Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 15 Novembre 2021
La tendance des grandes oeuvres de la littérature occidentale adaptés en manga ne date pas d'hier. L'un des exemples les plus évidents, c'est la collection des classiques parus chez nous via nobi nobi !, puisant dans la littérature et dans les récits mythologies pour en proposer des versions destinées à un jeune lectorat. Kurokawa suivra cette voie avec sa propre collection Kuro Savoir puis par l'excellent Les Misérables par Takahiro Arai, tandis Soleil Manga, de son côté, proposait dès 2011 certaines adaptations d'ouvrages dits « classiques » comme Le Capital ou Les Liaison Dangereuses.
Mais ce qui a donné un dynamisme nouveau à cette tendance, c'est très certainement la série des récits de H.P. Lovrecaft repris par le talentueux Gô Tanabe, bien qu'on abandonne ici la littérature classique pour la littérature fantastique/horrifique. Une réussite parue chez nous aux éditions Ki-oon, si bien que l'éditeur a récemment réitéré avec la version de La Guerre des Mondes de Sai Ihara et Hitotsu Yokoshima, sur laquelle nous dressions un avis mitigé. Il y a donc bien un intérêt pour les déclinaisons manga d’œuvres de la littérature, classique comme contemporaine, un véritable pan éditorial qui a tapé dans l’œil de Michel Lafon qui s'intéresse à l'acquisition de licence après avoir publié ses mangas originaux, dont Ki & Hi qui rencontra un succès monstre.
C'est ainsi que l'éditeur a jeté son dévolu sur La Peste, adaptation évidente du roman du défunt Albert Camus, sans doute l'un des romanciers les plus importants du XXe siècle. Le manga est l'œuvre de Ryôta Kurumado, un mangaka à la carrière balbutiante dont le premier titre fut Freude, une comédie gravitant autour des grands noms de la musique classique. Diplômé de la faculté de manga de l’université Kyoto Seika, l'artiste publia entre 2019 et 2020 Yome wa BL Mangaka, une comédie centrée sur une autrice de boy's love. La même année, le présent manga de l'auteur débute dans le mensuel Comic Bunch de l'éditeur Shinchôsha. Sobrement nommé « Peste » au Japon, l'adaptation du roman d'Albart Camus s'est achevée eu septembre avec son quatrième volume. L’œuvre est donc toute fraîche, son artiste ayant le loisir de pouvoir rebondir avec un nouveau récit, tout le bien qu'on lui souhaite.
A l'instar du roman de Camus, La Peste est une fiction se déroulant dans les années 40 à Oran, préfecture française située sur la cote algérienne. Au pied de sa résidence, le jeune docteur Bernard Rieux observe des cadavres de rats qui s'accumule, au grand damne du gardien de l'immeuble qui pense à une mauvaise farce de petits plaisantins. Mais les corps de rats commencent à concerner toute la ville, des signes avant coureur qui n'échappent pas à médecin qui imagine le pire. Et lorsque de premiers humains montrent certains symptômes, tout porte à croire que son intuition ne l'avait pas trompé.
Fidèle à l’œuvre initiale, la version de Ryôta Kurumado ne semble pas vouloir s'en détacher, un respect menant à un récit développé à travers quatre opus et dont la première a pour mérite premier sa douce monté en puissance et en tension. Partant d'une situation simple, c'est par le regard du jeune docteur Rieux que le lecteur assiste peu à peu à la situation alarmante frappant la ville d'Oran. Le terme de « peste » suffit déjà à invoquer les pires horreurs dans l'imaginaire de chacun, et le déroulement de ces premiers chapitres retranscrit cet effroi par un chaos qui se fait plus ample page après page, des contaminés qui ne s'en sortent que rarement, et des craintes qui se traduisent chez les quelques individus devinant l'ampleur du désastre à venir. Psychologiquement lourd, ce premier opus doit aussi son ambiance au trait du mangaka qu'on aurait tort de sous-estimer à son esthétique des personnages, très épurées de prime abord. Qu'il s'agisse des proportions sur les faciès, des jeux d'expressions ou des effets de noir sur les planches, la patte du mangaka est efficace pour amener une angoisse particulière, celle de la peur d'un enfer imminent.
Et tout comme le roman de Camus a eu un regain de notoriété dès l'année 2020 avec la crise du Covid-19, le présent manga est ancré dans une troublante actualité. De par les premiers signes montrés du fléau et les inquiétudes des quelques protagonistes, l'écho à la situation de début d'année dernière est évident, procurant un sentiment tout particulier. Et au delà des similitudes avec la période actuelle, ce sont les discours sous-jacents qui donnent à l'ensemble une autre force, et font de La Peste un manga qui ne se veut pas uniquement terrifiant. Dans la deuxième partie, ce sont des conséquences sociétales et économiques dont il est question, des sujets simples mais qui vont traverser le héros (et le lectorat) par son aspect morale. Dans ce contexte, il réside une ambiguïté sur la bonne action à mener, et aucune réponse semble n'être la bonne. Si cette optique est, pour l'heure, assez brève, on apprécie qu'elle ait lieu par des personnages denses et non manichéen, capables de bonnes actions derrière leurs façades imperturbable.
Avec ce premier tome, l'adaptation manga de Ryôta Kurumado s'offre ainsi une entrée en manière convaincante, à la fois prenante et stressante, mais aussi pourvue d'une portée sociale qui résonne tristement dans ce contexte actuel. La démarche de Michel Lafon de proposer un tel récit en ce moment n'est pas qu'une affaire opportuniste, les conditions permettant justement de mieux s'imprégner de l’œuvre et de ses problématiques. Notons que l'éditeur a publié en simultanée les deux premiers opus, soit la première moitié de l'histoire, de quoi permettre de mieux se plonger dans cette version du dense roman d'Albert Camus.
Côté édition, Michel Lafon propose une nouvelle fois un grand format, une marque de fabrique de la maison pour un tarif de 9,95€ appréciable vu les dimensions de l'ouvrage. Outre le papier fin avec quelques pages couleur discrètes, on apprécie le subtil travail sur la couverture, mate, profitant de vernis sélectifs sur quelques éléments précis. Une jaquette dont le cachet vient aussi de la belle maquette de Florent Faguet et de son titre respectant assez le logo original et adapté à l'illustration glaçante de ce premier ouvrage.
La traduction est signée Fabrice Buon dont le texte s'avère assez contemporain, même si rien ne trahit vraiment le contexte des années 40.
Mais ce qui a donné un dynamisme nouveau à cette tendance, c'est très certainement la série des récits de H.P. Lovrecaft repris par le talentueux Gô Tanabe, bien qu'on abandonne ici la littérature classique pour la littérature fantastique/horrifique. Une réussite parue chez nous aux éditions Ki-oon, si bien que l'éditeur a récemment réitéré avec la version de La Guerre des Mondes de Sai Ihara et Hitotsu Yokoshima, sur laquelle nous dressions un avis mitigé. Il y a donc bien un intérêt pour les déclinaisons manga d’œuvres de la littérature, classique comme contemporaine, un véritable pan éditorial qui a tapé dans l’œil de Michel Lafon qui s'intéresse à l'acquisition de licence après avoir publié ses mangas originaux, dont Ki & Hi qui rencontra un succès monstre.
C'est ainsi que l'éditeur a jeté son dévolu sur La Peste, adaptation évidente du roman du défunt Albert Camus, sans doute l'un des romanciers les plus importants du XXe siècle. Le manga est l'œuvre de Ryôta Kurumado, un mangaka à la carrière balbutiante dont le premier titre fut Freude, une comédie gravitant autour des grands noms de la musique classique. Diplômé de la faculté de manga de l’université Kyoto Seika, l'artiste publia entre 2019 et 2020 Yome wa BL Mangaka, une comédie centrée sur une autrice de boy's love. La même année, le présent manga de l'auteur débute dans le mensuel Comic Bunch de l'éditeur Shinchôsha. Sobrement nommé « Peste » au Japon, l'adaptation du roman d'Albart Camus s'est achevée eu septembre avec son quatrième volume. L’œuvre est donc toute fraîche, son artiste ayant le loisir de pouvoir rebondir avec un nouveau récit, tout le bien qu'on lui souhaite.
A l'instar du roman de Camus, La Peste est une fiction se déroulant dans les années 40 à Oran, préfecture française située sur la cote algérienne. Au pied de sa résidence, le jeune docteur Bernard Rieux observe des cadavres de rats qui s'accumule, au grand damne du gardien de l'immeuble qui pense à une mauvaise farce de petits plaisantins. Mais les corps de rats commencent à concerner toute la ville, des signes avant coureur qui n'échappent pas à médecin qui imagine le pire. Et lorsque de premiers humains montrent certains symptômes, tout porte à croire que son intuition ne l'avait pas trompé.
Fidèle à l’œuvre initiale, la version de Ryôta Kurumado ne semble pas vouloir s'en détacher, un respect menant à un récit développé à travers quatre opus et dont la première a pour mérite premier sa douce monté en puissance et en tension. Partant d'une situation simple, c'est par le regard du jeune docteur Rieux que le lecteur assiste peu à peu à la situation alarmante frappant la ville d'Oran. Le terme de « peste » suffit déjà à invoquer les pires horreurs dans l'imaginaire de chacun, et le déroulement de ces premiers chapitres retranscrit cet effroi par un chaos qui se fait plus ample page après page, des contaminés qui ne s'en sortent que rarement, et des craintes qui se traduisent chez les quelques individus devinant l'ampleur du désastre à venir. Psychologiquement lourd, ce premier opus doit aussi son ambiance au trait du mangaka qu'on aurait tort de sous-estimer à son esthétique des personnages, très épurées de prime abord. Qu'il s'agisse des proportions sur les faciès, des jeux d'expressions ou des effets de noir sur les planches, la patte du mangaka est efficace pour amener une angoisse particulière, celle de la peur d'un enfer imminent.
Et tout comme le roman de Camus a eu un regain de notoriété dès l'année 2020 avec la crise du Covid-19, le présent manga est ancré dans une troublante actualité. De par les premiers signes montrés du fléau et les inquiétudes des quelques protagonistes, l'écho à la situation de début d'année dernière est évident, procurant un sentiment tout particulier. Et au delà des similitudes avec la période actuelle, ce sont les discours sous-jacents qui donnent à l'ensemble une autre force, et font de La Peste un manga qui ne se veut pas uniquement terrifiant. Dans la deuxième partie, ce sont des conséquences sociétales et économiques dont il est question, des sujets simples mais qui vont traverser le héros (et le lectorat) par son aspect morale. Dans ce contexte, il réside une ambiguïté sur la bonne action à mener, et aucune réponse semble n'être la bonne. Si cette optique est, pour l'heure, assez brève, on apprécie qu'elle ait lieu par des personnages denses et non manichéen, capables de bonnes actions derrière leurs façades imperturbable.
Avec ce premier tome, l'adaptation manga de Ryôta Kurumado s'offre ainsi une entrée en manière convaincante, à la fois prenante et stressante, mais aussi pourvue d'une portée sociale qui résonne tristement dans ce contexte actuel. La démarche de Michel Lafon de proposer un tel récit en ce moment n'est pas qu'une affaire opportuniste, les conditions permettant justement de mieux s'imprégner de l’œuvre et de ses problématiques. Notons que l'éditeur a publié en simultanée les deux premiers opus, soit la première moitié de l'histoire, de quoi permettre de mieux se plonger dans cette version du dense roman d'Albert Camus.
Côté édition, Michel Lafon propose une nouvelle fois un grand format, une marque de fabrique de la maison pour un tarif de 9,95€ appréciable vu les dimensions de l'ouvrage. Outre le papier fin avec quelques pages couleur discrètes, on apprécie le subtil travail sur la couverture, mate, profitant de vernis sélectifs sur quelques éléments précis. Une jaquette dont le cachet vient aussi de la belle maquette de Florent Faguet et de son titre respectant assez le logo original et adapté à l'illustration glaçante de ce premier ouvrage.
La traduction est signée Fabrice Buon dont le texte s'avère assez contemporain, même si rien ne trahit vraiment le contexte des années 40.