Première neige - Actualité manga

Première neige : Critiques

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 09 Août 2010

Elle est là, seule. Seule comme depuis toujours. Seule sur cette grande et belle plage désertique. Elle n'attend désormais plus qu'une seule chose tandis que dans sa tête se bousculent les souvenirs d'un passé qu'elle souhaiterait n'avoir jamais connu. Elle attend son heure, son heure qui arrive bien trop tôt... ou peut-être bien trop tard. Chronique d'une autodestruction aussi bouleversante que tragique.

Première neige est le fruit de la collaboration entre Eric Corbeyran, scénariste français très productif et ce depuis de nombreuses années et Byun Byung Jun, auteur coréen qui est loin d'être un inconnu par chez nous puisque plusieurs de ses titres ont été publiés chez Kana ou ailleurs. Petite particularité supplémentaire, l'ouvrage ici présenté est librement inspiré d'une nouvelle de Maupassant. Voila donc un livre pour le moins intriguant, et qui ne décevra aucunement.

"Pour la première fois, j'envisageai l'avenir, sombre, et je le voyais comme une maison sans fenêtres."

Le récit se déroule à notre époque. On suit une jeune femme qui rencontre un homme plus agé qu'elle. Ils commencent à sortir ensemble et, après un certain temps, se marient. Leur lune de miel se passe bien et ils emménagent dans l'ancienne résidence de vacances de la famille d'Henry, le mari. Mais bien vite, la jeune femme se sent délaissée, oubliée, transparente et de plus en plus mal dans cette grande maison tandis que son compagnon travaille sans relâche et est absent la plupart du temps. Petit à petit, elle dépérit, encore et encore...

L'histoire nous est contée par l'héroine elle-même. Héroine dont on ne connaitra d'ailleurs jamais le nom, mais nous y reviendrons un peu plus tard. Celle-ci se remémore ce qu'ont été les dernières années de sa vie, depuis le jour de sa rencontre avec Henry jusqu'à l'instant présent. Un choix qui se révélera très intéressant puisqu'il nous permet de nous mettre dans la peau de celle-ci, de voir les choses tel qu'elle les voit, les imagine, et non pas forcement tel qu'elles le sont réellement. Notre jeune mariée se veut d'ailleurs être un personnage très particulier et en même temps très commun. Elle a 19 ans au début du récit mais ne rêve de rien. Elle fait des études à la fac car ses parents le voulait mais cela ne lui plait guère. Elle n'a d'avis sur rien, ne prend jamais position, reste passive en toutes circonstances. Finalement, elle donne l'impression d'une coquille vide. Et le fait que les auteurs aient choisi de ne pas lui donner de nom ne fait que renforcer ce sentiment. Donnant presque au lecteur l'impression que c'est à lui d'entrer en elle et de vivre sa vie à travers son enveloppe charnelle. Mais, en réalité, la jeune femme est bien loin de l'image qu'elle donne d'elle.

"Qu'allais-je faire ? Rien."

Toutefois, elle ne parviendra jamais à extérioriser ce qu'elle à en elle. Impuissante lorsqu'il s'agit d'esquisser un sourire et dans l'impossibilité de pleurer toutes les larmes de son corps lorsqu'elle le voudrait. Toute cette peine, cette tristesse, ce désespoir qui grandit jour après jour. Désespoir qui a prit forme le jour où elle et Henry ont déménagé pour vivre ensemble. Ce dernier est d'ailleurs davantage en retrait tout au long du livre. Apparaissant comme mystérieux, ne dévoilant jamais au lecteur sa véritable personnalité, ce qu'il a vraiment sur le coeur, il est pourtant la cause directe de la transformation de sa femme. Il ne la voit pratiquement jamais, ne l'écoute jamais, ne s'en soucie jamais. Dès lors c'est presque tout naturellement que celle-ci va chercher à attirer son attention comme elle le peut, maladroitement, désespérément. Et elle nous apparait en fait comme possédant beaucoup de charisme, cela contrastant complètement avec son image de fantôme qu'elle affiche en toute circonstance. Elle est d'une détresse réellement poignante.

Cette incompréhension mutuelle qui ne fait que grandir au rythme des saisons s'enchainant inlassablement à probablement pour cause principale la différence générationnelle qui sépare nos deux tourtereaux. Aucun d'eux ne semble vraiment savoir pourquoi il ou elle a choisi l'autre. Ils apparaissent comme deux âmes en peine vivant sous le même toit, incapables de se consoler, incapables de se chérir, incapables de s'aimer tout simplement. Il n'y a que lorsque la situation a atteint un point de non retour que, enfin, leurs yeux daigneront s'ouvrir. On retrouve le même problème lorsque la mariée discute avec ses parents. Il n'y a qu'une seule conversation entre eux durant l'intégralité de l'histoire, mais elle est particulièrement révélatrice de ce gouffre et incroyablement juste dans le ton employé.

"Qu'arriverait-il désormais ? Rien."

Et tout cela nous est transmis par l'intermédiaire d'une superbe plume. Grâce à son écriture vivante, inspirée, précise, Corbeyran fournit là un excellent travail. Et, bien que sans réelle surprise, la narration se veut elle aussi tout à fait réussie. Il n'y a globalement pas énormément de texte, pas de longues apologies inutiles et alambiquées de la part de chacun des deux protagonistes. Quelques répliques abruptes suffisent largement à l'ensemble où tout doit se ressentir calmement, paisiblement, plutôt que se lire sans prendre le temps de saisir l'émotion de chaque page, de chaque case. Et pour ce faire, les dessins de Byun Byung Jun ont également une importance de taille.

Ce dernier ne manquera d'ailleurs pas de nous enivrer de ses talents graphiques. Intégralement colorisé, le style adopté est celui d'une aquarelle. Une aquarelle éthérée et flétrie, à l'image de son héroine désabusée. Esquisse de ses pensées et souvenirs vaporeux qui nous imprègnent avec force et conviction. Peinture automnale et froide, terriblement froide. Et poétique. Empreinte de mélancolie et de nostalgie. D'amertume et de regrets. Composée de décors d'une éperdue douceur qui viennent contrebalancer la douleur permanente qui se dégage des personnages aux traits figés, à l'air hagard, au regard plus vide encore que le néant. Le dessinateur nous offre là une toile particulièrement soignée, métaphore du cadavre ambulant que l'on suit et pour lequel même le plus talentueux des embaumeurs ne parviendrait plus à masquer sa pâleur extrême.

"Quelle attente ? Quelle espérance pouvait raviver mon coeur ? Aucune."

Il est néanmoins vrai que la qualité des visages est par moment inégale. Certains sont sublimes, tandis que d'autres laissent une impression plus mitigée. Cependant ce petit bémol est très, et je pèse mes mots, largement compensé par la beauté des paysages et de certaines pages qui sont purement et simplement dignes d'un tableau de maitre. On notera également la qualité du travail concernant les différentes saisons, qui ont une importance toute particulière dans le cas présent. Byun Byung Jun nous avait habitué à réaliser de belles choses en noir et blanc, mais il faut reconnaitre qu'on est ici à un tout autre niveau, très largement supérieur. Incomparable.

Qui plus est l'édition de Kana se montre particulièrement soignée. Que ce soit la couverture ou le papier, tout est d'excellente qualité. Et le prix élevé se justifie entièrement.

Première neige s'impose donc très aisément comme une lecture incontournable et prouve, si besoin en était, que la collaboration d'auteurs occidentaux et orientaux peut se révéler être d'excellente facture. C'est finalement une infinité de petits détails foisonnant de toutes parts qui donne son authenticité au récit et qui lui confère par la même occasion ce subjuguant et fascinant décor prodigieusement amer et pourtant empreint d'une étonnante sérénité. Voila une peinture d'une rare beauté, témoin silencieux de la lente et solitaire agonie d'une jeune femme ordinaire qui cherchait seulement un peu d'attention. Mais c'est déjà tellement demander...


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Shaedhen
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs