Destination Terra Vol.1 - Actualité manga
Destination Terra Vol.1 - Manga

Destination Terra Vol.1 : Critiques

Terra e...

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 06 Août 2021

Lancées en 2019, les éditions naBan restent plutôt discrètes en nombre de sorties, mais tâchent de choisir avec soin chacune de leurs publications. Ainsi, après avoir démarré leur aventure éditoriale avec le très beau, artistique et humain Demande à Modigliani!, elles ont entrepris non seulement de faire découvrir d'autres récits forts avec 17 ans, mais aussi de rééditer des titres cultes qui n'étaient plus disponibles en France avec Old Boy et Give my regards to Black Jack/Say Hello to Black Jack. Et en cet été 2021, l'éditeur franchit encore un cap en amenant un monument de l'histoire du manga qui était tristement inédit dans notre pays jusqu'à présent.

De son nom original Terra e..., Destination Terra est un manga de science-fiction important, qui fut trop longtemps boudé par les éditeurs français. Il nous permet d'enfin découvrir en langue française Keiko Takemiya, une mangaka incontournable, aussi importante que d'autres autrices du Groupe de l'an 24 comme Moto Hagio (Poe no Ichizoku, Le Coeur de Thomas, They Were 11...) ou Riyoko Ikeda (La Rose de Versailles, Très cher frère). Initialement prépublié au Japon entre janvier 1977 et mai 1980 dans le magazine Manga Shônen des éditions Asahi Sonarama, Terra e... s’inspire du roman de science-fiction À la poursuite des Slans de Van Vogt, et a chamboulé le manga de SF à son époque, voire le media manga tout court, en faisant partie de ces rares titres qui souhaitaient alors pousser en profondeur le travail des personnages ainsi que nombre de thématiques. Fort de son succès, il a été adapté sous la forme d'un film d'animation en avril 1980, puis sous forme d'une série télévisée animée de vingt-quatre épisodes en 2007, et a me^me eu droit à un manga spin-off (Terra e... - Aoki Koubou no Keith) cette même année. Inutile de dire que la série, initialement publiée en 5 volumes, a connu nombre de rééditions au fil du temps, la plus récente d'entre elles étant sortie chez Square Enix en 2007 et comtpant 3 tomes.

Pour son édition française, naBan a également choisi de proposer l'oeuvre sous la forme de 3 jolis pavés comptant chacun environ 350 pages, pour un résultat globalement convaincant sans être parfait. En effet, à l'intérieur, quelques moirages (notamment sur les trames gris-marron) peuvent se montrer assez fortement par instants, de même que quelques cadrages malheureux coupant les marges extérieures voire l'extrémité de certaines planches, l'imprimeur bulgare Pulsio (que l'éditeur a choisi ici) n'étant pas forcément réputé pour être l'un des plus qualitatifs, même si au moins l'encre ne bave aucunement. Egalement, même si la traduction de Guillaume Hesnard est globalement très bonne en étant toujours limpide, il sera possible de tiquer sur quelques coquilles plus ou moins évidentes "-ez" au lieu de "-er", "dealer" au lieu de "leader"...), voire sur le choix de garder en anglais des mots qui pouvaient être très facilement traduits sans perdre en sens ("System", "Computer", "Mother"...), ce qui, à force, alourdit un peu la lecture. Le lettrage de Florent Faguet, lui, est très convaincant. Enfin, si l'on regrettera l'absence de textes bonus qui auraient pu expliquer/contextualiser l'oeuvre et son importance, a contrario on appréciera beaucoup la présence d'une petite galerie d'illustrations en couleurs en fin de volume. En somme, même si elle reste perfectible, cette édition permet tout de même d'enfin découvrir d'en de bonnes conditions ce monument.

Destination Terra... nous plonge dans une futur lointain qui n'est pas précisément déterminé. Après avoir épuisé jusqu'à la moelle la planète Terra (notre chère Terre) en s'y développant toujours plus sans énorme résistance au point de se hisser comme l'espèce dominante, l'homo sapiens poursuivit ses conquêtes vers l'espace... tout en ne pouvant empêcher sa planète d'origine de dépérir. Négligée, polluée, ayant vu sa végétation et sa vitalité disparaître peu à peu, ayant perdu sa vie jusque dans les mers (pourtant origines de la vie), Terra développa même des toxines qui obligèrent de plus belle les humains à s'exiler ailleurs, bien loin. mais tout en migrant à des années-lumière de là, l'espèce prit aussi conscience d'une chose: pour empêcher ces erreurs de se reproduire, il fallait changer les hommes... Seulement, l'espèce humaine s'y est-elle prise de la bonne manière ? En effet, tout en poursuivant l'exode vers d'autres planètes, l'espèce mit au point un très strict contrôle des naissances sous l'égide du System, un système technologique censé contrôler à la perfection la vie des humains, mais qui participe en réalité à une uniformisation totale des humains: naissances effectuées de façon artificielle sans réels parents biologiques, enfants confiés à des parents "adoptifs" qui se contentent, sans sentiments profonds, de les élever jusqu'à leur adolescence... puis arrivée, à l'âge de 14 ans, du "jour de l'éveil", un moment marquant pour les adolescent(e)s une succession de tests visant à contrôler s'ils sont bien dans le moule, avant d'effacer les souvenirs de leurs premières années d'existence (y compris ceux de leurs faux parents) pour en faire des adultes régis par le système sans anicroches. Cela marqua la naissance de l'ère Superior Domination, dite S.D.. Mais malgré tout, les humains restent bien décidés à parcourir les années-lumière pour ré-atteindre un jour Terra...

On le sent rien qu'à ces quelques lignes qui ne font que poser les idées de base: en particulier pour son époque, Destination Terra... jouit d'un univers qui se veut particulièrement travaillé, riche et possiblement profond dans ses nombreuses thématiques possibles, et c'est quelque chose qui se confirmera à chaque instant à la lecture. Dans les faits, ce premier pavé se divise en un prologue puis en deux grandes parties, tandis qu'une troisième commence tout juste dans les dernières dizaines de pages.

Le prologue, tout en exposant les concepts initiaux, distille également la présentation d'une frange des humains qualifiée d'obsolètes car ne répondant pas aux critères sévères établis: persécutés, pourchassés pour être éliminés, celles et ceux qui sont appelés les Mu sont obligés de vivre cachés, en voguant dans l'espace, tout en entretenant l'espoir de renverser un jour le système injuste et de retourner sur Terra. Ayant la faculté de télépathie, ils ont ainsi pu exprimer leurs pensées au-delà du dialogue verbal, et échapper au conditionnement extrême que le System impose, ce qui explique qu'ils ne rentrent pas dans le moule et sont traqués, quand il ne sont pas tués avant de pouvoir s'échapper... Pour les guider, ils comptent sur leur leader Soldier Blue ainsi que sur la jeune prophète aveugle Physis, qui vieillissent plus lentement.

La première partie nous immisce auprès de Jomy Marcus Shin, un jeune garçon qui s'apprête tout juste à avoir 14 ans, signant donc son éligibilité aux fameux examens devant le contrôler. Simple adolescent vivant son quotidien entre ses camarades et ses "parents", il n'a alors aucune idée de ce que représente en réalité le "jour de l'éveil", d'autant plus que le System impose que les enfants et les adultes n'entrent quasiment jamais en contact. Mais depuis peu, Jomy est tourmenté par des rêves répétés, où il voit une jolie jeune femme aveugle qui semble l'appeler et attendre quelque chose de lui... Impossible pour lui, à cet instant, de savoir qu'il est promis à un avenir de premier choix parmi les Mu, mais encore faudra-t-il se confronter à toutes les étapes pour ça: affronter la douleur du passage à l'âge adulte imposée par le System et par la même occasion la "perte" des personnes qu'il considérait comme ses parents, oser écouter la femme de son rêve et le leader de Mu pour ne pas laisser sa pensée se faire uniformiser, parvenir à s'échapper, et réussir à s'intégrer parmi les Mu où, en tant que "mi-humain mi-Mu", il n'est pas forcément accueilli cordialement au départ...

Dans la deuxième partie, retour sur Ataraxia, la planète artificielle des humains, à la découverte d'autres humains qui, eux, semblent se diriger plus facilement vers leur future uniformisation. Si le dénommé Keith, garçon faisant partie de l'élite, préfère ne démontrer aucune émotion contrariante malgré son esprit d'analyse lui faisant bien comprendre la vérité du System, son camarade Seki, d'extraction plus modeste et ressentant beaucoup de rivalité envers lui, semble quelque peu différent... A partir du parcours de ces deux jeunes garçons et de leur évolution, la mangaka étend efficacement son univers côté humains (classes sociales, etc...), tout en faisant bien comprendre le destin pas comme les autres de ces deux-là.

Quant au début de la troisième partie, il nous plonge sur Nazca, planète autrefois habitée par les humains puis abandonné à son sort, et où les Mu se sont temporairement installés. Mais quand des éclaireurs humains les surprennent, Jomy retrouve face à lui quelqu'un qu'il a bien connu, mais qu'il ne reconnaît plus...

Cette division en partie témoigne très bien d'une chose importante ici: Keiko Takemiya ne compte aucunement se limite à un personnage, à un point de vue, et dresse d'ores et déjà un vaste panel de personnalités approfondies dans chacun des deux camps. La psychologie de ces protagonistes se veut déjà fouillée, surtout quand ils sont confrontés à certaines épreuves. Et, surtout, l'ensemble permet à l'autrice d'aborder une très large palette de thématiques: l'écologie bien sûr avec une Terra qui a été dévastée par la présence humaine, mais aussi l'importance de la pensée non-unique, la manière dont une société peut essayer d'uniformiser ces pensées pour que tout le monde rentre dans le moule sans rébellion, l'opposition entre enfance et monde adulte...

Et il en résulte une fresque aussi profonde que passionnante, d'autant que l'autrice accompagne le tout d'un rendu visuel qui vieillit franchement bien. Les planches sont riches tout en restant toujours clairs, les décors de machines SF jouissent d'un grand soin, certaines vues spatiales peuvent être hypnotiques, beaucoup de jeux sur les découpages (ou, justement, les non-découpages) de cases accentuent des moments importants...

Longtemps attendu dans notre pays, cette pierre fondatrice de tout un pan du manga ne déçoit donc aucunement sur ce premier tiers. Même plus de 40 ans après sa première publication nippone, Destination Terra... reste une oeuvre forte, portée par un travail visuel riche, par un univers solide et par de nombreuses thématiques qui restent universelles.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs