Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 13 Décembre 2023
Parmi les nombreux mangas isekai, et plus globalement les titres adaptés des romans narô-kei, le concept de la "vilaine" a pris une place importante, à tel point qu'on pourrait le considérer comme un sous-genre à part entière. Dans le manga comme dans le webtoon, cette mécanique a largement su trouver son public, si bien que celle-ci s'exporte de plus en plus au format de l'animation, via des séries qui adaptent les fameux romans en question.
L'un des représentants les plus populaires aujourd'hui est très certainement "I'm in Love with the Villainess", initialement un web novel écrit par l'autrice Inori, qui fut ensuite transposé en un light novel dès l'année suivante, illustré par Hanagata. Conclu en 5 tomes au Japon, le roman est disponible chez nous depuis 2021 chez l'éditeur LaNovel, avec trois opus disponibles dans nos librairies. En cette année 2023, l'œuvre profite même de sa propre adaptation animée produite par le studio Platinum Vision, et qui s'achèvera le 19 décembre au terme de son 12e épisode. On peut d'ailleurs émettre l'hypothèse qu'il ne s'agit que d'une première saison, et que la suite sera rapidement annoncée. Les jours et semaines à venir nous le diront !
Mais ce qui nous intéresse en ces lignes, c'est bien l'adaptation manga de l'œuvre écrite par Inori. C'est en 2020 (soit un an après le lancement du récit au format light novel) que le magazine Comic Yurihime des éditions Ichijinsha accueille une adaptation manga du roman. Celle-ci est confiée à Shimo Aono, mangaka qui a d'abord participé à une anthologie autour de Fate/Grand Order avant de dessiner sa première série en 2018, Nihon he Yôkoso Elf-san, elle-même adaptée du light novel écrit par Makishima Suzuka et illustré par Yappen. Sans doute est-ce avec cette expérience que l'artiste est repérée, est s'est vue confier la présente adaptation manga qui dénombre à ce jour 7 tomes au Japon. De notre côté, Meian lance la parution du titre en ce mois de décembre 2023, un bon timing afin de coller à la diffusion de l'adaptation animée, et un beau cadeau de Noël aux fans de la licence. Comble du bonheur pour ces lecteurs : les deux premiers opus sont sortis en simultanée dans nos librairies, une coutume chez l'éditeur.
L'intrigue nous présente Rei Ôhashi, une employée tout à fait ordinaire, dont la routine s'apparente au métro, boulot, dodo. Néanmoins, la jeune femme a un péché mignon grâce auquel elle parvient à s'évader quotidiennement : Revolution. Derrière ce titre se cache un otome game, un jeu qui consiste à séduire l'un des trois beaux princes de l'académie royale de magie. Seulement, Rei a une nette préférence pour Claire François, ou plutôt Dame Claire, élève issue de la noblesse au fort caractère, qui est aussi la méchante du jeu. Soudainement, Rei se trouve transportée dans l'univers du jeu sous les traits de l'héroïne, Rae Taylor. Et autant dire que la fan compte bien montrer sa passion débordante pour Claire, quitte à se mettre à dos celle-ci, au point que la jeune noble se mette à la rejeter à grand renfort de harcèlement. Mais pour Rae, aucun souci, ceci marquant le départ d'une nouvelle vie et d'un quotidien scolaire peu ordinaire...
I'm in Love with the Villainess a pour lui son pitch peu ordinaire. Dans l'histoire écrite par Inori, le personnage principal n'est pas la méchante, mais bien l'héroïne du jeu qui jette son dévolu sur la fameuse vilaine. Les rôles semblent différents de ce qu'on a l'habitude de voir, ce qui promet un titre plein de fraicheur.
Mais à côté, l'intrigue présente aussi une certaine audace par la relation présentée. Loin d'être une romance classique, celle-ci croque les deux personnages centraux dans le cadre académique, via moult situations humoristiques qui prennent le risque de jouer avec l'idée du harcèlement. Car de prime abord, l'idée de l'autrice est particulièrement sensible : Rae incite l'élue de son coeur à la harceler, ce que cette dernière fera avec enthousiasme pour tenter d'éloigner celle qui la colle. Mais la protagoniste elle-même opère une obsession qui se rapproche aussi du harcèlement, rendant la relation certes unique, mais au point de pouvoir en rebuter beaucoup par son concept.
Pourtant, la réussite de ce début de série vient d'un certain équilibre apporté, et le développement de cette entente qui va progressivement plus loin que la situation de base. Au fil des chapitres, il se développe quelque chose de plus sincère et touchant, chaque personnage prenant un peu plus de densité à chaque épisode, de manière à faire sortir leur "union" de ce cadre de harcèlement réciproque qui aurait pu être particulièrement gênant. Les dernières pages laissent croire que la série ne se laissera pas aller à la facilité et fera bouger les choses vers l'avant, ce qui donne l'envie de tenter illico le deuxième volume, publié en même temps que le premier.
Et au-delà de la romance, l'autrice plante différents ingrédients qui permettront peut-être, à terme, à l'œuvre d'aller plus loin. La place des trois princes est bien traitée, de même que quelques mécaniques d'un univers qui reste toutefois encore un peu vague. Est-ce que la série aura l'ambition d'aborder tout ça en détail, de manière à impacter directement le binôme/couple central ? On se le demande, et c'est tout le bien qu'on souhaite à la série. En tout cas, parce que l'autrice a la bonne idée de jouer avec les connaissances parfaites de Rae du jeu d'origine, on sait que "I'm in Love with the Villainess" a le potentiel pour aller plus loin.
Du côté de la patte graphique de Shimo Aono, si son trait demeure assez classique, il gagne en qualité lors des moments plus intimes, et donc forcément plus touchants. Ce sont donc les dernières pages de l'ouvrage qui proposent quelque chose de plus fort, là où le découpage et la narration sont encore un peu trop sages pour le moment.
Au final, ce premier opus offre une belle amorce, évitant des pièges qui auraient pu légitimement chasser le lectorat, pour offrir une romance fantastique plus complexe qu'il n'y paraît au départ. Du moins, c'est ce qu'on espère de la série sur le long termes. À noter que le fait que le light novel d'origine soit déjà conclu est plutôt rassurant, aussi on espère que cette adaptation manga pourra aller jusqu'au bout de l'œuvre d'Inori.
En ce qui concerne le travail éditorial, Meian offre sa traditionnelle belle copie via un ouvrage aux finitions plus que convaincantes. Signée Leonore Carrascosa, la traduction s'avère convaincante et apte à retranscrire l'énergie d'origine de l'œuvre. Saluons aussi le lettrage bien calibré de Justine Mouron.