Racaille de bibliothèque Vol.1 : Critiques

Zeikin de Katta Hon

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 29 Novembre 2024

Chronique 2 :

Avec la jolie percée dans nos contrées du genre furyo depuis un certain Tokyo Revengers (phénomène suivi de Wind Breaker, Nine Peaks, OUT et par le retour inespéré de Rokudenashi Blues), la figure de la jeune racaille adolescente japonaise se fraye une bonne place dans nos librairies. Depuis la rentrée 2024, nobi nobi! nous propose un autre type de récit avec un tel personnage : "Racaille de bibliothèque".

Pas apparenté au genre du furyo, bien qu'il en a hérité de quelques marques, le manga est scénarisé par Zuino et dessiné par Kei Keiyama dont il s'agit de la toute première série. Elle est en cours depuis 2021 dans le Young Magazine de l'éditeur Kôdansha, sous le titre original "Zeikin de Hatta Hon", et a atteint les 13 volumes publiés au Japon ce mois-ci. L'œuvre est donc promise à une bonne durée, et par conséquent à une histoire soutenue ce qui, couplé à l'idée de base, a de quoi titiller notre intérêt.

Ishidaira n'est pas un adolescent qui inspire confiance. Renfrogné, bourru et peu coutumier des bonnes manières, il cherche cependant à s'inscrire à la bibliothèque où travaille Mlle Hayasemaru, une jeune femme toujours impliquée dans sa mission, mais qui ne permet aucune transgression de règle. Ainsi, puisque Ishidaira n'a pas rendu un ouvrage il y a plus de 10 ans, impossible pour lui d'emprunter le moindre livre. Épaulée par son collègue de travail, le très curieusement impliqué Shirai qui utilise sa force musculaire pour le bon fonctionnement des lieux, elle va guider Ishidaira vers la "rédemption" de la bibliothèque et découvrir ce qui l'a ramené à la lecture, ce qu'elle représente pour lui. De son côté, malgré son tempérament, le garçon va s'impliquer de plus en plus dans la vie de l'établissement, jusqu'à découvrir ce qui anime une bibliothèque et quels aléas les employés peuvent vivre avec certains inscrits.

Sur une formule qui prête a priori à de la comédie, les auteurs Zuino et Kei Keiyama nous livrent un premier volume bien plus touchant qu'on ne pouvait l'imaginer. Par le parcours du fougueux Ishidaira, le récit prend la formule d'une succession d'histoires ayant pour cœur la librairie, véritable personnage à part entière de l'intrigue, lieu où les péripéties humaines se multiplient. Qu'il s'agisse du parcours même du garçon ou des vécus qui nous sont narrés via les différentes situations, "Racaille de bibliothèque" s'impose rapidement comme un récit qui a du cœur et qui, derrière des chapitres qui se veulent instructifs sur le fonctionnement de telles structures au Japon, cherche à narrer des histoires de personnages via leurs existences intimes, et développent le rapport entre les aléas de ces figures et la lecture. Ainsi, le récit même d'Ishidaira est immédiatement touchant tandis que la formule permet de balayer tout manichéisme, alors que le récit repose lui-même sur des archétypes.

Régulièrement, ce premier tome se montre volontiers, émouvant. Mais aussi didactique. Car les auteurs ont à coeur de renseigner sur le fonctionnement de la bibliothèque, ce qui passe par des situations assez diverses qui permettent de nous imprégner des règles de ces structures, de leur fonctionnement au sein de la société nippone, et quel regard les membres de l'établissement adresse à ces lieux, des visions parfois rigides qui tendent à être brisées ou adoucies grâces aux interventions des trois personnages vedettes. Tout en nous offrant une sorte d'apprentissage du métier de bibliothécaire au Japon, ce début de série est une vraie petite tranche de vie sociale, tantôt humoristique tantôt dramatique, offrant ainsi une bonne surprise tant le concept de base ne constitue qu'une composante de la formule. Un tout réussi grâce aux talents de Kei Keiyama, le dessinateur, qui adapte parfaitement sa narration et ses compositions aux tons du récit. Dans la comédie comme dans le drame, sa manière de conter l'histoire est parfaitement cohérente et renforce les émotions que veut nous transmettre ce premier ouvrage.

Sur ces débuts, "Racaille de bibliothèque" se révèle être une jolie surprise, un manga aux multiples facettes bien dosées de manière à plaire à un large lectorat, qu'il s'agisse des curieux qui souhaitent découvrir le fonctionnement des bibliothèques au Japon, les amateurs de furyo qui veulent apprécier un jeune voyou dans un milieu d'apparence stricte et cadrée, les friands de comédies, mais aussi les adeptes d'histoires dramatiques, ce dont ce premier opus ne manque pas.

Pour appuyer le tout, nobi nobi! offre une édition de bonne facture grâce à un papier de bonne épaisseur, une adaptation graphique du studio Mankai solide, et grâce à la traduction pleine de vie de Vincent Marcantognini.


Chronique 1 :

En ce mois de septembre, la collection Genki des éditions nobi nobi! accueille une nouvelle oeuvre prometteuse, qui devrait nous immiscer dans le passionnant petit monde des bibliothèques et des livres. De son nom original Zeikin de Katta Hon (littéralement "Les livres achetés avec l'argent des impôts" ), Racaille de bibliothèque (un nom français bien trouvé pour faire à la fois référence aux "rats de bibliothèque" et au côté racaille du personnage principal) est une série toujours en cours à l'heure où ces lignes sont écrites, qui a d'abord été lancée au Japon en août 2021 dans le magazine en ligne Yanmaga, avant de gagner en popularité et d'être reprise dans le magazine papier Young Magazine des éditions Kôdansha. Il s'agit de la toute première série dessinée par Kei Keiyama et scénarisée par Zuino qui a autrefois travaillé en bibliothèque, en connaissant donc bien son sujet.

L'histoire prend place dans une bibliothèque publique où madame Hayasemaru, bibliothécaire de son état, est sur le point de vivre une journée assez compliquée,la faute à l'arrivée d'un lycéen aux allures de délinquant qui veut s'inscrire à la bibliothèque mais qui ne le peut pas, car d'après les archives il n'a jamais rendu un livre sur les animaux qu'il a emprunté dix ans auparavant,si bien qu'il devra le racheter avant de pouvoir s'inscrire ! Face à ce garçon qui s'irrite très vite, la jeune femme ne doit son salut qu'à l'intervention de Shirai, collègue qui,par passion pour les livres, s'est constitué un physique ultra musclé pour encore mieux les protéger (si si). pourtant, les deux employés de la bibliothèque le sentent bien: cet adolescent aux allures de racaille, de son nom Kiichi Ishidaira, n'a pas l'air d'être un mauvais bougre dans le fond, et semble même sincèrement intéressé par les livres. Ils sont alors peu surpris et attentionnés envers lui quand, peu de temps après, Ishidaira revient tout gêné avec le livre qu'il a racheté. Et ce n'est là que son premier pas dans le petit monde de la bibliothèque, où il s'inscrira, viendra donner des coups demain et se fera même embaucher à mi-temps.

Des mangas nous plongeant dans les métiers du livre,nous en avons déjà eu quelques-uns: on pense notamment à l'excellent "Le Maître des Livres" (éditions Komikku) qui nous immisçait déjà en bibliothèque mais en ce focalisant pas mal sur la présentation de livres existant vraiment, et au très chouette "Libraire jusqu'à l'os" qui nous faisait suivre le travail quotidien d'une libraire. Entre ces deux-là, Racaille de bibliothèque promet de vite trouver sa place et son unicité en prenant encore une autre voie, en nous faisant avant tout découvrir petit à petit différents aspects du travail de bibliothécaire et du rôle d'une bibliothèque publique, qui utilise l'argent des impôts pour donner accès aux livres à tous.

Ainsi ce début d'oeuvre joue-t-il surtout sur deux créneaux. D'un côté, il y a l'immersion dans tout ce qu'exige le travail en bibliothèque: clients pas toujours faciles, sort des livres ne résistant pas à l'épreuve du temps ou ayant été trop abimés par les lecteurs (soit il faut se résoudre à les jeter, soit il faut tout faire pour les réparer si c'est possible), les méthodes de réparation des livres pouvant être sauvés, les retards de rendu et pénalités pouvant s'ensuivre, le cas des retours non-enregistrés, les odeurs pouvant finir par imprégner les pages selon les usagers... On sent déjà bien ici l'expérience de Zuino en tant que bibliothécaire, ce qui permet un abord réaliste du sujet. Et de l'autre côté, il y a tout simplement la mise en valeur, de temps à autre,de tout ce que peuvent apporter les livres: apprendre par soi-même, enrichir ses connaissances, profiter d'un simple bon divertissement, faire tourner son imagination, voire comprendre les émotions qui ont pu parcourir certains lecteurs en lisant certains livres...

Et pour accompagner leur sujet, les auteurs peuvent compter sur des personnages principaux plutôt bien campés, surtout sous le dessin de Keiyama qui vise avant tout la légèreté et l'expressivité. Les principaux employés de la bibliothèque ne manquent pas de piquant, grâce à leur passion, entre Hayasemaru qui peut péter quelques gros câbles derrière son côté très posé, et Shirai dont le côté baraqué dénote dans un tel cadre et qui se verrait bien régler certains problèmes par la violence, ce qui amène un côté un peu décalé bienvenu. Mais bien sûr, c'est surtout celui qui donne son nom à la série qui attire le plus l'attention: il a beau avoir une dégaine de racaille jusque dans sa dentition pointue, et s'irriter/s'énerver facilement, on voit constamment qu'Ishidaira n'est pas du tout une mauvaise personne, et que son intérêt grandissant pour les livres est sincère. Mieux encore: derrière son caractère qui amène facilement de l'animation dans les pages, les auteurs distillent déjà ce qu'il faut de petites informations sur son passé pour expliquer petit à petit pourquoi il était devenu une racaille, ce passé le rattrapant même en toute fin de tome pour nous laisser sur certaines attentes en vue de la suite.

Peut-être regrettera-t-on juste le fait que la deuxième moitié du tome aborde un peu moins frontalement l'immersion dans le milieu des bibliothèques, car les auteurs s'y attardent un petit peu plus sur des personnages secondaires, qui plus est de manière un brin simpliste (pourquoi Kaho se décide-t-elle à réagir seulement maintenant sur sa situation, après tant d'années de souffrance ? ), cependant ce que ceux-ci ont à apporter à la fin est aussi intéressant.

A l'arrivée, ce sont bel et bien de jolies promesses que ce premier volume pose. Dans une atmosphère assez réussie, et malgré certains chapitres plus inégaux, les auteurs nous offrent déjà ici une immersion riche et réaliste dans l'univers des bibliothèques publiques et des livres, le tout étant porté par des personnages principaux qui ont de quoi devenir très attachants sur la longueur. Affaire à suivre, donc !

Enfin, en ce qui concerne l'édition, si l'on excepte quelques coquilles textuelles ayant échappé à la relecture, la copie est satisfaisante: la jaquette est soigneusement adaptée de la version nippone avec un logo-titre bien pensé par Lucie Archambault, la traduction de Vincent Marcantognini est efficace et naturelle en collant bien aux différents caractères, le travail de lettrage et d'adaptation graphique du Studio Mankai est convaincant, et la qualité de papier et d'impression est satisfaisante.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

15.5 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs