Mademoiselle Mozart - Manga

Mademoiselle Mozart : Critiques

Mademoiselle Mozart

Critique du volume manga

Publiée le Mardi, 04 Avril 2023

Les moins jeunes d'entre nous se souviennent sans doute de Yoji Fukuyama s'ils ont eu l'occasion de déjà le lire, tant ses oeuvres, qu'on les aime ou non, sont de celles qui marquent par leur côté atypique, leur étrangeté, leur inventivité et leur côté souvent bien déjanté. L'auteur fut un "précurseur" du manga en France en ayant été publié pour la première fois dans notre pays dès 1996 par Casterman avec Don Giovanni, récit qui n'a jamais connu de nouvelle édition depuis, et qui voyait l'auteur reprendre assez fidèlement le célèbre opéra éponyme de Mozart mais avec quelques différences piquantes. Le mangaka revint ensuite, toujours chez Casterman, dans les années 2000, tout d'abord en 2004 avec le foldingue et excellent récit Le Jour du Loup, puis en 2005 avec le diptyque barré Bienvenue au Gamurakan, et enfin en 2006 avec Voyage à Uroshima qui revisitait malicieusement le conte d'Urashima Taro avec une bonne pointe de grivoiserie. Depuis, l'auteur n'avait malheureusement eu aucune actualité dans notre pays, jusqu'à ce que les éditions Atelier Akatombo, décidément avides de faire des choix de publication intéressants, décident de publier l'une de ses pièces-maîtresses en janvier dernier !

Egalement nommé ainsi au Japon, Mademoiselle Mozart est un récit qui fut initialement prépublié en 1989-1990 (juste avant son petit frère spirituel Don Giovanni qui a vu le jour en 1991) dans le magazine Morning des éditions Kôdansha pour un total de trois volumes brochés. Non contente d'être l'oeuvre la plus longue de la carrière de l'auteur, il s'agit également de l'une des plus populaires au Japon, si ce n'est la plus populaire, comme en témoignent ses différentes rééditions, tout d'abord en une nouvelle édition en trois tomes elle aussi en 1995 chez l'éditeur Yudachi-sha, puis en une grosse intégrale en 2002 chez Kawade Shobo Shinsha, et enfin en une nouvelle intégrale en 2021 chez ce même éditeur. C'est sur cette dernière édition que se basse la version française d'Atelier Akatombo.

Et puisque l'on évoque cette version française, signalons tout de suite sa qualité aux petits oignons, à commencer par la traduction bien inspirée de Dominique et Frank Sylvain, qui se sont notamment beaucoup appliqués à faire ressortir la part d'humour décalé du récit, particulièrement en jouant sur différents niveaux de langage allant du très soutenu à l'assez grossier. Le lettrage est propre, les différentes notes de traduction sur les oeuvres citées et sur les personnalités historiques sont plus que bienvenues, le papier bien blanc et souple permet une bonne qualité d'impression malgré une très légère transparence par moments, la jaquette reprend fidèlement l'originale japonaise, la première page en couleurs est appréciable, la maniabilité du livre est simple malgré son épaisseur de plus de 540 pages... Et en prime, ce beau pavé en format seinen standard ne coûte que 10,80€, ce qui est vraiment une excellente surprise quand on compare à certains gros éditeurs, alors qu'Atelier Akatombo reste une maison d'édition indépendante !

Côté histoire, comme son nom le laisse bien deviner, Mademoiselle Mozart a pour base une idée bien précise: et si Wolfgang Amadeus Mozart avait, en réalité, été une femme ? En constatant effectivement tout le génie de sa fille Elisa dès son plus jeune âge, son père Léopold décide, envers et contre tout, d'en faire une grande compositrice... ou, plutôt, un grand compositeur, puisqu'à cette époque la société n'avait que peu d'intérêt pour les génies féminins. Dès lors, la petite fille se retrouve renommée Wolfgang et est obligée, pendant des années, à se comporter comme un homme, à la fois dans ses relations et dans ses vêtements. Mais quand Mozart arrive à l'âge de 25 ans en connaissant déjà un certain succès, les ennuis ne vont évidemment pas tarder à commencer... Dans la société adulte, entre sa montée en popularité et ses relations d'amitié ou d'amour, comment faire pour parvenir à garder son identité secrète ?

Dans un rythme soutenu et maîtrisé qui nous immerge efficacement dans cette intrigue, Yôji Fukuyama exploite à fond son concept pour jouer à la fois sur différents créneaux, différentes ambiances, le plus évident étant sa grosse part d'humour qui donne autant dans le comique minutieux d'un paquet de répliques (souvent grâce à la traduction, comme déjà dit) que dans certaines situations saugrenues, puisqu'il va de soi que certains imprévus et malentendus vont joncher la route de notre personnage principal et de son entourage.

Sur sa base insolite, un autre intérêt est pourtant de voir Fukuyama rester fidèle à toutes les grandes lignes historiques de la vie de Mozart, que ce soit dans la composition de ses différentes oeuvres musicale, ou dans nombre de rencontres de personnalités historiques dont certaines ont eu un impact dans sa vie, à commencer par Constance Weber qui deviendra son épouse ici aussi (si si), le musicien de la cour et chef d'orchestre à l'opéra Antonio Salieri qui, plus qu'un potentiel rival, se dressera comme un amoureux transi doutant du sexe de Mozart, ou encore la cantatrice Caterina Cavalieri. Ces relations auront une influence importante dans le récit et dans la vie à la fois professionnelle et personnelle de notre mademoiselle Mozart, Fukuyama trouvant même le moyen d'offrir une réponse à certaines interrogations (en premier lieu: comment Mozart a pu avoir des enfants avec Constance Weber si jamais il s'agissait d'une femme ?).

Enfin, derrière la part d'humour et d'Histoire à la fois fidèle et revisitée, le sujet est également idéal pour que Fukuyama interroge, même brièvement, la condition de son personnage principal en tant que femme obligée de se faire passer pour un homme. D'un côté, ça en dit long sur cette époque patriarcale où les génies féminins intéressaient peu de monde, obligeant Léopold à faire passer sa fille pour un homme pendant des années afin de lui garantir le succès. Et d'un autre côté, on ressent aussi très bien, à certains moments, la pression imposée à notre héroïne par son père, celle-ci état finalement dans l'impossibilité de vivre comme elle l'entendrait, au point de voir le décès paternel comme une libération.

Enfin, un petit mot sur le dessin, qui est assez typique de l'époque dans ses designs et dans son expressivité, ce qui n'empêche pas le mangaka d'apporter également de grands moments de densité graphique dans les visages et dans les décors d'époque, ainsi que plusieurs angles de vue vraiment bien trouvés et immersifs à souhait, ne serait-ce que quand Mozart grimpe rapidement un escalier de dos avec une vue en légère contreplongée.

A l'arrivée, on a droit, dans un rapport qualité/prix très appréciable, à un récit rondement mené, qui n'a pas volé se réputation de pièce-maîtresse de la carrière de Yôji Fukuyama. Le mangaka jongle habilement entre les différentes facettes de son récit au concept de base malin pour donner lieu à quelque chose de très satisfaisant à lire.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs