Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 18 Septembre 2024
Le nom de Topher ne vous dit peut-être rien. Pourtant, le mangaka est présent depuis près de 6 ans dans nos librairies, puisqu'il n'est autre que Christophe Cointault. Après avoir dessiné Tinta Run et Wind Fighters, deux créations originales sorties chez Glénat mais qui n'ont pas été renouvelées au-delà des quatre tomes, faute de succès, l'artiste a vécu certains chamboulements, d'ordre personnel pour certains, et semble avoir embrassé une direction différente pour sa carrière. Il a ainsi pris le nom d'artiste de Topher tout en œuvrant sur un autre projet lui permettant de renouer avec ses premiers amours sportifs : Eightfull. Un projet de manga présenté à certains éditeurs semble-t-il, mais ce n'est pas avec cette série que nous le retrouvons.
Début juillet, à l'approche des Jeux olympiques de Paris, les éditions Pika annoncent une nouvelle œuvre originale dont l'originalité est le caractère biographique. Son sujet n'est ni plus ni moins que l'un des sportifs les plus attendus de ces fameux JO : le judoka multichampion mondial, Teddy Riner. Le projet n'a pas été dénaturé par les performances de l'athlète, loin de là puisque Teddy Riner s'est imposé comme le champion olympique de sa catégorie. Pour beaucoup, il figure désormais parmi les légendes vivantes françaises du sport, aussi entreprendre une telle biographique pouvait sembler être un pari risqué.
Le manga a donc été confié à Topher sur le pan graphique, mais le mangaka n'est pas seul. À ses côtés, le scénariste Tiers est venu décortiquer la jeunesse de Teddy Riner pour écrire un scénario ciblant les exploits de jeunesse du champion. Tiers, un diminutif du nom d'artiste complet Tiers Monde, rappeur français qui a déjà endossé la casquette de scénariste pour le manga Nako, publié aux éditions Michel Lafon. De par leurs aspirations respectives, le duo semble cohérent, et ce premier volume de la série, prévue en trois tomes, nous en apporte la confirmation.
Telle une belle fiction, qui n'en est pas une, Teddy Riner foule le tatami lors du 2 août 2024, à l'occasion des Jeux olympiques de Paris. C'est une nouvelle étape importante de sa carrière, ce qui le pousse à se remémorer ses premiers pas dans le judo, et plus précisément ses premiers accomplissements décisifs. Dans ses pensées, il repart vingt ans avant. Alors adolescent, il intègre le Pole Espoir de Rouen avec une ambition précise en tête : devenir champion du monde de judo. Mais avant ça, il doit s'acclimater à son nouvel environnement et s'intégrer dans un nouveau dojo où règne un certain esprit de compétition. Mais le jeune Teddy a de quoi s'imposer. Et malgré quelques maladresses, son talent va taper dans l'œil de son nouveau maître : Dom-sensei.
L'histoire de la jeunesse de Teddy Riner sonne comme un shônen sportif tout ce qu'il y a de plus pur, ponctué d'un héros déterminé amené à rencontrer un mentor sage et charismatique, des camarades de confiance et des rivaux redoutables, parfois hautains, parfois sournois, le tout agrémenté de tournois durant lesquels le jeune Teddy devra faire ses preuves. Si on devait prendre ce début de Hajime ! comme une fiction, les cases du bingo du shônen sportif seraient cochées les unes après les autres. Là où la lecture devient passionnante, c'est qu'il ne s'agit justement pas d'une fiction. Certes, on suppose que Tiers, le scénariste, a romancé certains aspects afin de rendre efficace le divertissement, et de manière à ce que le parcours de Teddy Riner nous soit rendu encore plus impactant et symbolique. Mais de l'aveu même du champion mondial et olympique, ces moments de jeunesse sont avérés, et lui-même s'est revu autrefois, lors de ces tournants décisifs pour son avenir. C'est en ce sens que la découverte de ce premier volume est particulière, amusante et impressionnante, tant voir le chemin d'un fan de mangas et d'anime devenir un vrai récit initiatique sportif, comme ceux qu'il a connus, a quelque chose de prédestiné.
Pourtant, même en se détachant du caractère biographique du récit (rappelons que Tiers s'est basé sur des documentaires et biographies recommandés par les équipes de Teddy Riner), le récit n'en reste pas moins efficace. Le recul n'empêche pas de savourer les premiers instants de victoire de ce jeune héros, de la sincérité des propos et des interactions, des messages forts et humains, et surtout de ces péripéties sportives narrées avec un rythme particulièrement efficace. L'idée n'était pas de partir dans des tournois longuets d'entrée de jeu, aussi une première compétition est menée à terme après l'étape d'introduction du récit. Considéré comme un manga sportif en tant que tel, Hajime ! offre une lecture tout à fait prenante et enivrante.
Un résultat qui, et nous l'avons cité en amorce de chronique, est aussi dû à son dessinateur : Topher. Les lecteurs qui le suivent ont de quoi être émus de retrouver l'artiste sur un projet aussi symbolique, lui qui a dû essuyer deux non-reconductions de séries chez la maison Glénat. Après les fins amères de Tinta Run et de Wind Fighters, le mangaka a lui-même entrepris son propre parcours initiatique, sur le plan personnel d'abord, mais aussi dans son art. Le résultat se ressent, tant Topher a pris une assurance indéniable, que ce soit dans ses designs, son style encore plus dense, et son découpage particulièrement inspiré au point de nous offrir de très belles planches. Cette chronique n'est pas forcément très objective puisqu'elle est celle d'un lecteur fan de l'artiste depuis Tinta Run. Mais c'est par cette position que le parcours de Topher peut aussi être constaté, et qu'il en devient émouvant. La patte du maître a atteint un certain niveau et montre une forme de maturité artistique, ce qui permet au récit, déjà efficace, d'être transcendé. Assurément, Tiers et Topher ne sont bien trouvés, tant leurs aspirations respectives, scénaristiques et artistiques, se complètent. De là à déjà espérer voir leur binôme se reformer après le présent projet, il n'y a qu'un pas.
Loin d'être un simple manga opportuniste, Hajime ! prouve, avec ce premier tome, toute la passion des deux artistes pour une figure française du sport importante, ce qui leur permet de développer un récit initiatique dynamique, humain et prenant. Pris comme une œuvre à part entière, ce premier tome ne perd en rien de sa saveur. Et considéré sous son étiquette de biographie, voir la jeunesse de Teddy Riner tel un shônen sportif est particulièrement séduisant. Loin de chercher à être une banale glorification du sportif, le manga se présente comme un récit inspiré et motivé par de bonnes intentions, jouant justement sur ce parcours particulier pour développer une histoire initiatique percutante. On est donc confiant pour les deux prochains tomes, que ce soit pour découvrir le déroulé de ce destin hors du commun ou savourer de nouveau l'actuelle patte de son mangaka. À vrai dire, on regrette déjà que la série ne soit prévue qu'en trois tomes.
Du côté de l'édition, si Pika offre une copie somme toute classique et convaincante, on apprécie la présence de nombreux petits bonus en fin d'ouvrage. Entre les croquis de test de couverture, les ébauches préparatoires, les comparatifs entre storyboards et planches finalisées, les illustrations diverses et les interviews de Teddy Riner, Tiers, Topher et de Mehdi Benrabah, l'éditeur en chef des éditions Pika, on découvre aussi bien la naissance du projet que les inspirations de chaque personnalité liée à celui-ci. C'est une très bonne exploitation des possibilités du manga de création originale, non soumise aux impératifs des ayants droit, permettant d'approfondir l'œuvre, sa conception, et donner la parole à ses auteurs.