Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 25 Juin 2025
Lancée en France dans la collection WTF?! des éditions Akata en octobre 2023, juste à temps pour Halloween, Mes Cent Contes Mortels est la toute première publication française et la première série longue d'Anji Matono, une mangaka qui s'est spécialisée dans l'horreur. Et à l'approche de la venue de cette autrice à Japan Expo sur le stand de Feux où des séances de dédicaces, une exposition de planches originales et une vente de goodies seront organisées, il était plus que temps que nous nous penchions sur cette oeuvre qui s'est tout récemment achevée au Japon au bout de dix volumes !
Proposée dans son pays d'origine dans le magazine Shônen Sunday Super des éditions Shôgakukan à partir de 2020 sous le titre "Boku ga Shinu dake no Hyakumonogatari" (littéralement "Une centaine d'histoires sur moi en train de mourir" ), cette oeuvre démarre alors qu'un petit garçon du nom de Yûma, tandis qu'il est sur le point de se suicider pour une raison inconnue dans son école, est arrêté par sa jeune camarade de classe Hina qui, pour l'empêcher de commettre le pire, gagne du temps en lui sortant une histoire à même de le convaincre de rester en vie pour un moment: le jeu des cent contes, jeu consistant à présenter cent histoires inquiétantes voire effrayantes et au bout desquelles un fantôme apparaîtrait pour de vrai. A partir delà, le jeune garçon, obsédé par cette tradition, décide de se plonger quotidiennement dans l'un de ces funestes récit...
Etant donné que la série est achevée en dix tomes et que cent histoires horrifiques sont au programme, le calcul est vite fait: chaque volume de l'oeuvre est voué à nous présenté dix histoires sous une forme bien déterminée: les récits durent à chaque fois treize pages, avec à chaque fois un petit prologue d'une page et un épilogue de deux pages de Yûma qui présente ces différentes histoires depuis sa chambre, constamment sous le même angle de vue, comme si le lecteur était en face de lui.
Bien que les histoires soient donc brèves, au point que quelques-unes apparaissent vraiment rapides et inévitablement moins marquantes que d'autres, le fait est qu'Anji Matono maîtrise à chaque fois soigneusement son rythme narratif, ainsi que sa gestion du découpage de cases et du nombre de planches, pour nous offrir des instants d'angoisse qui, s'ils ont quasiment tous pour point commun de rester sur des conclusions très ouvertes comme de dignes légendes urbaines énigmatiques, jouent en réalité sur des créneau d'horreur assez différents. Bien sûr, plusieurs fois l'autrice se fait un plaisir, comme le ferait un certain Junji Ito, de partir du moindre élément anodin (comme une livraison de colis ou un policier retrouvant un objet perdu) pour ensuite développer rapidement des situations invraisemblables et donc inquiétantes (que se passerait-il si le policier était trop encombrant, ou si la boîte aux lettre avait la capacité de recevoir des colis très particuliers ? ), dans une teneur surnaturelle où l'inquiétude naît précisément de l'inexplicable et de l'impossibilité de lutter contre la menace. Mais la mangaka ne se limite pas à cela, sait exploiter certaines failles humaines (comme la jalousie dans l'histoire de la livraison de colis, ou la paranoïa dans l'histoire d'un couple obsédé par les lignes de vie de leurs mains) pour porter ses légendes urbaines, voire propose aussi des histoires purement terre-à-terre où l'horreur vient directement des crimes les plus affreux dont l'homme est capable (le massacre gratuit d'une famille en tête).
Utilisant à bon escient ces ingrédients, Matono varie ensuite beaucoup aussi les plaisirs dans l'atmosphère de ses histoires: certaines sont simplement angoissantes dans leur ambiance, d'autres font plus dans le gore en n'épargnant pas même les bébés, d'autres encore se veulent volontiers assez cracras et dégoûtantes avec un brin de body horror (l'histoire des escargots nous rappelle volontiers un peu, entre autres, Gyo de Junji Ito, miam), on trouve même un bon petit paquet de notes d'humour noir... et pour porter le tout, la dessinatrice sait jouer sur pas mal d'effets de mise en scène différents, parfois en suggérant l'horreur, parfois en la montrant frontalement, ou même en faisant se succéder ces deux étapes. Son dessin, lui, se veut à l a base assez simple voire léger dans les designs, pour mieux s'intensifier, s'épaissir, se rigidifier et s'assombrir au fur et à mesure que l'horreur s'accentuer. Effet garanti !
Enfin, le petit truc en plus faisant le charme supplémentaire de l'oeuvre, c'est sans aucun doute de lier ces différents récit à travers le jeune Yûma, à la fois personnage principal de la série et "présentateur" de chacune des histoires, et dont chaque interaction dans sa chambre mérite d'être observée... pour mieux nous pousser à nous interroger sur lui. Pourquoi, au départ, voulait-il se suicider ? Que vit-il exactement dans son foyer pour avoir eu une telle pulsion ? A qui parle-t-il exactement dans sa chambre quand il présentes les contes horrifiques ? Et une fois qu'il aura présenté les cent contes, que lui arrivera-t-il ? Voici autant d'interrogations soigneusement installées, qui n'ont pour l'instant pas la moindre petite bribe de réponse, et qui intriguent donc tout naturellement.
A l'arrivée, ce premier volume est une vraie bonne petite surprise. Bien que la brièveté des histoires puisse rendre parfois les choses un peu handicapantes, dans l'ensemble Anju Matono s'en sort très bien et exploite à très bon escient les possibilités de son concept ainsi que ses spécificités graphiques, afin d'offrir une anthologie de courtes histoires horrifiques qui ne devrait a priori avoir aucune difficulté à se renouveler sur la longueur si l'autrice continue comme ça.
Enfin, côté édition française, Akata nous propose une copie dans la lignés des oeuvres de la collection WTF?!: le papier est assez épais et opaque, l'impression est bonne, la traduction de Constant Voisin est efficace, le lettrage effectué par Adween est propre et respectueux de l'oeuvre, et la couverture assurée par Tom "spAde" Bertrand est à la fois proche de l'originale nippone et dotée d'un logo-titre bien pensé.