Critique du volume manga
Publiée le Vendredi, 29 Mars 2024
Epais one-shot composé de cinq chapitres pour un total d'environ 250 pages, Nous les contactés paraît enfin en France en cette toute fin de mois de mars, après une très longue attente puisque les éditions Noeve Grafx avaient annoncé son acquisition au mois de décembre 2021.
Il s'agit là de la première publication française et de la première mini-série de Ruri Morita (également appelée Rui Morita), une mangaka qui, depuis ses débuts au milieu des années 2010, n'a fait que de brefs récits. Signe particulier de l'autrice: elle tient également un bar à Kyoto avec d'anciens camarades de classe. De son nom original "Warera Contactee" (littéralement "Nous sommes contactés"), Nous les contactés a d'abord été prépublié pendant l'année 2017 au sein du magazine Afternoon des éditions Kôdansha avant de paraître en un seul volume broché en novembre de la même année. L'oeuvre a reçu un bel accueil critique dans son pays d'origine: non seulement elle fut nommée aux 11e Manga Taishô Awards en 2018, mais en plus elle peut se targuer d'avoir reçu les louanges de l'immense Moto Hagio.
Ce récit commence par nous faire découvrir Kanae Shiinoki, une jeune employée de bureau complètement désabusée, se contentant de vivoter sans passion et de subir les remarques parfois très vexantes de son entourage, notamment comme quoi elle serait nulle. Et la situation aurait pu rester ainsi si, un beau jour, elle ne recroisait pas la route de Kazuki Nakahira, un ancien camarade de classe de son enfance, qui ne lui semble pas avoir beaucoup changé avec son allure ne payant vraiment pas de mine, et qui pourtant s'est lancé seul dans un projet assez fou: fabriquer une fusée spatiale, à l'intérieur de laquelle il compte inclure un film pour les éventuels extraterrestres qui tomberaient dessus ! En entendant ça pour la première fois, Kanae ne peut s'empêcher de pouffer de rire face à un projet semblant si improbable et hors-sol. Elle ne peut alors pas savoir qu'en acceptant de s'impliquer dans ce rêve dingue, sa routine tristounette et sa façon de voir les choses vont beaucoup changer...
Histoire d'un projet insolite qui va, mine de rien, emmener ses protagonistes très loin à leur échelle, Nous les contactés brille en premier lieu pour les avancées de ce projet de fusée, que Ruri Morita gère fort bien. Non contente d'aborder les grandes étapes (mise en place d'un atelier adéquat, principales étapes fabrication, détermination d'un endroit pour le lancement, acceptation d'une demande de lancement...) avec quelques détails qui se veulent assez précis, la mangaka amène rapidement, autour de cette idée folle de fusée, quelques visages secondaires (la gérante de bar Rihoko, Teppei le frère de Kazuki) animant pas mal les pages en révélant eux-mêmes différents facettes d'eux, jusqu'à parfois s'unir dans ce projet commun en renforçant des liens qui étaient jusque-là compliqués. Cependant, au-delà des quelques personnages secondaires truculents, ce sont vraiment nos deux personnages centraux qui séduisent, et plus particulièrement Kanae: emportée de plus en plus loin dans le projet de Kazuki, elle va peu à peu passer d'employée de bureau blasée et se raccrochant à certaines distractions bas de plafond (en tête l'attrait pour l'argent, et pour les ragots animant un peu sa vie), à quelque chose l'élevant au-delà de ça: un projet fou, voire un rêve partagé avec son camarade, qui vont la pousser de l'avant pour montrer de quoi elle est capable et pour se libérer des chaînes du train-train quotidien. Alors même si tous deux manquent d'expérience, même si le projet est dangereux, même si les forces de l'ordre s'opposent à une chose si extravagante, rien ne les arrêtera. Si bien qu'il y a un vrai souffle tout au long de la lecture, un vrai plaisir à les voir se lâcher et aller au bout de leur projet hors du commun, jusqu'à un final s'arrêtant pile au bon moment, en plein éclat.
Qui plus est, à récit atypique, il fallait un style graphique atypique, et c'est ce que l'autrice nous propose soigneusement: ne se contentant pas de jouer sur des designs à la fois bien personnels et hyper variés (ne serait-ce que les tout petit yeux de Kazuki que, quand on le voit comme ça, on n'imaginerait pas forcément capable d'un projet aussi grand), Morita déballe plein de chouettes idées, que ce soit des contrastes blanc/noir, des planches plus détaillées que d'autres, des angles de vue clair et intéressants... et, surtout, un rythme toujours assez soutenu que ses découpages imposent bien pour ne jamais nous lâcher et pour nous entraîner facilement tout au long de l'oeuvre.
A l'arrivée, Nous les contactés se révèle être une très belle petite curiosité, où le projet fou des héros, l'évolution de Kanae, la façon dont rien ne va les arrêter, et la patte visuelle assez délicieuse de la mangaka, sont autant d'éléments qui nous emportent facilement, le temps de ces 250 pages.
De plus, côté édition, c'est quasiment du tout bon puisque l'on reprochera juste un peu de moirage sur certaines pages. A part ça, le papier est souple et assez opaque, l'impression est bonne, le lettrage d'Emma Poirrier est propre, la traduction de Yukari Maeda et Patrick Honnoré est emballante, et la jaquette reste très proche de l'originale japonaise tout en étant rehaussée d'éléments en vernis sélectif avec un léger relief.