s'il n'était pas soutenu et protégé en permanence par son meilleur et seul ami Yamato, le fils du chef du village qui l'adore. C'est bien simple: depuis leur naissance ces deux-là sont inséparables, et Yamato aime tellement Shiki qu'il affirme vouloir rester avec lui jusqu'à sa mort et que les deux enfants se font une jolie promesse face à un arc-en-ciel. Une promesse qui, malheureusement, risque de voler en éclats avec la visite de la reine Himiko dans leur village, le petit bourg ayant été choisi pour le prochain sacrifice ancestral. Sur décision de la souveraine qui est interpellée par ses yeux rouges, Shiki est choisi comme sacrifice, et Yamato ne peut que regarder avec impuissance les intenses flammes censées emporter son précieux ami...

Depuis ce drame, dix années sont passées, et Yamato n'a jamais oublié Shiki qu'il pense toujours vivant. C'est cet espoir qui anime encore sa vie, une vie où il a choisi de s'éloigner des fonctions qui l'attendaient en tant que fils du chef du village pour plutôt vagabonder, en nouant notamment des liens avec une tribu de pêcheurs. Et bientôt, le hasard le place face à un beau jeune homme aux yeux rouges, en qui il reconnaît immédiatement Shiki. Seulement, son ami d'enfance semble avoir bien changé, en voulant le tenir éloigné de lui et en menaçant de le tuer s'il le revoit. Pourquoi un tel changement ? La réponse ne tarde pas à arriver: Shiki a changé de nom après le soi-disant sacrifice, et a été élu par Himiko pour devenir la nouvelle "reine" du pays en héritant de ses dons. En plus de révéler les secrets les mieux gardés du Yamatai et de la figure de la reine prêtresse, cela fait naître en Yamato un désir plus ardent que jamais de continuer, envers et contre tout, à protéger celui qui était connu sous le nom de Shiki dans son enfance. Quitte, pour ça, à devenir le commandant en chef de l'armée du royaume, à frôler la mort en tant que tel, et à faire face à ce qu'implique le statut d'"élue des dieux" de la souveraine...

Au vu de certains noms, une part du lectorat aura sans aucun doute compris que, dans ce manga, Tomo Serizawa reprend une partie du mythe des origines du Japon autour de Yamatai et de Himiko, reine prêtresse qui aurait été dotée de pouvoirs surnaturels par les dieux selon la mythologie nippone. Pour ce faire, la mangaka a pris soin de se documenter, la documentation étant détaillé en fin de tome, afin de tout de même rester fidèle aux grandes idées du mythe de Himiko et du Yamatai. mais bien sûr, ce mythe, globalement elle le réinterprète à sa sauce pour le bien d'une histoire avant tout centrée sur ses deux personnages principaux.

Dans le contexte du palais où la reine prêtresse doit exercer sa loi et surtout ses pouvoirs en vue de la consolidation de la future nation japonaise, on découvre surtout le lien à part de nos deux héros. Serizawa expose en Shiki/Himiko un jeune homme tâchant au mieux d'assumer un rôle qu'il n'a pas choisi, avec tout ce que ça implique: en tant qu'élu des dieux il ne ressent plus des choses humaines comme la faim et le sommeil, il possède des dons de prédiction et des pouvoirs de guérisons aptes à soigner les blessures et à lutter contre les épidémies menaçant le royaume... mais ce rôle le condamne également à des responsabilités qui le dépassent, ainsi qu'à une solitude due en partie au fait que la figure de Himiko, en tant que prêtresse, doit rester vierge. Tout en apprenant petit à petit la condition de celui qu'il adore depuis sa plus tendre enfance, Yamato se montre alors décidé à épauler Shiki dans son rôle pour le pays, jusqu'au jour où il pourra s'en extraire. Même si cela doit, à l'arrivée, impliquer d'aller à l'encontre des dieux.

Même si l'on sent que l'univers global aurait pu aller encore plus loin, Tomo Serizawa évite de s'égarer et sait rester concentrée sur l'essentiel afin de nous livrer une très belle histoire qui, mine de rien, se déroule sur plusieurs années, des années au fil desquelles le lien fort entre les deux personnages principaux n'a jamais cessé de perdurer voire de s'intensifier malgré les épreuves qui ont pu les éloigner. On suit cette intrigue avec une certaine passion qui est décuplée par les indéniables qualités visuelles de l'autrice: un grand soin est accordé aux décors, bâtiments et tenues vestimentaires d'inspiration lointaine, les designs riches et précis (jusqu'au pommes d'Adam, ce qui n'est pas toujours le cas) des personnages sont encore renforcés par une utilisation minutieuse des trames/ombrages, une émotion folle est régulièrement véhiculée à travers les regards/yeux auxquels l'autrice accorde énormément de soin... C'est vraiment très beau, tout simplement. Et en prime, l'érotisme, sensuel sans être trop explicite ni trop envahissant (deux petites scènes, en gros), est bien amené et est joliment justifié pour cristalliser le lien et l'amour de nos deux héros, dans la mesure où Shiki, en tant que Himiko, est initialement censé rester vierge sur ordre des dieux.

On tient donc là une très belle histoire qui, en plus d'offrir un contexte assez original en réinterprétant le mythe du Yamatai et de Himiko, se tient très bien en 200 pages et est superbement servie par une patte visuelle très soignée et immersive. Après La fée des neiges qui nous avait déjà beaucoup plu, Tomo Serizawa confirme son statut de mangaka BL à suivre de près !

Côté édition, enfin, Taifu livre une belle copie: la jaquette reste proche de l'originale nippone, le papier souple et assez opaque permet une honnête qualité d'impression, le lettrage est propre, et la traduction effectuée par Isabelle Eloy est tout à fait convaincante.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction