Hellbound - L'enfer Vol.1 - Actualité manga

Hellbound - L'enfer Vol.1 : Critiques

The Hellbound

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 11 Novembre 2021

Lancé en début d'année, le label Kbooks des éditions Delcourt s'est sans contexte positionné comme un fer de lance de la publication, en format papier, de webtoons renommés, webtoons généralement publiés auparavant dans leur format numérique originel sur la plateforme verytoon (appartenant aussi à Delcourt). Porté par le grand succès de la série d'aventure/fantasy Solo Leveling (dont le tome 1 fut sa première publication en avril dernier), le label a ensuite entrepris de proposer différents styles, en s'appuyant toujours sur des oeuvres réputées. En ce mois de novembre, c'est sans aucun doute une pièce de choix qui nous arrive avec Hellbound, sous-titré à juste titre L'Enfer.

Hellbound est une oeuvre qui fut conçue en 2019-2020 pour le compte de la plateforme coréenne Naver, et dont la publication papier est vouée à comporter deux épais volumes, le premier des deux totalisant d'ailleurs un peu plus de 310 pages. Le signe particulier de l'oeuvre ? Eh bien, elle réunit deux artistes coréens bien connus chez nous et qui ont souvent tâché de mettre en évidence les tares de la société coréenne et, plus généralement, les affres de la société humaine. D'un côté, le dessinateur de bande dessinée Choi Kyu-sok, déjà connu en France pour quelques one-shot (Nouilles Tchajang sorti chez Kana, Le Marécage et L'amour est une protéine parus chez Casterman) et surtout, plus récemment, pour la percutante satire sociale Intraitable publiée aux éditions Rue de l'échiquier. Et de l'autre côté, au scénario, Yeon Sang-ho, un nom qui s'est fait connaître mondialement en 2016 pour l'excellent film Dernier train pour Busan, qui avait ensuite moins convaincu avec sa "suite" Peninsula, mais qui avait déjà, avant ça, offert des films forts dans le domaine de l'animation avec The King of Pigs (2011), The Fake (2013) et Seoul Station (2016). Le point commun de toutes ces réalisations étant d'utiliser la part de thriller/horreur percutante pour faire ressortir des problèmes de société. Nous n'avons d'ailleurs pas fini d'entendre parler de Hellbound puisque Yeon Sang-ho en a lui-même assuré la réalisation d'une adaptation live en 6 épisodes qui débarquera sur la plateforme Netflix dans seulement quelques jours, le 19 novembre (la version papier arrive donc chez nous au meilleur timing). Et en attendant de voir si cette mini-série live sera à la hauteur des attentes, on peut déjà affirmer que le webtoon d'origine place la barre très haute.

Dans Hellbound, tout commence d'une manière presque trop calme, au sein d'un café de Séoul, un matin où tout semble comme d'habitude... du moins, jusqu'à ce que des "boum boum" se rapprochent à grands pas de manière inquiétante, en faisant particulièrement transpirer de peur un homme. Celui-ci a bien raison d'avoir peur: soudainement, les vitres du café sont explosées par trois étranges et colossales silhouettes humanoïdes surpuissantes (ressemblant très vite fait à des Ajin dans le manga éponyme, pour donner une vague idée de leur look) qui, en un rien de temps, vont le lyncher jusqu'à ce que mort s'ensuive et que le corps soit laissé brûlé, déchiqueté, dans un état misérable. Cette introduction-choc passée, les informations peuvent tomber: voici quelques années que, dans le monde, des personnes a priori quelconques (entre 100 et 150 ont été répertoriées) reçoivent soudainement une notification, via l'apparition d'une tête transparente, leur signifiant qu'elle sera bientôt violemment emportée en Enfer, et l'informe du temps qu'il lui reste à vivre. La future victime n'a alors plus qu'à attendre son heure, dans la crainte, en se demandant éventuellement si tout ça et vrai et ce qu'elle a bien pu faire pour mériter un tel châtiment. Et l'homme du café étant la première victime répertoriée sur le sol sud-coréen, il n'en faut pas plus pour que tout le pays s'embrase. Les réseaux sociaux sont en ébullition avec le partage de vidéos de cette exécution publique. Mais, surtout, c'est sur le plan religieux que des voix s'élèvent. "Neo Veritas", un groupe religieux émergent, voit son leader Jeong Jinsu évoquer le fait qu'il s'agit sûrement là de représailles divines, le Seigneur ayant décidé de punir des personnes qui auraient péché d'une manière ou d'une autre, pour mieux souligner son souhait de voir les Hommes devenir plus justes. Quant aux "Pointes de flèche", un groupuscule religieux bien plus radical, il est mené par un mystérieux leader véhément qui affirme que personne ne doit s'opposer à Dieu et que quiconque est pécheur doit être violemment puni. C'est en devant tenir compte de ces montées religieuses, s'interroger dessus et s'en méfier que la police doit alors enquêter pour, éventuellement, faire respecter sa loi, sa justice sur ces morts.

A partir de là, les auteurs nous livrent une histoire addictive, suscitant forcément d'emblée des interrogations. Que sont exactement ces humanoïdes massacrant les cibles ? Quelle est l'origine des notifications de "préavis de décès" ? Y a-t-il un rôle de Neo Veritas ou des Pointes de flèche dans tout ça ? Et, surtout, comment sont choisies les victimes ? Ont-elles réellement commis un péché ? Et si oui, lequel ? La police, emmenée par l'inspecteur Jin Kyunghoon et épaulée par certaines autres personnes comme l'avocate Min Hyejin, doit mener l'enquête... mais absolument rien ne sera facile, bien au contraire, entre l'arrivée d'une nouvelle notification pour une mère de famille dont on se demande si elle a vraiment quelque chose à se reprocher, es la montée des radicalités religieuses où les quelques adeptes vont peu à peu devenir des hordes de fanatiques...

Et dès lors, il va de soi que l'on retrouve tout le talent de Yeon Sang-ho pour tirer parti de son pitch de base un brin cauchemardesques afin de souligner de nombreux aspects critiques de nos sociétés contemporaines. Il y a des choses ici presque secondaires mais mettant facilement mal à l'aise, à commencer par le voyeurisme passant bien à travers les nombreuses vidéos des réseaux sociaux et, plus encore, toute la scène où la mère de famille Park Jeongja doit être lynchée par les humanoïdes en direct à la télévision et devant un public. Mais le scénariste tape surtout sur des phénomènes tels que l'effet de groupe/masse et la peur qui annihilent les facultés de penser de la majorité, qui se met alors à suivre comme des moutons le fanatisme. Il interroge également sur la faculté humaine à ne pas se sentir coupable face à certaines choses pour mieux les oublier comme si de rien n'était... et, surtout, sur les notions complexes de justice, entre évocation de la loi censée s'appliquer à tous ou des désirs de justice personnels, notamment suite à un sentiment d'injustice. Les victimes de ces soi-disant "damnations divines" méritent-elles vraiment un tel sort, comme l'affirment les Pointes de flèche ? Où se trouve la frontière entre Bien et Mal, s'il y en a une ? Ces interrogations sont d'autant plus prégnantes et complexes que le scénariste prend soin de les renforcer à travers des personnages principaux qui ont tous leur petite histoire personnelle, entre l'inspecteur Kyunghoon et son fils qui ont eux-même vécu autrefois un drame pouvant être vu comme une injustice dans sa finalité, l'avocate Hyejin essayant d'accompagner sa mère gravement malade dans sa fin de vie, Park Jeongja qui pense avant tout à l'avenir de ses deux enfants et à la protéger à l'heure où elle va peut-être mourir... et à Jeong Jinsu lui-même, le Maître de Neo Veritas offrant dans les dernières pages des révélations sur son parcours et sur les raisons de ces damnations, révélations venant tout chambouler en plus de laisser l'inspecteur Kyunghoon face à une décision aussi capitale que difficile.

Jusqu'à cette fin de premier volume qui vient vraiment marquer de gros chambardements sur plusieurs plans, la narration s'avère véritablement maîtrisée pour ne jamais nous lâcher. Les auteurs alternent merveilleusement entre les phases d'enquête et de développements des personnages d'un côté et, de l'autre, les grosses montées de tension qui passent par des scènes bien différentes. Il y a, bien sûr, les instants où déboulent brutalement les humanoïdes, avec ces "boum boum" toujours plus rapprochés pour signaler l'arrivée inévitable de la damnation. Mais on pense également à certaines scènes particulièrement malaisantes, où le danger semble planer en permanence à travers les regards persistants de la foule quasiment "lobotomisée" sur nos héros, à l'image du passage inquiétant où les deux enfants traversent l'aéroport.

A part ça, sur le plan purement visuel, Choi Jyu-sok offre vraiment une bonne copie, qui gagne sans doute beaucoup dans son choix du noir et blanc, là où la majorité des webtoons sont colorisés (bien souvent pour cacher la pauvreté des traits et des fonds, à mon humble avis). Ici, le dessinateur offre des décors urbains omniprésents, et dont la froideur réaliste ainsi que l'aspect un peu lisse collent bien à l'ambiance. Tandis que les personnages, eux, jouissent d'expressions elles aussi assez réalistes et, surtout, marquées par leur état d'esprit jusque dans leurs rides.

Au bout du compte, cette première moitié de Hellbound est une folie furieuse, où l'on retrouve tout le talent du scénariste/auteur/réalisateur pour nous plonger dans les affres de la société humaine, à travers un thriller mené tambour battant tout en étant bien développé. L'issue de ce premier volume laisse même sur plusieurs événements très forts et chamboulant beaucoup de choses, ce qui laisse l'espoir d'avoir un suite encore plus intense, surprenante et fouillée. Auquel cas, Hellbound pourrait s'imposer comme l'un des tout meilleurs représentants de son genre.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs