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Nos yeux fermés : Critiques

Hana ni Tohitama e

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 13 Avril 2017

Au fil des mois, les éditions Pika étoffent leur collection Pika Graphic, notamment la gamme des contes modernes inaugurée avec Au Gré du Vent et Hello Vivianne, deux œuvres de Golo Zhao. Le nouveau venu du label est un auteur japonais, Akira Sasô, un mangaka que nous avons connu en 2005 avec Fuji-san édité chez Casterman. Au japon, Akira Sasô est un auteur très prolifique, et Nos Yeux Fermés (Hana ni Tohitamae en version originale) est l’une de ses dernières œuvres en date, prépubliée entre mai 2014 et avril 2015 dans le Gekkan Action de Futabasha.

Chihaya est une jeune femme qui n’a jamais eu une vie facile, ce qui a développé en elle un caractère particulièrement bourru et impitoyable. Mais le quotidien, monotone et prolétaire, de Chihaya s’apprête à changer : cette dernière rencontre Ichitarô, un homme aveugle dont elle percute la canne, un acte qui permettra à la jeune fille d’éprouver pour la première fois des remords. Attiré par le tempérament de Chihaya, Ichitarô va approcher la demoiselle et l’ouvrir à sa vision du monde, une vision optimiste qu’il observe même les yeux fermés…

Avec Nos Yeux Fermés, Pika nous propose une conte empli d’optimisme fortement axé sur la différence. Mais contrairement à certains mangas récents à forte dimension sociale, par exemple des titres d’Akata comme Le Mari de mon Frère ou Perfect World, le titre d’Akira Sasô n’a pas pour objectif de développer une prise de conscience ou des questionnements chez le lecteur, mais simplement de narrer une histoire humaine et pleine de bons sentiments, en se concentrant sur deux protagonistes opposés aussi bien par leurs psychologies que par leurs capacités physiques.

Ainsi, Chiharu est une jeune femme agressive et antipathique sur les premières pages, tandis qu’Ichitarô symbolise la quiétude et la pureté. Deux cas extrêmes que le mangaka manipule afin de faire évoluer l’héroïne et lui faire prendre conscience de la valeur du monde. Alors, si cette histoire peut paraître clichée à premier abord, elle nous happe rapidement de par ses qualités narratives. Rapidement, Chiharu est amenée à évoluer, non pas parce qu’elle se questionne sur elle-même mais parce qu’elle se trouve envahit par la vision toujours positive d’un Ichitarô qui, par son handicap, doit s’adapter à sa façon au monde qui l’entoure. On peut alors trouver que le tout va très vite, un peu trop parfois puisque l’héroïne s’adoucit assez rapidement tout en conservant un caractère de femme vive, mais cherche avant tout à charmer son lecteur par son ambiance emplie de quiétude. Car même lorsque certains événements graves surviennent, des instants qui permettront de développer les deux principaux personnages, développer leur passé et comprendre ceux qu’ils sont actuellement, le récit ne tombe pas dans le mélodramatique et reste fidèle à son identité. Pour certains, le tout pourrait constituer un conte beaucoup trop mielleux, surtout sur sa toute fin qui balaye les quelques enjeux avec des facilités prévisibles, et c’est peut-être ce qui pourrait constituer la seule fausse note de cette histoire.

Car à côté de ça, tout fonctionne dans Nos Yeux Fermés. Le récit, empruntant le classique schéma d’une succession de petites histoires, nous invite dans le quotidien de Chiharu après sa rencontre avec Ichitarô. Et tout comme l’héroïne, le lecteur apprend à connaître le curieux personnage que constitue le jeune homme, un individu attachant qui ne voit jamais le mal autour de lui et qui voit la vie avec une certaine poésie en imaginant sans cesse chaque parcelle du monde qui peut l’entourer. Les images que développe Nos Yeux Fermés sont donc particulièrement fortes, ce qui permet d’ailleurs de justifier l’évolution nette de Chiharu après sa rencontre avec Ichitarô. Tous deux seront aussi entourée par une poignée de personnages, allant du plus développé comme le père de la jeune femme aux simples figurants comme la bande de lycéennes qui apparaît de manière ponctuelle, mais chacun aura son petit rôle à jouer, que ce soit dans leurs évolutions au contact d’Ichitarô ou la manière qu’ils auront de lui rendre la pareille en le soutenant lors de moments plus graves.

Et si cette atmosphère optimiste en permanence fonctionne, c’est bien grâce à l’esthétique si particulière et envoûtante d’Akira Sasô. Le mangaka, inspiré par la vague créer notamment par Katsuhiro Otomo, développe un sens graphique qui charme dans ses différentes orientations. A la manière d’Otomo, il y a d’abord la construction des décors, très architecturale qui ne laisse jamais de vide (sauf quand cela a un sens pour l’intrigue comme symboliser l’absence de la vue) qui facilite notre plongée dans ces petites rues paisibles du Japon où a grandi Chiharu, ses environnements ruraux ou ses constructions boisées qui constituent un véritable dépaysement pour les lecteurs occidentaux que nous sommes. Et en parallèle, Akira Sasô retranscrit un style bien à lui pour ses personnages qui peuvent donner l’allure d’un trait hésitant mais restent très vifs dans leurs mouvements, mais surtout expressifs en toutes circonstances. De ce fait, l’auteur n’a presque jamais besoin de texte pour retranscrire l’état d’esprit d’un personnage ou sa psychologie. Son art est d’autant plus envoûtant qu’il donne en permanence une aura douce au récit, aura qui s’accorde avec l’identité positive du manga.

Du côté de l’édition, Pika a fourni un très bon travail à travers ce recueil en grand format. La couverture, sans jaquette et le papier épais et de qualité confèrent à l’ouvrage cette aura noble et raccorde avec l’esprit de cette histoire. Pas de fausse note non plus pour la traduction d’Aurélien Estager qui adapte toujours son texte au ton et l’œuvre et à la psychologie des personnages.

Nos Yeux fermés, plus qu’une histoire sur la différence, est une véritable fable humaine, un conte porté par des personnages attachants, même quand ils paraissent détestables à leur première apparition, des figures qui représentent une histoire d’amour optimiste et envoûtante. L’identité visuelle d’Akira Sasô joue aussi un rôle indéniable et le mangaka nous happe dans difficulté dans son récit par son dessin d’une grande tendresse. Nos Yeux Fermés est ainsi une belle histoire donnant une leçon d’optimisme, un ouvrage à lire et relire les jours où nous avons tendance à voir le monde de manière trop négative.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs