Mon bourreau de père est enfin mort - Actualité manga
Mon bourreau de père est enfin mort - Manga

Mon bourreau de père est enfin mort : Critiques

Gyakutai Chichi ga Youyaku Shinda

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 05 Octobre 2021

Semblant capable de toucher à un peu tous les registres, le catalogue des éditions Meian s'est enrichi, en septembre, de son tout premier manga "autobiographique": Mon bourreau de père est enfin mort, un récit d'environ 150 pages où l'autrice revient sur sa vie, depuis l'enfance brisée par un père violent et pire encore, jusqu'à l'âge adulte qu'elle a actuellement et où elle aura mis énormément de temps à passer outre ses traumatismes du passé, traumatismes l'ayant énormément conditionnée et n'étant sans doute pas encore entièrement effacés aujourd'hui (mais pourront-ils l'être totalement un jour ?).

De son nom original Gyakutai Chichi ga Youyaku Shinda (littéralement "Mon père abusif est finalement mort"), l'ouvrage est sorti au Japon en 2019 aux éditions Takeshobo. On le doit à Piroyo Arai, mangaka ayant débuté sa carrière en 2016, et dont les quelques oeuvres courtes ont généralement un fond un brin social, où elle puise plus d'une fois dans ses propres expériences.

Mais le récit de sa vie est bien celui ici présent. Une vie qui, clairement, n'a pas été gâtée dès l'enfance, car Piroyo Arai a grandi dans une famille dominée par un père extrêmement violent, alcoolique, patriarcal (il ne souhaitait même pas que sa fille aille au lycée car "c'est une femme"), qui la frappait brutalement à la moindre petit bêtise anecdotique (renverser accidentellement son bol, par exemple), en étant seulement défendue comme ils le pouvaient par ses deux grands frères et par une mère ayant toutes les peines du monde à garder un semblant d'entente dans la famille. Piroyo a grandi dans la peur envers celui qui aurait dû être son exemple, en n'ayant finalement aucun repère affectif normal (et elle le dit elle-même, elle aurait tellement aimé avoir une vie normale). Au point de se demander de façon terrible, dès son plus jeune âge, si tout ça est de sa faute. Et malgré une "pause" de 5 ans où sa mère a choisi d'aller vivre seule avec ses enfants avant de finalement retourner chez cet homme, les choses ne se sont jamais arrangées. Et finirent même par empirer après le départ des deux grands frères pour entrer dans la vie adulte, les violences ayant fini par être accompagnées d'abus sexuels.

Au fil de 6 grands chapitres eux-mêmes divisés en plusieurs petits chapitres, l'autrice revient, en long et en large, sur toutes les étapes de son calvaire quotidien. Son enfance où elle était forcément impuissante, l'hypocrisie d'un homme qui se montrait pourtant gentil avec tout le monde dans le quartier, sa mère qui semblait proche de perdre la boule dans cette situation infernale, l'arrivée du harcèlement sexuel quand elle était collégienne... Arai aborde tout, avec transparence, dans un style graphique faussement naïf où la simplicité du trait fait ressortir avec d'autant plus de puissance la violence. Et dans cette volonté de décortiquer sa vie sans tabous et en détails, Arai va toujours plus loin jusqu'à sa vie adulte, car il est évident que tout ne s'est pas soudainement arrangé quand elle a été en âge de quitter le domicile familial. Quand elle a pris son indépendance, elle a développé une hyper-dépendance à l'amour, cherchant constamment à être aimée par les autres jusqu'à en devenir toxique pour eux, rejetant à l'extrême la faute à tout ce qui n'allait pas dans sa vie sur son père ou sur les autres même quand elle était peut-être fautive sur certaines choses. Quand elle commença à vouloir fonder une vie de famille, elle était là aussi extrêmement dépendante de ses copains (au point que ceux-ci la lâchaient, incapable de la supporter). Quand elle trouva enfin le bon homme, elle ne put s'empêcher de tester à l'extrême son amour, peut-être persuadée qu'elle ne pouvait pas être aimée. Peu avant que son père ne meure, elle ressentait des émotions très négatives. Et après sa mort, rien ne s'est arrangé, car même si la source du mal disparaît, le mal, lui, reste gravé dans sa chair. Brisée par ce passé pesant, elle faillit même répéter les mêmes erreurs que son père en se montrant parfois brutale avec son nourrisson quand il pleurait.

On pourrait encore parler longuement de l'oeuvre, tant chaque page est d'une richesse folle et d'une implacable dureté réaliste. Simplement, Piyoro Arai expose tout l'impact physique et psychologique terrible que peut avoir, pendant des années, pendant toute une vie, une enfance/adolescence vécue dans la violence et dans l'absence de repères affectifs. C'est vraiment dans ce portrait sans concessions et sur la longueur, jusqu'à l'après-mort du père, que le récit brille, en poussant un véritable cri d'alerte sur ces situations sans doute trop commune dans nos sociétés et brisant des vies du début à la fin.

Témoignage aussi riche qu'éprouvant et glaçant, Mon bourreau de père est enfin mort est, avant tout, un ouvrage d'utilité publique, qui se voit servi dans une excellente qualité éditoriale. La jaquette donne le ton, et à l'intérieur la traduction de Damien Guinois est particulièrement bonne pour nous faire vivre le parcours chaotique de la jeune femme, le lettrage de Florian Monnier est soigné, et la qualité de papier et d'impression est satisfaisante.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs