Lune s'ennuie (la) : Critiques

Satoe Tone n'en est plus à son coup d'essai. Elle a beau avoir une carrière encore jeune, l'artiste compte désormais une dizaine d'albums jeunesse publiés en France, pour autant de voyages visuels captivants. Après Le Voyage de Pippo qui avait obtenu la note, très rare sur notre site, de 20/20, puis Où est mon étoile ? qui fut tout aussi séduisant, elle revient pour la 3ème fois aux éditions nobi nobi ! avec La Lune s'ennuie, un album conçu en 2016 et où, cette fois-ci, elle est uniquement illustratrice. En effet, l'histoire a été imaginée par Nanae Aoyama, une jeune écrivaine qui est surtout connue dans son pays pour ses romans, et qui a déjà gagné quelques prix. La Lune s'ennuie est sa première publication française.

Voici des millénaires, et même bien plus, que la Lune, depuis le ciel, veille constamment sur la Terre. Seule. Ou presque. Il y a bien, de temps à autre, un astronaute qui vient la visiter, mais c'est rare. Alors, pour se sortir de son ennui, elle décide de se faire toute petite, pas plus grosse qu'une balle, pour aller voir de plus près cette planète bleue sur laquelle elle veille toujours de loin, afin d'en découvrir les richesses, mais aussi dans l'espoir de revoir son ami astronaute qui était venu la voir il y a bien longtemps de cela...

Depuis notre Terre, chaque nuit, nous avons l'occasion d'observer et d'admirer, de loin, l'astre lunaire quasiment inatteignable, qui n'en finit pas de nous émerveiller. Mais du côté de la Lune, qu'en est-il ? C'est sur cette base que Nanae Aoyama a imaginé un récit où la Lune prend vie et part en voyage à la découverte de notre belle planète bleue, que jusqu'à présent, un peu comme nous le faisons quand nous l'admirons de nuit dans le ciel, elle n'a pu apprécier que de loin, et beaucoup trop souvent seule. En nous plongeant aux côtés de la Lune, et en nous immisçant dans ses pensées (c'est elle qui raconte l'histoire), l'écrivaine nous offre alors un tout autre point de vue sur notre planète. Il y a bien sûr, en premier lieu, la beauté bleue que la Terre dégage depuis l'espace. Mais dès qu'elle s'approche de notre planète et qu'elle arrive à sa surface sous la forme d'une petite balle lumineuse, ce sont nombre d'autres choses que la Lune découvre de très près. La vivacité entraînante d'enfants qui jouent avec elle, les pleurs d'un bébé qu'elle console, les animaux qui l'emportent sur terre ou dans le ciel, les fonds marins... Les petites villes, les grandes métropoles, la campagne, les fonds marins, la savane... sont autant des nombreuses richesses que l'astre entrevoit, en ne manquant pas de nous rappeler à quel point notre planète est vaste, riche et belle, porteuse d'énormément de jolies choses sur lesquelles il faut veiller.

Mais cet album est aussi le récit d'une amitié en apparence perdue et que l'on veut retrouver. Celle que la Lune, si souvent seule, a entretenue avec l'astronaute venue autrefois la visiter... Après tant d'années, parviendra-t-elle à le retrouver sur cette vaste Terre ? Et si oui, que fera-t-elle ? restera-t-elle avec lui ? Ou retournera-t-elle briller dans le ciel, pour veiller sur lui et sur les autres terriens, à l'heure où ceux-ci semblent attendre patiemment le retour de sa lueur nocturne ? On a alors l'histoire d'une amitié belle, survivant au temps, à la distance et aux souvenirs, et contrant la solitude. La Lune n'a pas fini de veiller sur nous de loin, fidèle au poste...

Il est intéressant de voir que même si Satoe Tone n'a pas écrit cet album, on y retrouve bon nombre de choses qu'elle a elle-même souvent développées dans ses histoires. Il y a l'aspect de quête initiatique, où le personnage principal suit un périple à la découverte de nombreuses choses, avec au bout du compte la naissance ou l'entretien d'une amitié forte, bien que mise à mal par les aléas (dans le Voyage de Pippo il y avait notamment la perte des rêves et la solitude, dans Où est mon étoile ? il y avait la perte d'un être cher, ici il y a la distance et le temps). Mais il y a aussi la présence d'une atmosphère très onirique, très souvent présente dans les oeuvres de Tone. Ici, on a pour héroïne la Lune, un astre qui a toujours été un parfait symbole de rêve et de voyage, donc à partir de là l'illustratrice est totalement dans son univers et peut déballer ses qualités habituelles.

Ainsi, chaque illustration est une invitation à un voyage onirique, poétique, bienveillant, doux et apaisant, à la découverte des beautés terriennes et de jolis liens que l'illustratrice dépeint avec son style habituel. Ici, l'album est surtout dominé par deux couleurs : le bleu, représentatif des beautés de notre planète et du soir (période de la journée où la Lune est censée briller), et le jaune, souvent celui de la lumière que l'astre lunaire apporte. Chaque planche est très travaillée, Tone y apporte de nombreux motifs et, surtout, de nombreuses nuances et teintes différentes. Elle joue également très bien avec la lumière de cette petite boule qu'est la Lune, pour apporter de superbes contrastes, ou pour l'immiscer malicieusement dans les décors (par exemple, à la place d'une ampoule dans un réverbère, à la place d'une perle dans une coquille de crustacé des fonds marins...). Chaque illustration est un régal, on peut s'y plonger longuement pour en apprécier l'atmosphère et le travail de composition, et c'est d'autant plus beau et immersif qu'elles sont toutes en pleine page et double-page et que le très grand format de l'album leur rend honneur.

Ce magnifique voyage est servi dans une édition de très grande qualité. La couverture bénéficie d'éléments brillants qui attirent l'oeil, et l'illustration choisie pour celle-ci donne déjà une bonne idée de ce dont Satoe est capable en termes de composition, de motifs, de nuances et de contrastes. A l'intérieur, le papier et l'impression sont impeccables, et la traduction de Myriam Dartois-Ako sert parfaitement le récit.