Lupin III The Third - Anthology - Manga

Lupin III The Third - Anthology : Critiques

Lupin Sansei

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 17 Septembre 2021

Pour quiconque s'intéresse à l'Histoire du manga et aux oeuvres ayant bouleversé le support, les éditions Kana nous offrent, en ce mois de septembre, ce qui est assurément l'un des principaux événements manga de l'année: le toute première publication en langue française du manga mythique Lupin III.

Comment ? Vous ne connaissez toujours pas ce nom ? Eh bien, laissez donc votre serviteur vous faire un petit topo.
A l'origine de Lupin III, on trouve... Arsène Lupin, le héros cambrioleur imaginé par Maurice Leblanc, qui a passionné nombre de Japonais au point d'en influencer certains, comme Edogawa Ranpo par exemple, mais aussi, bien sûr, le regretté Monkey Punch, créateur du manga dont il est question ici, et décédé le 11 avril 2019 à l'âge de 81 ans. Le III est évidemment un rattachement direct à Arsène Lupin, puisque l'oeuvre présente Lupin III comme le petit-fils du héros de l'oeuvre de Leblanc. C'est en 1967 que les aventures de Lupin III en manga débutent dans le magazine Manga Action de la maison d'édition Futabasha. Mais depuis, sa popularité ne s'est jamais démentie, et la saga Lupin III compte ainsi plusieurs mangas, dessinés ou non par Monkey Punch (qui est généralement crédité comme auteur original sur toutes les oeuvres), dont les plus emblématiques restent Lupin the 3rd (1967-1972, 14 tomes), et Shin Lupin III (1977-1981, 17 volumes), tous deux scénarisés et dessinés par Monkey Punch lui-même. Si bien que, dans les années 2010, le célèbre cambrioleur inspirait toujours pas mal de spin-off manga. En somme, l'oeuvre de Monkey Punch nourrit encore bien des artistes, et plus d'un auteur revendique fortement son influence.
Mais c'est également à travers l'animation que Lupin III s'est fait un nom, avec, depuis 1971, pas moins de 5 séries animées (et une 6e attendue prochainement), une série spin-off consacrée à la captivante Fujiko Mine (sans doute l'un des meilleurs animes de la première moitié des années 2010), de très nombreux téléfilms (de 1989 à 2013, il y en eut un par an), et plusieurs films (dont le plus célèbre est sûrement Le Château de Cagliostro de Hayao Miyazaki), jusqu'à l'année dernière avec l'excellent Lupin III the First.
En France, si l'on excepte la sortie au cinéma en 1981 d'une version charcutée du Secret de Mamo (le tout premier film d'animation de Lupin III), l'oeuvre s'est surtout faite connaître à la télévision avec la diffusion, en 1985 sur la chaîne FR3 de la deuxième série animée (partiellement puisque seuls 52 épisodes sur les 155 ont été doublés en français et diffusés), et sous le nom bien connu chez nous d'Edgar le détective cambrioleur à cause des droits d'auteur sur Arsène Lupin.

Côté histoire... eh bien, c'est assez simple: on suit tout simplement les aventures de Lupin III, petit-fils d'Arsène Lupin, et cambrioleur le plus recherché au monde. Roi du vol et de l'évasion, amateur de gadgets l'aidant bien dans ses missions, il a pour lui une jovialité, un certain cynisme, une fausse maladresse, une malice, une habileté qui le rendent aussi insaisissable qu'attachant, d'autant plus qu'il entouré de quatre "acolytes" quasiment toujours présents dans ses péripéties.
Tout d'abord, Daisuke Jigen, ancien meilleur tueur à gages du monde, as de la gâchette et plus fidèle complice de Lupin III. Plutôt droit, fiable et loyal, il a tendance à beaucoup se méfier des femmes, Fujiko en tête. On voit rarement ses yeux, camouflés sous son chapeau.
Ensuite, Goemon Ishikawa XIII, samouraï renégat de nature calme, faisant partie de la 13e génération de descendants de l'historique voleur/brigand japonais Goemon Ishikawa. Il lui arrive régulièrement de rejoindre Lupin III dans ses coups.
Puis Fujiko Mine, criminelle au charme ravageur, beauté vénéneuse et dangereuse prête à tout pour accomplir ses vols et ses escroqueries, y compris à user de sa beauté pour manipuler et doubler les hommes. Mais entre elle et Lupin subsiste tout de même une relation particulière et exclusive.
Et enfin, Kôichi Zenigata, l'éternel "meilleur ennemi" de Lupin III. Inspecteur de police à la fois très talentueux et trop maladroit, il poursuit constamment sa principale cible jusqu'à en faire souvent une obsession.

L'arrivée si tardive du manga Lupin III peut puiser ses raisons dans diverses choses, en tête desquelles la question des droits d'auteur dans notre pays, qui est le pays d'origine d'Arsène Lupin: longtemps, les héritiers de Maurice Leblanc furent très regardants sur l'exploitation de l'image d'Arsène Lupin dans notre pays, et c'est d'ailleurs pour cette raison que le personnage était autrefois renommée Edgar chez nous. Mais le problème n'a plus lieu d'être depuis 2012, année où Arsène Lupin a fini par tomber dans le domaine public. Mais on peut également imaginer une certaine frilosité des éditeurs français à se lancer dans cette oeuvre ancienne et aux assez nombreux volumes, dans la mesure où le Lupin III du manga est visuellement très ancré dans son époque, et qu'il peut être très différent de l'image joviale que beaucoup de français se sont faite du personnage. En guise de coup d'essai, la publication d'une anthologie n'est donc pas illogique, ne serait-ce que pour tester la réaction du public à la découverte du manga. Et cette anthologie, elle n'est pas anodine puisqu'elle est sortie au Japon en juillet 2019, trois mois après le décès de Monkey Punch, afin de lui rendre hommage.

Concevoir et appréhender une anthologie d'une oeuvre aussi longue et renommée que Lupin III peut être un sacré challenge, mais c'est le défi qu'a relevé Ryûichi Endô, le tout dernier responsable éditorial de Monkey Punch aux éditions Futabasha (l'éditeur historique de Lupin III depuis les débuts). Pour cet ouvrage d'un peu plus 280 pages, celui-ci a sélectionné 11 histoires se voulant assez emblématiques, les dix premières provenant des deux séries les plus connues Lupin the Third et Shin Lupin III, tandis que la dernière, la seule s'étirant sur deux chapitres, provient de Lupin III Shin Bôken. De 1967 à 1978, l'anthologie a ainsi l'occasion de brasser un large spectre de Lupin III.

Endô a effectué une sélection somme toute logique et agencée de manière intéressante et non-chronologique, non seulement afin de proposer une sorte de "best of" plutôt cohérent, mais aussi pour permettre à un public qui ne connaîtrait pas Lupin III d'en saisir la teneur. Ainsi, il est assez logique de voir le livre débuter sur le tout premier chapitre de la série Shin Lupin III (juin 1977) qui permet d'emblée de réunir toutes les principales figures de l'oeuvre, avant de découvrir, en guise de deuxième chapitre, le tout premier chapitre de l'oeuvre de Monkey Punch initialement publié le 10 août 1967. Les chapitres suivants sont également des choix astucieux puisque, à tour de rôle, ils se focalisent un peu plus sur chacun des principaux personnages en mettant en évidence certaines de leurs spécificités: le côté insaisissable de Lupin capable de tous les déguisements, le don au tir de Jigen, la première rencontre avec Goemon, le charme de Fujiko, la persévérance de Zenigata pour attraper sa nemesis même s'il se fait toujours rouler dans la farine... et les histoires suivantes viennent efficacement conclure la sélection en proposant un bon petit pot-pourri de toute la variété de l'univers de Lupin III, avec tantôt des histoires un petit peu plus dures où Lupin est même capable de tuer, ou au contraire des aventures plus légères voire loufoques (dignes du Lupin popularisé en France par le dessin animé diffusé dans les années 1980) dont fait partie la toute dernière. Car il est de notoriété publique qu'il y a "plusieurs Lupin", tant Monkey Punch a pu évoluer au fil des années dans sa manière de voir son propre personnage.

A présent, un mot sur le style de Monkey Punch, qui pourra demander un temps d'adaptation, mais qui conserve un charme bien à lui plusieurs décennies plus tard. Déjà, il faut signaler qu'il convient de remettre l'oeuvre dans son époque puisque, de nos jours, quelques détails pourraient passer plus difficilement, même si pour le coup cette anthologie reste "soft" (par exemple, on sait que Lupin III peut parfois être très insistant avec la gent féminine, mais ici ça reste raisonnable). La narration, elle, doit composer avec la brièveté des histoires, au point de parfois prendre de gros raccourcis afin d'aller à l'essentiel, mais très souvent Monkey Punch contrebalance ça avec une bonne gestion des rebondissements et certains chutes malignes. Enfin, sur le plan purement visuel, l'oeuvre est à des années-lumières des standards d'aujourd'hui, mais possède bien souvent un charme fou. Certains tiqueront peut-être sur l'inégalité des visages, entre autres, mais le fait est que Monkey Punch, surtout pour l'époque, montre un paquet d'idées de mise en scène, de mouvements, de découpages, qui rendent toujours l'ensemble entraînant à souhait.

Enfin, il convient de dire quelques mots sur l'édition française de cette anthologie, en commençant par les bons points: la traduction de Frédéric Malet colle très bien à l'univers de Lupin III, le lettrage est propre, la jaquette évite toute fioriture et a le bon goût de reprendre le logo emblématique de Monkey Punch, le grand format est vraiment appréciable afin de profiter du travail de l'auteur dans de meilleures conditions, la présence du mot d'Endô en milieu de tome est appréciable pour cerner sa démarche dans sa sélection, et l'impression est dans l'ensemble très honnête même si l'éditeur, comme précisé au tout début de l'ouvrage, a parfois dû composer avec du matériel de moyenne qualité. Là où le bât blesse, en revanche, c'est dans la finesse du papier qui fait qu'il y a souvent une transparence, et dans l'absence totale de textes de présentation et/ou de contextualisation (cette absence étant peut-être une volonté des ayant-droits japonais).

Au final, il n'y a évidemment pas de quoi bouder son plaisir avec cette toute première incursion du mythique manga de Monkey Punch dans notre pays, et il n'y a plus qu'à espérer que cette grande première sera suivie par d'autres publications. Une deuxième anthologie est prévue au Japon le 10 octobre 2021, mais bon, rêvons plutôt d'une future publication française de l'ensemble de l'oeuvre...
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.75 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs