Maladroit de naissance - Actualité manga
Maladroit de naissance - Manga

Maladroit de naissance : Critiques

Umareta Toki kara Hetakuso

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 17 Avril 2020

Juste après la fin de l'ère Showa, donc probablement en 1989 ou 1990, un homme alors fiévreux repensa à un vers du poète Ozaki Hôsai qui l'a beaucoup marqué, puis, une fois guéri, décida de lui-même composer des vers en imitant le style de ce poète. Il aboutit à ces quelques mots: "maladroit de naissance", qui pour lui symbolisaient parfaitement la maladresse dont il faisait preuve dans son travail en agence publicitaire, mais aussi depuis qu'il était tout petit, au fil d'une vie ponctuée de nombreux détours. A force d'y réfléchir, il se souvint alors d'un autre homme à qui ces quelques mots auraient parfaitement correspondu: son propre père, décédé quand il était en terminale. L'homme décida alors, cinq ans après avoir commencé son travail en agence de publicité, de reprendre le dessin afin de dessiner un manga sur son père et lui. C'est ainsi que démarre, sur un très joli premier chapitre d'introduction en couleurs, le récit autobiographie de Makoto Abe... ou, plus exactement, de Yarô Abe, puisque c'est de lui qu'il s'agit.

En ce printemps 2020 troublé par le confinement, Le Lézard Noir reste donc fidèle à l'un de ses auteurs emblématiques, à qui l'on doit l'oeuvre-phare La Cantine de Minuit ainsi que l'étonnant one-shot Mimikaki. Publié en 2016-2017 sous le titre Umareta Toki kara Hetakuso pour le compte du magazine Big Comic Original Zôkan de Shôgakukan, l'oeuvre compte un total de 2 volumes dans son pays d'origine, mais pour l'édition française Le Lézard Noir a choisi de regrouper le tout en un unique tome d'environ 280 pages. Loin de la tranche de vie authentiquement nippone de La Cantine de Minuit, le mangaka livre donc ici son oeuvre la plus personnelle puisqu'il s'agit de sa enfance, mais n'y oublie jamais, en filigranes, un certains portrait d'un mode de vie japonais, le sien et celui de sa famille.

Concrètement, le récit s'étire de 1965, quand Makoto est alors âgé de 3 ans, jusqu'à son année de terminale, marquée par le décès soudain, en 1980, de son père, d'une rupture d'anévrisme au cerveau. Mais en réalité, les années collège et lycée sont très vite évoquées dans le tout dernier chapitre, et le reste se focalise essentiellement sur les années d'école maternelle puis primaire de l'auteur. A travers une narration simple, assez posée, et régulièrement ponctuée de quelques phrases marquantes semblant toujours influencées par Hôsai (à l'image de ce "Maladroit de naissance"), Abe nous livre un récit qui a alors quelque chose d'un brin poétique et, surtout, de substantiellement touchant de par cette simplicité de ton et son ancrage dans un quotidien que l'on prend plaisir à découvrir sous diverses coutures. Il y a bien sûr les différentes évolutions du jeune Makoto à l'école, en famille ou ailleurs: premiers gribouillis quand il était tout petit, naissance de sa petite soeur Izumi, premiers amis, premier rival et premier amour à l'école, étapes scolaires comme le sport ou la fête sportive où il était loin de briller, rencontre avec des cousins pendant les vacances d'été, petits jeux entre copains ou en famille, cancer du sein de sa mère, nouvelle maison, etc etc... Abe brasse le plus simplement du monde nombre de choses qui, pour certaines, pourraient nous rappeler certains moments de notre propre jeunesse, tant il s'agit régulièrement d'étapes que l'on a soi-même pu vivre. En filigranes, il est passionnant d'observer, à travers ce quotidien, un certain mode de vie japonais d'alors, de ces années 70 (grosso modo), tout comme il est intéressant de voir de quelle manière cet enfant a pu vivre, de près ou de loin, certains moments historiques important, comme l'Exposition universelle d'Osaka de 1970 ou la crise pétrolière qui a pu avoir un impact sur la façon de vivre de sa famille et surtout de son père. Et justement, parlons-en, de ce père, dont la présence est quasiment toujours là au fil des pages, de manière plus ou moins marquée. Ses changements de travail, ses moments de gloire ou d'échec professionnel, ses petites habitudes (vis-à-vis de la cigarette et de l'alcool, entre autres), ses réunions entre copains à la maison, sa tendance à toujours se promener en slip ou caleçon dès qu'il est décontracté chez lui, et bien sûr toutes les interactions qu'il pouvait avoir avec son fils et dont ce dernier se souvient (observations pendant qu'il étudie, jeux, petites disputes avec la puberté qui arrive...): Yarô Abe livre, au bout du compte, un portrait assez complet des souvenirs qu'il a de ce paternel, et nous permet bien de ressentir quel genre d'homme il pouvait être. Enfin, c'est avec une forme d'humilité que le mangaka présente ici l'enfant qu'il était, et on découvre un petit garçon souvent maladroit, chétif, qui a longtemps donné lieu à un adolescent puis à un adulte manquant de confiance en lui.

Il s'agit alors d'un beau témoignage précieux, porté par l'habituel style simple, presque un peu naïf dans les silhouettes, et maîtrisé du mangaka, et riche à plus d'un égard.

Concernant l'édition, on ne pourra rien dire puisque cette chronique a été faite à partir d'une épreuve numérique fournie par l'éditeur. Soulignons tout de même, comme toujours, la qualité de la traduction de Miyako Slocombe. Et saluons la très belle postface de Yarô Abe, où il revient sur la manière dont est né son goût pour le manga, grâce à sa correspondance avec un jeune auteur du Jump qui n'a finalement jamais vraiment percé et qu'il est parvenu à retrouver plus de vingt ans plus tard.
   

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs