Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 08 Mars 2016
Critique 1
Dernier titre seinen des éditions Glénat, Les Enfants de la Baleine nous propose de redécouvrir une auteure dont on avait pu entrapercevoir les travaux avec Full Set, manga sportif sur le volleyball dont on n'a malheureusement pas pu lire la fin, la commercialisation de la série étant stoppée en France à partir du troisième tome sur cinq pour le Japon. Espérons que la nouvelle série d'Abi Umeda ne subisse pas le même destin funeste, car pour le moment, c'est un véritable coup de coeur que nous avons là ! Explications.
Fraîchement adapté en pièce de théâtre au Japon, ce titre a l'avantage de viser un public très large : prépublié dans un magazine shojo, il était présent dans le top 10 garçon et fille de la distinction "Kono manga wa sugoi 2015" (littéralement "ce manga est super") et se voit édité dans le catalogue seinen de son éditeur français. En effet, si le dessin très fin a de quoi faire penser au style shojo, la mise en scène est plutôt similaire au shonen alors que les thèmes évoqués rappellent le genre seinen. Difficile pour le titre de ne pas se trouver un public varié avec tout ça.
Les Enfants de la Baleine nous entraîne dans un monde qui n'est plus qu'une longue étendue de sable sans fin. Passé, futur ? Impossible de situer chronologiquement la série, surtout que celle-ci utilise une autre chronologie pour dater le temps. Nous suivons ici la vie d'autochtones survivant sur une sorte d'énorme vaisseau voguant sur les flots, au nom de Baleine de glaise. Parmi les quelques 500 personnes à son bord, l'équipage se divise en deux catégories : les non marqués et les marqués. Si les premiers sont comme vous et moi, les seconds sont des personnes dotés du pouvoir du saimia, une étrange capacité qui puise ses forces dans les émotions de son invocateur. Ces derniers sont repérables par leurs marques à la jolie calligraphie sur le corps et aussi au-dessus de leur tête pendant leur utilisation de cette force, mais en contrepartie de cela, ces gens se voient dotés d'une espérance de vie très faible avoisinant les trente ans, là où les non marqués peuvent vivre facilement plus du double. C'est ainsi que les rares humains "normaux" (même pas une vingtaine) ont le contrôle sur la Baleine de Glaise et les membres du Conseil des Anciens semblent être les rares personnes à savoir davantage d'informations sur l'univers dans lequel ils évoluent.
Mais cet étrange vaisseau ambulant est régi par plusieurs règles. Premièrement, seul le Capitaine sert d'intermédiaire entre les gens du peuple et le Conseil des Anciens. Il est interdit d'aller visiter le monde extérieur, cela s'inscrivant également dans les règles de sécurité puisque la mer de sable semble pouvoir aspirer tout homme. Il est également interdit de montrer toute forme d'émotions. Si des gens enfreignent ces règles, ils se retrouvent quelque temps enfermés dans le Corps, seule partie du vaisseau où étrangement la saimia ne peut être utilisé. Enfin, personne ne sait ce que cache cet océan sablé, autant à l'horizon que sous sa surface, et jamais personne n'a croisé un autre humain...
C'est donc dans ce contexte particulier qu'évolue Chakuro, jeune marqué de 14 ans atteint d'un syndrome particulier qui le pousse à écrire presque tout le temps. Scribe de ce lieu mystique, il aime écrire les faits et gestes qui ont lieu sur son lieu de vie, mais bien sûr sans jamais montrer toute forme de sentiment. Si Chakuro fait ça, c'est surtout dans l'espoir que d'autres personnes dans un futur liront ses écrits pour savoir de quoi était constitué leur passé, chose qui n'a pas été faite auparavant pour la plus grande peine de notre héros. Petit à petit, l'auteure nous fait découvrir l'univers de sa série par les yeux d'un adolescent directement attachant, avec dans son entourage d'autres personnes donnant vie à son quotidien. Il y a par exemple Sammy la jeune fille qui semble amoureuse de lui et dont le grand frère Suoh est l'actuel Capitaine, Ohni un rebelle considéré comme le leader des "Taupes" (personnes qui se retrouvent souvent enfermées dans le Corps) et qui est prêt à tout pour découvrir ce que recèle ce monde, etc... Nombreux sont les personnages pleins de vie et le quotidien de ces personnages semblent être une aventure constante où chaque jour présente un nouvel espoir de peut-être obtenir des réponses sur le pourquoi d'un tel monde. Et ce jour-là semble arriver lorsque la Baleine de glaise va croiser le chemin d'une île où nos héros trouveront une jeune fille qui se présente sous le nom de Lycos. Elle aussi semble manier le saimia, mais que faisait-elle toute seule sur cette île à l'allure de vaisseau ?
Les Enfants de la Baleine nous présente ainsi un univers qui se dévoile petit à petit : d'abord les mystères de base puis ensuite d'autres éléments venant nous poser de nombreuses questions. Ce monde utopique regorge de questionnement en tout sens et le chemin sera certainement long avant que nous comprenions tout ce que cache ce paysage sablé. La grande qualité du titre est de nous proposer une aventure sur fond de voyage vers l'inconnu, nous laissant ainsi croire qu'absolument tout peut arriver par la suite. Notons également que le manga se veut très contemplatif avec parfois des doubles pages sur de magnifiques paysages, on pense notamment au plan nocturne lors du vol des sauterelles. Et puis après nous avoir dépeint une ambiance un peu écolo qui nous charme rapidement, la dernière partie du volume vient tout chambouler avec certaines apparitions qu'on ne décrira pas maintenant, mais qui nous captivent de bout en bout et nous incitent à rapidement lire la suite.
Personnellement, Les Enfants de la Baleine est donc un grand coup de coeur. Avec un simple premier tome, c'est un véritable voyage onirique que nous avons là avec une aventure humaine qui nous cache encore de nombreux mystères que l'on souhaite découvrir au plus tôt. Tout reste à voir et à l'instar des héros, nous nous retrouvons excités à cette aventure qui commence.
Grande poésie découpée en cases, Les Enfants de la Baleine est certainement un titre qui sera le plus surprenant cette année et souhaitons lui le plus gros succès possible, car pour l'instant il le mérite amplement, que ce soit pour son univers, sa narration, ou bien encore pour son somptueux dessin.
En terme d'édition, c'est plutôt correct avec notamment une traduction collant bien au titre. Le format du manga est le standard de l'éditeur, et justement un format plus grand comme celui de Tokyo Ghoul par exemple aurait été plus approprié, notamment pour pouvoir admirer en plus large les nombreux plans merveilleux que nous propose le titre.
Bref, à découvrir absolument !
Critique 2
Abi Umeda n'est pas une auteure tout à fait inconnue en France : nous l'avions découverte avec Full Set, série sportive qui n'a pas eu la chance d'arriver à son terme dans notre langue. A présent, nous la retrouvons dans un tout autre registre avec sa dernière série en date.
Présent à la fois dans le top 10 fille et le top 10 garçon de la distinction "Kono manga ga sugoi 2015", Les Enfants de la Baleine est donc un shôjo apte à plaire à différents publics (ce qui explique sans doute sa classification seinen chez Glénat), et qui nous plonge dans un univers de science-fiction où la planète ne semble plus être qu'une immense étendue de sable. Quant à la Baleine, c'est le nom du grand vaisseau flottant sur cette mer de sable, et où vivent quelques centaines de personnes ignorant tout du passé. Vivant depuis toujours sur ce navire de glaise balayé par le sable, ils sont divisés entre "non-marqués" et "marqués", ses derniers ayant l'étrange et inexpliquée faculté de manipuler le saimia, un pouvoir qui naît de leurs émotions. Dès lors, il leur est interdit de laisser s'exprimer ce qu'ils ressentent. Quant à leur espérance de vie, elle est beaucoup plus courte que celle des "non marqués", et il est rare qu'ils dépassent la trentaine...
Chakuro, 14 ans, est un "marqué". Ne pouvant s'arrêter d'écrire, il est le scribe de la Baleine de Glaise, et prend soin de tout noter sans laisser ses sentiments transparaître dans ses écrits, et tout en espérant qu'un jour ses chroniques seront utiles aux personnes du futur. Son histoire commence par la mort de la "marquée" qui leur a tout appris, à lui, mais aussi à son amie d'enfance Samy. Comme le veut la tradition, personne ne laisse paraître sa tristesse, et la dépouille est laissée engloutie par cette mer de sable dont ne revient jamais vivant.
Tel est le point de départ d'un premier tome qui, dans sa majeure partie, nous laisse cerner petit à petit le monde où évolue Chakuro.
Un monde où la Baleine de Glaise semble bien seule : personne n'a jamais rencontré qui que ce soit d'étranger au bateau.
Un monde où ce vaisseau est doté de lois assez strictes et ne tenant qu'à un fil. Interdiction de laisser s'exprimer ses sentiments. Interdiction d'aller explorer le monde extérieur que nul ne connaît.
Un monde fébrilement régi : un Capitaine est chargé de servir d'intermédiaire entre le peuple et le Conseil des Anciens, des "Non-marqués" ayant dépassé la soixantaine, menant le vaisseau et semblant connaître certaines choses du passé.
Un monde étrangement construit : nul ne sait pourquoi la Baleine n'est pas engloutie dans le sable, et comment elle a été bâtie. En tout cas, en son sein existe le "corps", un souterrain où le saimia, sans que l'on sache pourquoi, ne fonctionne pas. C'est là que sont enfermées les "Taupes", ceux qui ont commis des crimes, ont enfreint les règles, dont la curiosité les pousse à vouloir partir explorer le monde extérieur.
Un monde on l'auteure nous laisse le temps de faire connaissance avec les quelques visages animant le quotidien de Chakuro : Samy l'attachante jeune fille qui semble éprise de son ami d'enfance, Suoh le grand frère de Samy et futur Capitaine, Ohni le leader des "Taupes" rêvant de découvrir ce vaste univers de sable...
On peut regretter que certains visages intéressants ne soient pas plus mis en avant, comme la Capitaine Taisha, mais dans l'ensemble Abi Umeta pose de façon très immersive un univers qui a tout pour captiver. Il faut dire que la mangaka met en place un monde rendu très contemplatif par une narration assez posée et neutre, du fait que beaucoup de choses sont narrées comme si Chakuro les écrivait, et qu'il est interdit pour les personnages d'exprimer leurs émotions.
Et cette ambiance un peu froide contraste merveilleusement avec la beauté qui se dégage des planches : les personnages ont des designs fins, voire frêles qui, dans leur regard très riche, dégagent une certaine mélancolie, mais l'ensemble est en même temps assez chaleureux. Et cet univers de sable, lui, profite d'un beau sens du détail, que ce soit pour le design de la Baleine qui ressemble à une cité flottante, pour ces vues infinies sur le sable, ou pour quelques passages d'une beauté simple saisissante comme celui du vol des sauterelles.
Visuellement, c'est donc très prometteur : c'est beau, c'est riche, ça se veut très artistique, ça respire un indescriptible parfum contemplatif.
Et c'est donc dans ce cadre que se mettent en place les grandes thématiques qui devraient joncher l'oeuvre. Des thématiques au parfum écologiste avec ce monde dépourvu d'urbanisation où la petite communauté vit seule dans un certain bonheur, sa contemplation de petits plaisirs naturels comme les sauterelles... Mais également des thématiques humanistes autour du concept de saimia, poussant les humains à ne pas exprimer ce qui fait pourtant leur humanité : leurs émotions, leurs sentiments. On se demande forcément ce que va donner ce concept.
Dans tout ça, bien sûr, des interrogations arrivent déjà. Pourquoi vivent-ils là ? Pourqui la Baleine de Glaise ne sombre pas dans le sable ? Qu'y a-t-il sous la mer de sable et à ses confins ? Les rumeurs faisant écho d'une ancienne civilisation sont-elles vraies ? Y a-t-il d'autres gens sur la planète ?
Une réponse arrive dès la moitié du tome concernant cette dernière interrogation, quand Chakuro est amené à découvrir, sur une île perdue dans les sables, une étrange jeune fille, qui sera le point de départ réel du récit.
"Le monde extérieur que vous rêvez de connaître est régi par des hommes aux maigres émotions, qui utilisent des soldats sans coeur, pour mener des guerres qui paraissent sans fin."
Mais nous n'en dirons pas beaucoup plus, si ce n'est que le récit commence réellement à s'emballer dans un dernier quart qui marque de par sa soudaine violence guerrière...
Dans ce premier tome, il faut d'abord accepter de se laisser bercer par l'ambiance (ce qui ne sera pas forcément chose facile), pour finir par être captivé par un récit très beau, aux accents humanistes et écologistes, qui devrait réellement nous en montrer plus dans le second tome. Et ça tombe bien : Glénat a bien fait les choses, et le deuxième volume devrait sortir dans deux semaines.
Pour cette série, Glénat a adopté son format le plus petit (celui de Parasite, de Gunnm, des shôjo...), ce qui ne rend pas toujours honneur au travail visuel d'Umeda, d'autant qu'on ne peut pas dire que la qualité d'impression soit exceptionnelle. Celle-ci n'est pas non plus mauvaise, mais on note quelques problèmes de moirage, ainsi qu'une encre qui peut baver un peu. Côté traduction, c'est assez plaisant, dépourvu de gros couac et plutôt dans le ton de la série.