Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 07 Mars 2022
Initialement prévu pour la mi-février avant de connaître un report aux tout premiers jours de ce mois de mars, Le Livre des Sorcières vient enrichir la collection seinen des éditions Glénat et nous permet de découvrir pour la première fois en France la mangaka Ebishi Maki, une autrice qui, en près d'une quinzaine d'années de carrière au Japon, n'a signé que 6 séries plus ou moins longues (ainsi que quelques histoires courtes), en alternant essentiellement entre yaoi et drames psychologiques ou historiques. Dans cette bibliographie, son oeuvre la plus connue (et aussi la plus longue) est sûrement Tenchi Meisatsu, série en 9 volumes où elle adapte un roman sur fond historique multi-récompensé du célèbre Tou Ubukata. mais c'est bien avec son manga le plus récent qu'elle débarque pour la première fois dans notre langue.
De son nom original Majo wo mamoru (littéralement "Protégez les sorcières"), Le Livre des sorcières est une série achevée en trois volumes, que l'autrice a dessinée de 2017 jusqu'à la fin de l'année 2020 pour l'éditeur Asahi Shinbun, et plus précisément au sein du magazine Nemuki+, un magazine peu représenté en France mais dont provient aussi, entre autres, le manga Sensor de Junji Ito. Au programme de cette oeuvre, une plongée dans l'Europe d'il y a quelques siècles.
Plus précisément, nous voici en 1551, au coeur du Saint-Empire romain germanique, et plus précisément dans les Duchés unis de Juliers-Clèves-Berg. C'est là que le médecin Jean Wier, après avoir ausculté la soeur du Duc Guillaume de Clèves, se voit confier une mission précise par ce dernier: empêcher l'Inquisition, alors forte de ses "jugements" brutaux et arbitraires autour notamment de la "chasse aux sorcières", de faire des ravages sur ses terres. Et pour ça, voici le jeune homme envoyé dans un village de campagne où, dit-on, une jeune fille du nom de Marthe aurait été mordue par un loup-garou. Sur place, Wier doit démêler le vrai du faux, enquêter pour faire comprendre aux villageois le non-fondement de la rumeur du lycanthrope, mais cela s'annonce plus difficile à dire qu'à faire face à une population qui frémit toujours plus face à l'idée de la présence de serviteurs du diable parmi elle...
Tel est, dans les grandes lignes, le pitch de base, mais il est de bon ton de signaler que le récit est loin de se limiter à une simple chasse au suppôt de Satan, en premier lieu pour une raison: bien que l'éditeur n'ait étrangement pas jugé utile de le préciser dans son succinct synopsis en 4e de couverture, l'oeuvre se présente avant tout comme un récit assez rigoureux sur le pur plan historique, puisque Jean Wier a bel et bien existé et est notamment resté dans l'Histoire comme l'un des plus fervents opposants à la chasse aux sorcières et, plus généralement, à l'obscurantisme religieux de son époque. A partir de là, sur la base de cette affaire de lycanthrope dans une village, Ebishi Maki va croquer un récit jouant, selon les chapitres, entre deux périodes: le présent du récit d'un côté, et de l'autre le passé qui va réveiller peu à peu les plus vieux souvenirs et démons du parcours de Wier, ce qui sera l'occasion d'aborder petit à petit tout ce qui a fait de lui le médecin qu'il est devenu, en passant notamment par un souvenir qui le hante profondément concernant une nymphe qui l'aurait possédé dans son enfance, par son apprentissage auprès de Henri-Corneille Agrippa de Nettesheim (qui a, lui aussi, bel et bien existé), et par sa confrontation à la tragédie humaine de grande ampleur que fut la peste noire.
Loin d'être un manga purement fictif, l'oeuvre se veut donc une fiction ancrée dans un cadre rigoureusement historique, que l'on devine sérieusement documentée pour aborder avec crédibilité le cadre de l'époque: le contexte religieux d'alors (avec des antagonismes religieux marquée notamment par la réforme protestante), tout ce que cela implique de conflits d'intérêts et de croyances, la suprématie d'une Inquisition tuant nombre d'innocents par obscurantisme, une certaine vision de ce que pouvait être la médecine à cette époque... et, donc, la lutte de notre personnage principal face à ces chasses aux sorcières, aux loups-garous et plus généralement à ce que les inquisiteurs et leurs serviteurs qualifient de "diaboliques" pour mieux susciter la peur des habitants et justifier leurs actes. La mangaka en profitant alors pour aborder aussi cette faiblesse typiquement humaine perdurant encore aujourd'hui, à savoir la façon dont les hommes peuvent devenir sombre et violents dès qu'une "graine de terreur" est plantée en eux, une terreur résultant souvent des rumeurs propageant la peur, ou de la crainte abusive face à ce qui leur semble inexplicable, inconnu ou étranger.
Ebishi Maki parvient alors, sur un fond historique travaillé et rigoureux, à développer un récit immersif et intrigant... mais dont il faudra toutefois attendre de voir tous les tenants et aboutissants. Car pour l'instant, l'autrice se contente surtout de jongler entre cette affaire de loup-garou et le passé de Jean Wier, ce qui constitue certes une très bonne mise en place approfondissements bien le personnage principal ainsi que le contexte, mais une mise en place où les enjeux du scénario ont encore tout à démontrer. Peut-être que le tome 2, paru en même temps que ce premier volume, permettra de déjà nous donner une meilleure idée de l'orientation de cette courte oeuvre ? En attendant de le découvrir, on suit ce premier opus de plus de 230 pages avec un intérêt certain. Et cela, malgré une narration parfois plan-plan et un dessin tantôt très efficace tantôt plus pauvre (les décors restent très souvent des plus basiques, et certaines planches s'avèrent plutôt pauvres).
Enfin, un mot sur l'édition française, plutôt honnête dans l'ensemble. De l'extérieur, la jaquette soignée et le grand format offrent un certain cachet à l'objet, quand bien même ce grand format ne se justifie pas forcément au vu du rendu visuel souvent banal. Et à l'intérieur, tandis que l'on regrettera la finesse d'un papier parfois trop transparent, on appréciera une traduction claire de Djamel Rabahi ainsi qu'un lettrage suffisamment soigné.
De son nom original Majo wo mamoru (littéralement "Protégez les sorcières"), Le Livre des sorcières est une série achevée en trois volumes, que l'autrice a dessinée de 2017 jusqu'à la fin de l'année 2020 pour l'éditeur Asahi Shinbun, et plus précisément au sein du magazine Nemuki+, un magazine peu représenté en France mais dont provient aussi, entre autres, le manga Sensor de Junji Ito. Au programme de cette oeuvre, une plongée dans l'Europe d'il y a quelques siècles.
Plus précisément, nous voici en 1551, au coeur du Saint-Empire romain germanique, et plus précisément dans les Duchés unis de Juliers-Clèves-Berg. C'est là que le médecin Jean Wier, après avoir ausculté la soeur du Duc Guillaume de Clèves, se voit confier une mission précise par ce dernier: empêcher l'Inquisition, alors forte de ses "jugements" brutaux et arbitraires autour notamment de la "chasse aux sorcières", de faire des ravages sur ses terres. Et pour ça, voici le jeune homme envoyé dans un village de campagne où, dit-on, une jeune fille du nom de Marthe aurait été mordue par un loup-garou. Sur place, Wier doit démêler le vrai du faux, enquêter pour faire comprendre aux villageois le non-fondement de la rumeur du lycanthrope, mais cela s'annonce plus difficile à dire qu'à faire face à une population qui frémit toujours plus face à l'idée de la présence de serviteurs du diable parmi elle...
Tel est, dans les grandes lignes, le pitch de base, mais il est de bon ton de signaler que le récit est loin de se limiter à une simple chasse au suppôt de Satan, en premier lieu pour une raison: bien que l'éditeur n'ait étrangement pas jugé utile de le préciser dans son succinct synopsis en 4e de couverture, l'oeuvre se présente avant tout comme un récit assez rigoureux sur le pur plan historique, puisque Jean Wier a bel et bien existé et est notamment resté dans l'Histoire comme l'un des plus fervents opposants à la chasse aux sorcières et, plus généralement, à l'obscurantisme religieux de son époque. A partir de là, sur la base de cette affaire de lycanthrope dans une village, Ebishi Maki va croquer un récit jouant, selon les chapitres, entre deux périodes: le présent du récit d'un côté, et de l'autre le passé qui va réveiller peu à peu les plus vieux souvenirs et démons du parcours de Wier, ce qui sera l'occasion d'aborder petit à petit tout ce qui a fait de lui le médecin qu'il est devenu, en passant notamment par un souvenir qui le hante profondément concernant une nymphe qui l'aurait possédé dans son enfance, par son apprentissage auprès de Henri-Corneille Agrippa de Nettesheim (qui a, lui aussi, bel et bien existé), et par sa confrontation à la tragédie humaine de grande ampleur que fut la peste noire.
Loin d'être un manga purement fictif, l'oeuvre se veut donc une fiction ancrée dans un cadre rigoureusement historique, que l'on devine sérieusement documentée pour aborder avec crédibilité le cadre de l'époque: le contexte religieux d'alors (avec des antagonismes religieux marquée notamment par la réforme protestante), tout ce que cela implique de conflits d'intérêts et de croyances, la suprématie d'une Inquisition tuant nombre d'innocents par obscurantisme, une certaine vision de ce que pouvait être la médecine à cette époque... et, donc, la lutte de notre personnage principal face à ces chasses aux sorcières, aux loups-garous et plus généralement à ce que les inquisiteurs et leurs serviteurs qualifient de "diaboliques" pour mieux susciter la peur des habitants et justifier leurs actes. La mangaka en profitant alors pour aborder aussi cette faiblesse typiquement humaine perdurant encore aujourd'hui, à savoir la façon dont les hommes peuvent devenir sombre et violents dès qu'une "graine de terreur" est plantée en eux, une terreur résultant souvent des rumeurs propageant la peur, ou de la crainte abusive face à ce qui leur semble inexplicable, inconnu ou étranger.
Ebishi Maki parvient alors, sur un fond historique travaillé et rigoureux, à développer un récit immersif et intrigant... mais dont il faudra toutefois attendre de voir tous les tenants et aboutissants. Car pour l'instant, l'autrice se contente surtout de jongler entre cette affaire de loup-garou et le passé de Jean Wier, ce qui constitue certes une très bonne mise en place approfondissements bien le personnage principal ainsi que le contexte, mais une mise en place où les enjeux du scénario ont encore tout à démontrer. Peut-être que le tome 2, paru en même temps que ce premier volume, permettra de déjà nous donner une meilleure idée de l'orientation de cette courte oeuvre ? En attendant de le découvrir, on suit ce premier opus de plus de 230 pages avec un intérêt certain. Et cela, malgré une narration parfois plan-plan et un dessin tantôt très efficace tantôt plus pauvre (les décors restent très souvent des plus basiques, et certaines planches s'avèrent plutôt pauvres).
Enfin, un mot sur l'édition française, plutôt honnête dans l'ensemble. De l'extérieur, la jaquette soignée et le grand format offrent un certain cachet à l'objet, quand bien même ce grand format ne se justifie pas forcément au vu du rendu visuel souvent banal. Et à l'intérieur, tandis que l'on regrettera la finesse d'un papier parfois trop transparent, on appréciera une traduction claire de Djamel Rabahi ainsi qu'un lettrage suffisamment soigné.