Mermaid Prince - Actualité manga
Mermaid Prince - Manga

Mermaid Prince : Critiques

Ningyo Ôji

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 31 Mai 2019

Après nous avoir conquis avec son épique et poignant shôjo d'aventure Immortal Rain aux éditions Doki-Doki, puis nous avoir bouleversés avec le one-shot Our summer Holiday aux éditions Delcourt/Tonkam, la talentueuse Kaori Ozaki revient chez ce dernier éditeur en cette fin de printemps. Après Our summer Holiday en juin 2017 et Our Summer Love en juin 2018, l'éditeur semble donc désireux de poursuivre la publication, en chaque fin de saison printanière, de courts récits ayant des accents estivaux à plus d'un égard. Mais malgré son atmosphère et ses dessins assez aérés et frais, Mermaid Prince, un peu comme Our summer Holiday, est loin de se contenter de croquer des histoires douces. Sont donc au programme ici, trois récits parus en 2014-2015 dans le magazine Wings shôjo des éditions Shinshokan, magazine dans lequel l'autrice avait déjà publié Immortal Rain.

Le premier récit fait deux chapitres, et a été prépublié dans les numéros d'octobre et de décembre 2014 du magazine Wings. Il se nomme "Les Hauts de Pluie et Lune", traduction française littérale d'Ametsukigahara, une station de train emmenant dans un lieu où, paraît-il, il y aurait des lucioles. Akari Umino et Fumika, deux inséparables amies collégiennes, se disent parfois, en prenant le train pour aller au collège, qu'elles vont aller un peu plus loin et descendre à Ametsukigahara. Pourtant, elles se contentent toujours de descendre avant, à la station de leur établissement scolaire. Fumika est une jeune fille plutôt réservée, sérieuse et douée en cours, et ayant peur des garçons depuis qu'un pervers l'a touchée dans le train. Akari est un peu son contraire: nulle en classe, se sentant surtout vivante quand elle joue un peu avec sa vie (en se balançant au dessus du vide sur le terrasse du collège, par exemple), s'imaginant écrire de grosses bêtises sur sa fiche d'orientation scolaire en vue du lycée, n'ayant pas de portable, elle ne semble pas tenir en grand chose en ce monde, hormis son amitié avec Fumika. Et pourtant, quand cette dernière avoue à son amie qu'elle va accepter de sortir avec Kaji, un garçon a priori sérieux qui lui a fait sa déclaration, le tout petit oasis d'Akari est voué a disparaître, et son monde à changer.
En un peu moins de 80 pages, Kaori Ozaki croque ici un portrait d'adolescence qui, en premier lieu, séduit beaucoup pour l'atmosphère assez fraîche et en même temps mélancolique qui est installée à travers les planches. Après un tout début surtout porté par une amitié de collège presque insouciante, tout bascule pour Akari, la véritable héroïne de cette histoire, à partir du moment où Fumika prend une voie différente de la sienne. Sortir avec un garçon, intégrer un lycée réputé, se maquiller presque vulgairement... sont autant de choses que Fumika se met à faire, tout en s'éloignant inévitablement d'Akari. Tandis que cette dernière, elle, continue de n'être attachée à rien, comme si elle se cherchait constamment, avec un certain vague à l'âme qu'elle cache derrière son comportement très libre. Il ne faut pas s'étonner de la voir se mettre en maillot de bain près de la rivière, entre autres choses: elle fait ce qu'elle veut afin d'effacer sa mélancolie. Y compris fricoter avec un garçon que finalement elle connaît à peine sans avoir l'intention de le revoir un jour, ou enfin se rendre à la fameuse station d'Ametsukigahara dont elle parlait parfois avec son amie du collège... En quelques dizaines de pages seulement, la mangaka parvient à croquer, sans trop en dire, par la force de son dessin et des choix d'Akari, un portrait d'adolescence et de passage à l'âge adulte crédible et juste, avec ses inévitables séparations, les voies différentes prises par les personnes, le tout porté par une héroïne séduisante dans ce qu'elle dégage.

Publié en juin 2014, "Jour de neige" est une brève histoire de 24 pages nous plongeant auprès d'une jeune employée de bibliothèque, dans le silencieux où elle travaille, alors que la neige hivernale s'abat dehors. Alors que la tempête dehors lui fait dire qu'elle n'aura plus de clients aujourd'hui, deux êtres sont toujours là, assis, silencieux dans la bibliothèque en feuilletant un livre. L'homme à la dégaine un peu hirsute, dont on ne verra jamais entièrement le visage, semble être un SDF, et le plus jeune est sans nul doute son fils. Des sans-abris, vraiment ? La vérité pourrait être tout autre, et un brin surnaturelle...
Ici aussi, Ozaki fait brillamment parler son sens du non-dit, nous invitant à observer quelques détails (les dents de l'homme, les traces de pas qu'il laisse dans la neige...) pour vite nous faire comprendre la vérité surnaturelle qui se dessine. A travers cette brève histoire, via le regard de la bibliothécaire qui ne porte aucun jugement de valeur sur eux, la mangaka évoque l'errance d'un père et de son enfant dans une ville trop bruyante pour eux (c'est bien pour ça qu'ils se réfugient dans la silencieuse bibliothèque), où ils ne se sentent pas à leur place, voire où ils sont bafoués (il suffit de voir les premières pages où une cliente les critique sans raison, juste par qu'ils ont l'allure de SDF). Un récit là aussi mélancolique, d'un côté assez dur via un événement dramatique et via un bref portrait de gens marginalisés, mais également un brin lumineux dans sa conclusion marquée par le retour du printemps.

Prépublié entre août et décembre 2015, Mermaid Prince (Ningyo Ôji) est le récit le plus long du recueil, et est celui qui donne donc son nom à l'ouvrage. Sur 118 pages divisées en 3 chapitres, Kaori Ozaki change encore complètement de cadre en nous propulsant à Okinawa, l'archipel tout au sud du Japon. C'est en ces terres reculées que Mugi, un adolescent plutôt banal, a récemment emménagé ensuivant sa soeur Aoi, qui s'est récemment mariée avec Kôtarô, un spécialiste de la plongée. Seulement, Mugi, venant de Tokyo, ne s'acclimate pas du tout à sa nouvelle vie. En classe, son côté effacé et ses difficultés d'adaptation font qu'il n'a pas d'amis, voire qu'il est un peu brimé par certains. Et chez lui, il se sent de trop, comme un Parasite au milieu d'un couple parfait. Sans parents, perdu dans ce coin de terre, il a le sentiment de n'avoir sa place nulle part, et rejette tout. Tout, sauf Matori, énergique et joviale camarade de classe qui, depuis qu'elle a été consolée d'un problème familial par Mugi quand elle en avait le plus besoin, le considère comme son prince charmant. Tout en sympathisant plus ou moins avec cette jeune fille, Mugi se sent toujours plus en trop auprès d'Aoi et de Kôtarô, jusqu'au moment de trop où il déverse sa colère sur ce dernier avant de s'enfuir. Il s'agit là du point de départ d'un terrible événement, qui risque de faire basculer la vie de chacun... à moins que Mugi et Matori ne décident de croire en les légendes qu'on raconte sur l'île. Autrefois, en plongeant plus profondément que jamais, Kôtarô aurait vu une sirène. La grand-mère de Matori l'aurait elle aussi rencontrée il y a plusieurs années, et nombre de plongeurs viennent régulièrement s'aventurer dans les grottes au bout du cap afin de l'apercevoir, au risque de mourir dans les eaux agitées. Car, parait-il, la créature pourrait réaliser les désirs de celles et ceux qui la croisent...
Tout comme dans l'histoire précédente, la mangaka fait appel, dans son récit, à une pointe de surnaturel, ici la sirène, dans le but de servir encore mieux tout un propos autour du mal-être adolescent et familial de ses deux jeunes héros. Derrière sa jovialité et son énergie, l'attachante Matori, au moment où elle a été consolée par Mugi, souffrait d'avoir vu son père partir pour se remarier avec une femme de Tokyo. La situation est un peu inverse pour Mugi: venant de Tokyo, il a suivi sa soeur jusqu'à Okinawa car elle s'est mariée avec Kôtarô. Entre une famille qui se crée pour l'un et une qui se sépare pour l'autre, les deux adolescents sont meurtris en voyant leurs repères soudainement changés, mais tous deux ont une manière un peu différente de réagir face à ça. Depuis qu'elle a été consolée par Mugi, Matori se montre beaucoup plus joviale, quand bien même sa mère découche. Mugi, au contraire, est plus que jamais en pleine crise... Face aux événements, et au contact de la jeune fille, saura-t-il s'ouvrir et trouver sa place ? Dans un cadre assez exotique et estival, et une ambiance teintée de dureté mais où celle-ci est souvent éclipsée par de la légèreté et de la poésie, Ozaki parvient à décrire avec attachement deux jeunes en perte de repères face aux changements de leur entourage, alors même que leurs proches continuent de les aimer et de faire attention à eux. Pour s'en convaincre, il suffit de voir le voeu que la grand-mère de Matori a fait à la sirène...

Au bout du compte, la mangaka frappe encore un joli coup en offrant trois histoires très jolies, que ce soit dans leur atmosphère, dans leurs thématiques, dans leurs visuels fins et leur narration souvent tout en subtilité. Un recueil séduisant, d'autant plus qu'il est servi dans une jolie édition. On y regrettera quand même des problèmes de moirage dans l'impression de certaines pages, et il sera toujours possible de tiquer de voir l'ouvrage classé shônen sans réelle raison (au Japon, rappelons que les trois histoires proviennent d'un magazine shôjo, énième preuve que ce genre ne se limite pas du tout aux amourettes dans lesquelles on l'enferme souvent en France, mais bon...). Mais pour le reste, Patrick Honnoré livre une traduction très soignée, la première page en couleur est un plaisir, le papier est souple et sans transparence, et la jaquette est véritablement superbe avec ses petits effets brillants.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.75 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs