Histoires Courtes de Segawa Tamaki - Manga

Histoires Courtes de Segawa Tamaki : Critiques

Sanmon Shôsetsushû Segawa Tamaki Sakuhinshû

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 22 Décembre 2023

Annoncé par Noeve Grafx en décembre 2021 pour une sortie initialement prévue en juin 2022, le recueil d'histoires courtes de Tamaki Segawa est finalement enfin arrivé dans les librairies françaises au début de ce mois de décembre 2023. Comme son nom le laisse bien deviner, cet ouvrage d'environ 170 pages, sorti au Japon en août 2021 aux éditions Kadokawa, regroupe des récits conçus par Tamaki Segawa, un auteur nippon dont c'est le tout premier (et toujours unique à ce jour) livre et qui vit actuellement à Toronto au Canada.

Le tome regroupe deux histoires dont la première, riche de trois chapitres pour un total d'environ 130 pages, fut initialement prépubliée en 2021 dans le magazine Comic Bridge, un magazine également connu en France pour avoir accueilli le sublime récit My Broken Mariko (éditions Ki-oon). On y découvre Keigo, un homme qui, alors qu'il avait quitté sa campagne natale pour fuir un douloureux passé, est rattrapé par ses retrouvailles avec une connaissance pour le moins abjecte, faisant partie de ces connards qui aiment déballer la vie des autres sans retenue et les juger sans rien savoir de leur vie. Désabusé, seul, pouvant passer pour un minable auprès des autres, il trouve refuge dans un bar qu'il fréquente de temps à autre, et c'est là qu'il croise la route d'une femme qui va changer sa vie: écrivaine de son état, elle ne le juge pas comme les autres, semble l'observer avec attention, a même des mots justes qui touchent son coeur, si bien qu'au bout de cette soirée passée à discuter ils finissent tout naturellement dans le même lit. Mais alors qu'il espère un peu la revoir en vain, c'est finalement par le biais de la télévision, et de façon un peu choquante pour lui, qu'il réentend parler d'elle et décide, furieux, d'aller à sa rencontre. Mais quel sera le résultat de ces retrouvailles ? La réponse est assez captivante, dans la mesure où Segawa parvient à développer cette situation en abordant un paquet de choses positives comme négatives autour de l'humain mais aussi de l'écriture, et plus spécifiquement du rapport d'un auteur à son oeuvre. Sur ce dernier point, il est notamment question des inspirations dans la réalité pour mener à l'acte créatif, de ce que cela peut impliquer, et de l'instant où l'oeuvre, en étant publiée, n'appartient plus totalement à son auteur. Mais c'est vraiment sur le plan humain que le mangaka fascine le plus à sa manière: dans un style rappelant notamment Jun Mayuzuki (et plus spécifiquement son anthologie sortie aux éditions Kana en tout début d'année), Segawa sonde les interstices de ses personnages pour en révéler à la fois les facettes les plus variées et pour en faire ressortir les aspects les plus séduisants. Ainsi, Aya, tour à tour séductrice à laquelle il est impossible de résister, capricieuse délurée et manipulatrice insondable, fait partie de ces figures exerçant un pouvoir d'attraction d'autant plus irrésistible que cela semble surtout devoir cacher leur propre mal-être. Alors, ces deux "coquilles vides" sauront-elles réellement combler ensemble un part de ce qui leur manque ? Avant d'y parvenir, il leur faudra aussi réussir à mettre des mots sur ce qu'ils ressentent (l'occasion d'évoquer certaines difficultés à bien communiquer ses émotions), comprendre ce qu'ils cachent derrière leur façon de s'utiliser et de se mentir, et se confronter aux dérives du sentiment que l'on appelle amour, entre désir, possessivité et jalousie. L'auteur emballe tout ceci avec une pointe d'érotisme ayant son sens, dans la mesure où elle colle au besoin des personnages d'apprendre à se mettre à nu.

Bien plus courte avec ses 38 pages, la deuxième histoire est celle qui a marqué le début de carrière de Segawa en 2018, en lui permettant, après bien des refus d'éditeurs pour d'autres récits, de remporter le prix d'encouragement du Prix Tetsuya Chiba cette année-là. On y découvre Ryôhei et Yoshitaka Shimizu, deux frères célibataires qui vivent ensemble. Bien qu'âge de 26 ans, Ryôhei vit toujours aux crochets de son grand frère et en ressent un poids, mais celui-ci ne lui en tient pas rigueur et tente même de lui donner confiance en lui, en saluant ses qualités d'écrivain qui perdurent depuis sa jeunesse, ce qui sera évidemment l'occasion pour Segawa d'évoquer un petit peu le statut d'auteur. Or, quand un éditeur contacte Ryôhei pour publier en livre un roman qu'il proposait sur internet, les choses vont prendre un nouveau virage pour les deux frère et, sans en dire trop, révéler là aussi les interstices de leur âme avec une finesse d'écriture tout à fait remarquable.

Il y a alors de quoi espérer vite revoir d'autres mangas de ce jeune auteur, tant on distingue ici, dans chacune de ses deux histoires, un véritable talent pour sonder les nuances de l'être humain, mais aussi pour évoquer un paquet de choses annexes notamment sur la création ou sur certaines affres des gens en société. Un petit coup de coeur qui, en plus, est servi dans une superbe qualité d'édition, à commencer par une jaquette qui, tout en restant fidèle à l'originale japonaise, est vraiment aux petits oignons avec ses volutes en vernis sélectif entourant Keigo et sa traduction soignée de tous les éléments textuels qui s'y trouvent. A l'intérieur du livre, on a droit à un papier souple et assez opaque, à une bonne impression malgré quelques légers moirages sur certaines pages, à un lettrage soigné de Clair Obscur, et à une excellente traduction effectuée par Pierre Giner.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction