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Miroirs : Critiques

Miroirs

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 17 Juin 2022

Avec le grand succès de leur série emblématique The Promised Neverland (l'oeuvre qui les a fait connaître du grand public), le binôme composé du scénariste Kaiu Shirai et du dessinateur Posuka Demizu a sans aucun doute acquis une place de choix dans le coeur de nombre de fans, mais aussi au sein du catalogue de Kazé Manga. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que l'éditeur, qui avait déjà chouchouté TPN avec plusieurs éditions collector entre autres choses, continue de s'intéresser de près aux travaux de ces deux artistes. Ainsi, Kazé Manga a également sorti en France en septembre 2019 "Pone", le premier artbook de Demizu, puis publiera le 13 juillet prochain son deuxième artbook "Postcard Planet, qui est sorti au Japon en avril 2021. Et entre les deux, en ce mois de juin, c'est un ouvrage d'un tout autre style que l'on a l'occasion de découvrir avec Miroirs.


Réunissant à nouveau les deux auteurs, cet ouvrage d'environ 140 pages, sorti lui aussi dans son pays d'origine en avril 2021 après une prépublication dans le Shônen Jump+ de Shûeisha, est un projet un peu particulier, en ceci qu'il a été créé dans le cadre d’une exposition au Japon: "MIROIRS – Manga meets CHANEL", qui s’est tenue à Tokyo en 2021 au CHANEL Nexus Hall Ginza, ce hall ayant été créé à Tokyo en 2004 dans le but de perpétuer, via diverses collaborations originales (histoires, concerts, expositions...), l'esprit créatif de la célèbre Gabrielle "Coco" Chanel, créatrice de mode qui, à travers ses multiples créations en chapeaux, en parfums, en horlogerie, et en mode et beauté de manière générale, n'a jamais cessé de chercher de nouvelles inspirations, de changer les mentalité et la vie des femmes à travers ses réalisations très libres, au point d'être souvent considérée comme une figure de proue du féminisme ayant participer à l'émancipation et à l'indépendance des femmes. Evitant d'offrir un strict manga de mode ou une histoire de la vie de Coco Chanel, Shirai et Demizu proposent plutôt ici une succession de trois histoires courtes qui, chacune à leur manière, cherchent à rendre hommage à la philosophie de cette grande dame en mettant en évidence le parfum de liberté et d'indépendance d'esprit, le tout à travers trois cas bien variés (deux filles et un garçon, à savoir une enfant, un adolescent et une jeune adulte).


La première de ces histoires "Sorcières", s'étend sur 30 pages tout pile, et nous immisce auprès de Coco (le clin d'oeil est évident), une fillette qui, lors des absences répétées de sa mère faisant qu'elle se retrouve souvent seule à la maison, a pris l'habitude de s'évader à travers les livres, qui sont autant d'univers faisant chavirer son imagination. Certes, elle 'na rien d'une princesse dans la réalité, mais l'imagination lui permet de le devenir, entre autres choses, et de vivre autant de choses merveilleuses. Grâce au pouvoir de l'imagination, elle peut devenir quelqu'un d'autre... mais a-t-elle vraiment besoin d'être une autre, justement ? Une surprenante rencontre, comme dans un rêve, avec une femme se présentant comme une "sorcière" (tout le monde la reconnaîtra), va lui offrir une importante leçon: elle n'a pas besoin de devenir quelqu'un d'autre pour vivre les choses comme elle l'entend, et c'est à elle de plutôt devenir la "princesse" de sa propre histoire, de sa vie, en restant elle-même.


Dans la deuxième histoire de 33 pages, "Menteuse", on découvre Miyu, une jeune adulte qui a un grand loisir dans la vie: se glisser dans la peau d'autres personnes, en changeant constamment de look voire de caractère. Tantôt jeune femme BCBG mignonne, tantôt beauté classique, tantôt caractérielle au look un peu rebelle, elle parvient ainsi à se faire aimer de nombre d'homme qui la courtisent alors et qu'elle rejette, car être en couple n'est pas du tout ce qu'elle recherche. Simplement, n'a pas envie de s'enfermer dans un couple, préfère rester libre et laisser s'exprimer ses petites fantaisies, ne veut pas être mise dans une case sans le moindre relief... mais peut-être lui manque-t-il toujours quelque chose, à savoir son plus profond désir: être perçue pour ce qu'elle est réellement, et pas selon ce que les autres ont envie de projeter sur elle pour leur plaisir. Avec l'aide d'un certain parfum, une rencontre décisive risque bien de la chambouler en lui faisant atteindre ce qu'elle voulait: lui faire sentir que, malgré ses nombreux changements, elle reste toujours elle, et qu'on peut la percevoir selon sa personnalité véritable.


Enfin, la troisième histoire "Corneille noire", est la plus longue avec ses 47 pages, et est peut-être aussi la plus ambitieuse. On y découvre Mugi, un lycéen qui a le sentiment de ne rien avoir pour lui: il déteste son visage et son corps, entre son physique de collégien et son sentiment que rien ne lui va en vêtements et en mode. Il est obligé de s'habiller avec des vêtement des rayons enfants, peine alors encore plus à exprimer sa personnalité et à avoir confiance en lui, aimerait fuir ce monde dans lequel il étouffe... du moins, jusqu'à sa rencontre avec un camarade de classe récemment arrivé dans son lycée et qui est tout son contraire: grand et stylé, tout lui va, d'autant qu'en plus de ça il possède un véritable aura rayonnante. Mais est-il content pour autant ? Ce qu'il aimerait surtout, c'est porter des vêtements qui lui vont spécialement à lui, avoir des tenues originales que lui seul peut mettre... alors ensemble, ces deux garçons semblant si différents et vite mus par une vraie amitié entreprennent un pari: si les femmes peuvent porter des vêtements masculins sans que ça choque, pourquoi les hommes ne pourraient-ils pas porter des jupes et autres vêtements dits "de femme" ? Les deux auteurs évoquent vite et bien, avec une certaine force grâce au rythme soutenu, certains aspects de la condition des hommes, à commencer par le sentiment d'être obligé de correspondre à un moule de virilité. A eux, et à chacun, alors, d'oser démolir les murs, briser les codes, bousculer les conventions, ne serait-ce que pour simplement se sentir libres d'être soi-même.


Chaque récit, d'une fluidité narrative remarquable en s'intéressant vite et bien au ressenti des personnages, parvient à retranscrire avec puissance la philosophie de Gabrielle Chanel, avec ce besoin féminin comme masculin de se trouver, d'oser exprimer sa personnalité quitte à envoyer paître les barrières et les diktats de la société. Et pour sublimer tout ça, on peut assurément compter sur la patte graphique de Posuka Demizu, qui réalise encore plus de prouesses visuelles que dans The Promised Neverland. On retrouve, bien sûr, le goût du dessinateur pour les nombreux mouvements, pour les visages non-lissés et expressifs, et pour le goût du détails dans les décors et les tenues. Et sur ce dernier point, autant dire qu'il peut s'en donner à coeur joie ici dans les vêtements et objets de mode. Mais en plus de tout ça, il y a également nombre de découpages audacieux, qui sortent des carcans en collant donc très bien à la recherche de liberté, de personnalité, d'indépendance vis-à-vis des normes qui imprègne chaque récit. Enfin, il y a cet entremêlement de pages et de cases en couleurs au milieu du noir et blanc dominant, les irruptions colorées servant toujours à souligner "l'état d'esprit Chanel", entre les éléments de la marque (le parfum N°5, etc.), et surtout les moments où les personnages trouvent enfin leur pleine indépendance d'esprit (à ces instants-là, ce sont bien les couleurs, par ailleurs nuancées et magnifiques, qui prennent entièrement le dessus).


Cette expérience de lecture est donc ravissante, unique et remarquable, et l'est d'autant plus que Kazé Manga nous gratifie d'une édition exemplaire, que l'on devine dans la lignée de l'édition japonaise. Derrière le petit format (similaire à celui de The Promised Neverland) doté d'une superbe jaquette à effet métallisé et avec un relief sur le logo-titre, on découvre un bel objet intégralement imprimé sur papier glacé, ce qui permet de rendre pleinement honneur au travail de Demizu sur le n&b et les couleurs grâce à une qualité d'impression irréprochable. La traduction de Sylvain Chollet (déjà à l'oeuvre sur The Promised Neverland) ainsi que le lettrage de Hinoko s'avèrent tout aussi soignés. Enfin, n'oublions pas les bonus, entre les 6 pages de croquis préparatoire (deux à chaque fin de chapitre), et surtout une longue interview des deux auteurs qui, sur pas moins de 14 pages, reviennent notamment sur la genèse du projet, sur la façon dont ils l'ont abordé, et sur ce qu'ils ont souhaité y véhiculer à travers pas mal d'anecdotes.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
18 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs