Que s’abattent les griffes ! Vol.1 - Actualité manga
Que s’abattent les griffes ! Vol.1 - Manga

Que s’abattent les griffes ! Vol.1 : Critiques

Girochin no Tsume

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 05 Octobre 2021

Certaines œuvres vintages paraissent en France avec une aura impressionnante tant elles sont cultes du côté du Japon tandis que d’autres semblent sorties de nulle part. En général, ce n’est pas pour rien que ces dernières ont échappé aux radars à la fois du public nippon et des éditeurs étrangers pendant des années, et elles sont au mieux distrayantes mais rarement très intéressantes. Cependant parfois les astres s’alignent, il arrive alors qu’un éditeur français reçoive un mystérieux titre en se trompant dans ses démarches, en tombe sous le charme et décide de le publier. Et le lecteur curieux, toujours en quête de nouvelles expériences de lecture, met la main dessus. Il se retrouve immédiatement récompensé de la découverte surprise d’un excellent titre échappant à toutes les normes. C’est le cas de Que s’abattent les griffes, manga publié aux éditions Black Box grâce à un bienheureux quiproquo. 


Publié originellement au Japon entre 1987 et 1988 chez Wani Magazine, Que s’abattent les griffes est une série en trois tomes de Takashi Araki. L’auteur ne semble pas avoir fait grand-chose d’autre, sinon quelques histoires courtes et illustrations, du moins sous ce nom-ci. Après un financement participatif, le manga arrive en France en avril 2020 grâce aux éditions Black Box donc. Il est traduit par momiNoki, adapté par Anthony Libel et on retrouve Cindy Bertet au lettrage. 


 Que s’abattent les griffes raconte l’histoire de Keisuke Nachi, un professeur peureux et anxieux, qui se laisse totalement dépasser par ses élèves. Ces derniers le frappent, l’humilient, lui font vivre un véritable enfer en somme. Habitant chez sa mère, le professeur se drogue une fois qu’il rentre chez lui grâce à des produits médicaux qu’elle lui fournit. Et c’est ainsi que lors d’un cours, il se rend compte que de terribles griffes lui poussent, et que viennent avec elles des pulsions meurtrières. Suites à d’affreux crimes commis au sein du lycée dans lesquels Keisuke est directement impliqué, ce dernier attire l’attention de la fille d’un yakuza, une élève au fort caractère bien décidée à lever le masque sur la malédiction qui accompagne son professeur. Dans le même temps, le récit prend une tournure d’une plus grande ampleur lorsqu’un mystérieux jeune garçon en voyage en Afrique mandate quelqu’un afin de lui ramener le professeur. Il prétend que l’homme aux griffes acérées serait un démon, serviteur de Satan. 


« Ceux qui feignent la bonté... qui cherchent une vie sereine... qui s’accrochent à un semblant de paix... Bientôt, ceux-là devront révéler leur véritable nature ! La cruauté humaine apparaîtra au grand jour ! Je les traînerai aux pieds des démons ! » 


 


Il y a chez Keisuke Nachi un côté qui ressemble à Akira Fudô, le célèbre anti-héros du manga Devilman de Gô Nagai. Les deux hommes partagent cette caractéristique d’être faibles et lâches avant que le sang du démon ne les contamine et qu’ils ne deviennent ainsi plus sûrs d’eux, plus puissants mais aussi plus violents. Cependant, Keisuke Nachi pousse bien plus loin la thématique de l'anti-héros en devenant lui-même un tueur de sang-froid, ne semblant pas capable de contrôler la rage démoniaque qu’il a en lui. Le manga de Takashi Araki s’affranchit ainsi de toutes limites morales dans le but de montrer la noirceur de l’âme humaine dans ce qu’elle a de plus pure, dénuée d’hypocrisie.  Il en ressort donc un titre violent et cruel, à ne pas mettre entre toutes les mains. C’est plus que jamais le cas lorsque l’horrifique se mêle à l’érotisme, ce qui peut aussi bien fasciner que choquer, voire les deux à la fois. La sexualité est représentée de manière déviante et violente, rappelant certains pontes de l’eroguro comme notamment Toshio Maeda et son fameux Urotsukidoji, qui a débuté l’année précédente, en 1986, lui aussi chez Wani Magazine et dont le mélange entre sexe et démon semble avoir eu une influence sur le titre de Takashi Araki. Pour autant Que s’abattent les griffes est bien moins vulgaire et porté sur l’érotisme que son illustre aîné. Le titre semble plus enclin à montrer les vices de l’humain comme pourrait le faire Jun Hayami dans Le labyrinthe de rasoirs. 


 Si Que s’abattent les griffes rejette l’homme, son hypocrisie et ses perversions, il embrasse bien volontiers la voie du satanisme, ou du moins du culte démoniaque, au cœur d’un récit troublant. Le personnage principal est de plus en plus terrifiant, à tel point que l’on finit par se demander si on fait bien de le suivre dans son macabre périple. Et pourtant, les personnes qui gravitent autour de lui ne sont pas des enfants de chœur non plus, elles semblent toutes malveillantes. Que ce soit la fille du yakuza n’arrivant pas à se sortir Keisuke de la tête et qui fait commettre à ses hommes de main les pires exactions pour provoquer les pulsions démoniaques de son professeur ou encore le jeune garçon de 13 ans au don de clairvoyance souhaitant l’asservir, l’entourage du protagoniste est à la fois inquiétant et envoutant. Comme avec les plus grands maîtres de l’eroguro, on ne sait jamais trop sur quel pied danser au cours de la lecture, ce qui crée un agréable sentiment de malaise. 


 


C’est d’autant plus le cas que le manga est très bien dessiné, l’auteur s’offrant même quelques planches magistrales, comme la double-page dans laquelle la fille de yakuza promène ses chiens.  Celle-ci lui confère une prestance folle rendant son autorité naturelle évidente aux yeux des lecteurs. Globalement les personnages ont beaucoup de charisme et de charme. Cet aspect est appuyé par des effets propres au média comme la mise en scène, les trames ou tout simplement la posture. Takashi Araki maîtrise donc son sujet dans un style réaliste post-Akira, ce qui se reflète également dans les décors. Outre les arrière-plans liés au cadre scolaire, le dessinateur nous fait voyager notamment en Afrique, entre le Kenya et l’Egypte. Il profite de ces lieux inhabituels pour nous en mettre plein la vue en dévoilant une ancienne cité cachée derrière une cascade au fond de la jungle ou jouant avec l’architecture de l’Egypte antique telle que le Sphinx ou les pyramides lors d’une scène mémorable. 


 En somme, ce premier tome de Que s'abattent les griffes est une découverte captivante qui mérite sans l’ombre d’un doute d’être partagée. À condition de se sentir bien évidemment réceptif à l’eroguro, si le manga de Takashi Araki n’est pas un incontournable à l’aura culte, il s’impose tout de même comme une lecture fortement conseillée à tous les amateurs de récits horrifiques. Il fait partie de cette catégorie de petits titres moins connus que des Vampyre ou Urotsukidoji mais qui font pourtant l’essence même d’un genre. Parlant sans complexe de drogue, de sexualité déviante ou encore de satanisme, ce manga en met plein la vue en critiquant de plein fouet la bonne morale. Il sort des normes en dévoilant la malveillance de l’être humain aux yeux de tous et étrangement, c’est réjouissant. 


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
jojo81
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs