Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 23 Novembre 2016
Cécile et Olivier sont deux jeunes artistes français installés dans la préfecture de Niigata. Alors qu'ils se baladent dans les rues d'une petite ville afin de voir une matsuri (fête locale), Cécile va s'arrêter sur la façade d'une boutique ancienne et poussiéreuse vendant une multitude d'objets. Souhaitant acheter un polaroïd, Cécile va finalement se procurer un bi-objectif en plastique qui ressemble beaucoup à un jouet. En plus de l'appareil, elle va acheter une pellicule très spéciale qui permettrait, selon le vieux vendeur, de photographier les yokai, ces créatures fantastiques issues du folklore japonais.
Cette acquisition marque le début d'une sympathique aventure qui emmènera Cécile et Olivier, ainsi que le lecteur, dans des lieux japonais atypiques : petits villages quasi-déserts, temples abandonnés et forêts mystérieuses.
Onibi est un roman graphique mêlant fiction et autobiographie réalisé par l'atelier Sentô (appellation qui désigne les auteurs Cécile Brun et Olivier Pichard, également personnages du récit). L'aspect fictionnel se caractérise par cette "quête des yokai" suite à l'achat de l'appareil photo par Cécile, et sera le moteur scénaristique du livre. Après les pages d'introduction qui se terminent par l'achat de l'appareil photo, le reste du livre sera structuré en chapitres, et chaque chapitre sera en fait une séquence durant laquelle nos personnages essaie de débusquer un yokai, avec en guise conclusion la photo dudit yokai prise par Cécile.
Si l'on met de côté cette "chasse au yokai", tout le reste de l'ouvrage est en fait un récit autobiographique. Durant leur périple, Cécile et Olivier vont arpenter des lieux, rencontrer des personnes, et vivre des évènements qui sont totalement ancrés dans le réel. En effet les auteurs ont passé une année entière au Japon, et les lieux et personnages évoqués dans leur livre existent vraiment.
Ce qu'il y a de chouette avec Onibi, c'est que cet ancrage dans le réel ne s'efface pas au profit des yokai. Nos deux auteurs prennent en effet tout le temps nécessaire pour présenter les personnages secondaires, comme par exemple les Baba, un couple de retraités qui s'occupe du Margutta 51, un salon de thé qui étend également ses activités en faisant aussi restaurant, galerie d'art, salon de coiffure et pension (ça, c'est de la polyvalence !!). On retrouvera d'ailleurs à plusieurs reprises les Baba tout au long de l'ouvrage.
En plus des personnages, l'atelier Sentô prendra un très grand soin à décrire les différents lieux de l'ouvrage. Ces lieux évoquent énormément cette idée de "Japon authentique". Petites bourgades, temples calmes, forêts touffues et mystérieuses... c'est un Japon très éloigné de Tokyo et des grandes métropoles que nous offrent nos auteurs. D'ailleurs, dans la même idée on remarquera que la plupart des personnages secondaires du livre sont des personnes âgées, qu'on associe plus facilement à ce Japon "traditionnel". Il y a bien de temps en temps des jeunes, mais leur présence reste marginale, voire même peu appréciée comme dans le chapitre 2, où Cécile avoue à Olivier qu'elle se sent "crevée" après sa conversation avec trois lycéennes.
Au niveau des graphismes, Cécile Brun et Olivier Pichard se sont partagés le travail. Cécile se charge des dessins (qui s'inspirent notamment des clichés qu'elle a pris sur place) tandis qu'Olivier s'occupe du scénario et de colorisation. Le style, très personnel, se veut simple et détaillé à la fois. Si Cécile et Olivier sont croqués de façon quasi-caricaturale, les arrière-plans fourmillent de détails et sont particulièrement agréables à regarder. La colorisation offre un plus à la lecture, car elle permet de créer ou renforcer une ambiance. Par exemple, dans l'introduction le mix entre l'orange et le bleu foncé, s'il traduit le côté sombre de la pièce, donne aussi un aspect presque inquiétant à la vieille boutique dans laquelle Cécile achètera son appareil photo. On a alors presque l'impression que le réel se mélange avec le surnaturel, on retrouvera d'ailleurs ce sentiment de "flou" entre réel et imaginaire à de nombreuses reprises dans le livre.
Concernant l'édition, on ne peut qu'apprécier le remarquable travail des éditions Issekinicho. La couverture cartonnée rigide attire immanquablement l’œil avec son dos rond et son effet de relief présent sur le titre et les yokai. Le papier est épais et procure un confort de lecture indéniable. Aucune coquille ou problème d'impression n'est à déplorer. Une édition sans défaut en somme, qui justifie amplement le prix demandé.
En définitive, malgré ses aspects fictionnels Onibi offre une vision très réaliste du Japon provincial. On découvrira dans le livre un Japon champêtre, peuplé principalement de personnes âgées sympathiques et qui accordent une grande importance aux traditions. Ce portrait pourra plaire à certains, et être rejeté par d'autres, tout est question de goût. Mais que l'on aime ou pas l'ambiance de l'ouvrage, ce dernier n'en reste pas moins très intéressant, car il nous permet de découvrir un Japon méconnu, où le folklore et la verdure n'ont pas encore cédé le pas à l'high-tech et au bitume.