Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 17 Février 2025
Avec sa collection Yuri, l’éditeur Meian contente une niche qui méritait d’être rassasiée, une démarche faite avec un certain soin et via des œuvres dans des registres variés, mais restant souvent dans une certaine douceur de tonalité. Paru en ce mois de février, « Un été vers l’inconnu avec toi » joue totalement dans ces écueils.
Série courte en trois tomes, celle-ci est signée Keyyang, mangaka spécialisé dans la romance entre femmes et active depuis la fin des années 2010 au Japon. De notre côté, c’est bien avec la présente œuvre que nous le découvrons, une série qui semble attester une patte sensible et touchante.
Haru et Hinoto sont des étudiantes en pleine recherche d’un emploi, surtout Haru qui enchaîne les candidatures… mais ne vit que des désillusions. La société telle qu’elle est ne lui laisse aucune chance, d’autant que sa relation avec Hinoto ne va pas dans le sens des codes restrictifs de la métropole japonaise. Car les deux jeunes femmes sont en couple, un amour qu’elles aimeraient pouvoir vivre au grand jour, mais qu’elle ne concrétise que dans le secret. Après un échec professionnel du côté de Haru, les deux amantes décident de changer de chemin et de tourner le dos à cette société. Tout plaquer pour aller vivre sur une petite île, voilà le chemin surprenant qu’elles prennent !
Avec ses deux protagonistes adultes, « Un été vers l’inconnu avec toi » fait le choix intéressant de confronter ses personnages à la société japonaise, largement pointée du doigt par Haru et Hinoto et, certainement, par Keyyang qui n’hésite pas à montrer une ville étouffante et injuste, en plus de son hétérocentrisme qui laisse sur la touche des individus qui ne demandent qu’à vivre leur amour librement. Tel un ras-le-bol lié à la fougue d’une jeunesse qui clame davantage de repères et de reconnaissance, ce premier tome narre avec une certaine saveur la prise de conscience des deux héroïnes, met en place les liens forts qui les connectent, et aborde un côté dépaysant via cette excursion sur une petite île à l’extrême opposée du quotidien tokyoïte. D’emblée, ce premier tome ne manque pas de panache et doit sa réussite à l’efficacité de ces différents éléments, tous complémentaires, et qui joue sur le charme de ce début d’œuvre et son intimité qui nous pique au vif.
À commencer par les deux héroïnes, Haru et Hinoto, et leur manière nouvelle de vivre leur amour. Par leur rejet du monde qui les entourent, on peut y voir une sorte de fièvre de la jeunesse, désireuse de voie exaucer ses rêves, quand bien même rien dans cette société ne leur est accordé. En ce sens, les dernières pages de ce premier volume peuvent avoir un petit côté doux-amer, ce qui contraste avec notre plaisir de voir les deux personnages croquer leurs sentiments à pleine dent et espérer leur concrétisation jusque dans les plus hautes institutions… ce qui semble d’emblée complexe. On est alors curieux de voir ou ce chemin les (et nous) mènera : vers un dur retour à la réalité, ou via un parcours détournant toutes ces barrières pour leur permettre une liberté éternelle ?
Un tout qui, comme on l’a dit, se révèle efficace grâce au cadre dépaysant de ce premier tome, ce qui va de pair avec des personnages secondaires pleins de bienveillance. Avec ses airs de vacance d’été en campagne, le récit a un charme fou, est propice à la dimension sentimentale du récit, et donne envie de rester sur l’île, aux côtés de ces personnages, un moment encore. Si bien qu’on regrette déjà un peu que la série ne s’étale que sur trois volumes ! Le format sera-t-il suffisant pour permettre à Keyyang de raconter toute son histoire ? C’est ce qu’on a hâte de découvrir.
Côté édition, la copie de Meian reste conforme à ses standards de qualité. Petit bonus pour la série : deux pages couleur et un chapitre supplémentaire plus intime que ce qui est proposé dans l’ensemble du tome. Notons aussi la traduction de Mathilde Gaillard-Morisaka qui donne des tons doux et justes au récit. Et pour les plus collectionneurs des lecteurs, Meian a publié l’intégralité de la série en une traite, soit à l’unité, soit dans un petit coffret souple qui accueille en suppléments trois ex-libris et un poster. La patte de Keyyang ayant un charme indéniable, surtout en couleur, bouder le coffret semble une erreur, surtout que celui-ci est vendu à l’exact même prix que les trois tomes unitaires.