Darwin's Incident Vol.1 - Actualité manga

Darwin's Incident Vol.1 : Critiques

Darwin Jihen

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 08 Août 2022

Chronique 2 :


Chaque année, le Japon offre son lot de titres largement attendus dans nos contrées. Ces œuvres présentent un aspect parfois atypique ou visuellement accrocheur, en plus de parfois se distinguer par des prix. C'est le cas de Darwin's Incident, ou plutôt Darwin Jihen dans son pays d'origine, un titre lancé en 2020 dans le magazine Afternoon des éditions Kôdansha. Le manga est celui de Shun Umezawa, un artiste actif depuis les années 2000 mais que nous n'avions jamais pu lire à ce jour. Darwin's Incident, la série qui lui a récemment conféré une renommée, est l'occasion de rectifier le tir.


Des années auparavant, l'Alliance de Libération des Animaux (l'ALA) pris d'assaut un laboratoire pour y délivrer les créatures retenues dans le but d'expérimentation. Parmi elles, une femelle chimpanzé qui, suite à des expériences, a mis au moins un être hybride mi-singe, mi-humain. Cet être unique sera retenu comme un « humanzee ». Baptisé Charlie, il sera adopté par un éminent scientifique spécialiste des chimpanzés, lui et sa femme élevant le garçon inter-espèce comme leur propre fils.

Les années passent, et Charlie est désormais en âge d'intégrer le lycée après avoir été caché des yeux de tous. Pour l'humanzee, solitaire mais curieux, une nouvelle vie débute, signe de ses premières véritables interactions sociales. Mais en parallèle, l'ALA reprend du service, plus déterminée que jamais pour défendre la cause animale, quitte à faire des victimes collatérales. Alors, quand Charlie apparaît publiquement, l'occasion est trop belle pour ne pas le rallier à leur cause...


Parler d'une histoire d'individu hybride mi-homme mi-chimpanzé, c'est faire quasi inévitablement écho à la saga La Planète des Singes. Et si on retrouve entre les deux œuvres quelques similitudes sur les questionnements autour de l'humanité, Shun Umezawa nous offre un lancement qui s'écarte totalement de la saga cinématographique, développant sa propre approche, créant des personnages uniques et des thématiques plus contemporaines que jamais.


Sur ce premier tome, le mangaka nous offre un démarrage d'une grande densité, dont la capacité première est de savoir nous accrocher par ses différentes optiques. Par le concept du personnage de Charlie, l'artiste offre rapidement une tranche de vie où est mise sur le tapis la question de la différence. Ainsi, ce héros est-il si différent de ses comparses entièrement humains ? Est-ce que la notion de singularité ne serait pas propre à chaque individu ? Par son amitié naissante avec l'intrépide Lucy, ce sont ces idées qui sont exposées. L'individualité est au cœur du récit, Shun Umezawa utilisant surtout la réflexion autour du véganisme pour appuyer le propos. A l'heure où une communauté ou une particularité peut-être stigmatisée et sans cesse ramenée aux extrêmes, Darwin's Incident amène des conversations pointant des questionnements intéressants, volontairement naïfs par moment pour mieux mettre en exergue la complexité de nos individualités. Loin d'être manichéen, ce premier tome sait toujours établir un juste milieu entre l'engagement et les extrêmes, de manière à ne pas réunir dans un même panier ceux qui pourraient avoir des convictions qui se rapprochent, tant ils les expriment différemment.


C'est en ce sens qu'entre en scène l'ALA, organisation terroriste pro-animale qui verra en Charlie une véritable égérie, en tant que symbole des traitements de l'humain réserve aux animaux. Dès lors, le propos de Darwin's Incident devient assez clair : Il ne s'agit pas de réunir dans des cases les singularités, mais opposer le protagoniste à ceux qui véhiculent des pensées terroristes. Dès l'implication de cette organisation antagoniste, l'opus prend davantage des airs de thriller, un aspect qui ne manque pas d'impact grâce à un personnage : Max. Aussi fascinant qu'effrayant par son caractère imperturbable et les larges sourires qu'il affiche en permanence, l'homme à la tête de l'ALA crève l'écran (ou plutôt le papier) à chacune de ses apparitions. Il terrifie comme il fascine, et fait office d'adversaire de taille pour un Charlie fort de convictions et doté d'un sens morale juste et terre à terre, tout l'inverse de l'ennemi extrémiste.


Pour défendre tout ceci, Shun Umezawa déploie un trait subjuguant, qui reposant avant tout sur l'expressivité de ses personnages. Il dose sa patte avec justesse selon le caractère de chacun, ce qui permet de rendre un Charlie dont le charme vient d'une inexpressivité qui traduit son état d'esprit, à l'opposé d'une Lucy pleine d'émotion, et d'un Max toujours inquiétant par l'euphorie visuelle qu'il affiche à chaque fois. Ceci cristallisé dans des planches globalement fournies, alors Darwin's Incident révèle rapidement ses atouts visuels.


Le manga de Shun Umezawa est donc bien, sur ce premier tome, le titre que l'on attendait. Dense et subtil, rythmé par ses intrigues, ses questionnements et ses personnages qui ne manquent pas de cachet, l'introduction ne manque pas de qualité. Évitant les pièges qui attendaient un auteur peu rompu à l'exercice de l'histoire ponctuée de questionnements moraux, la lecture est saisissante de bout en bout, et semble vouée à prendre de l'ampleur dans les volumes suivant au vu des événements qui concluent ce volet de démarrage.


Saluons aussi le joli travail d'édition de Kana, ainsi que la traduction de Frédéric Malet qui n'a pas dû être chose aisée, mais qui parvient à transmettre les mille et une nuances de ce début de darwin's Incident.



Chronique 1 :


Celles et ceux qui suivent d'assez près l'actualité manga au Japon n'ont sans doute pas pu passer à côté de Darwin's Incident, l'une des séries les plus intrigantes du moment, qui a notamment su attirer l'attention par ses jaquettes laissant apparaître un étonnant personnage principal, avant de se faire largement remarque par ses nominations et ses prix remportées lors de certaines récompenses: lauréate du Prix Manga Taisho 2022 en mars dernier, 2e du prix de recommandation des éditeurs, gagnante du prix d'excellence au 25e Festival des arts médiatiques du Japon.


De son nom original Darwin Jihen, l'oeuvre a été lancée au Japon en juin 2020 dans les pages du magazine Afternoon des éditions Kôdansha, et elle est écrite et illustrée par Shun Umezawa, un mangaka que l'on découvre en France pour l'occasion mais qui est actif dans son pays d'origine depuis le milieu des années 2000, avec à son actif auparavant une poignée d'oeuvres courtes (toujours un ou deux tomes, pas plus, ce qui fait de sa nouvelle série sa plus longue à ce jour) sorties chez différents éditeurs nippons (Shôgakukan, Ohta Shuppan, Gentosha).


En France, ce sont donc les éditions Kana qui ont acquis ce joli morceau, lancé en ce premier jour du mois de juillet, dans une édition sur laquelle on ne pourra pas revenir ici puisque cette chronique est basée sur une épreuve numérique.


Dans cette histoire, tout commence à Escondido en Californie, au sein de l'institut de recherche biologique Strard d'un certain professeur Grossman, où des membres extrémistes de l'Alliance de Libération des Animaux, le visage caché par des masques anonymous, passent à l'attaque pour délivrer les pauvres créatures vouées à servir de cobayes. Mais dans leur entreprise radicale, ils ne s'attendaient pas forcément à la découverte qu'ils font: dans une pièce, une femelle chimpanzé enceinte, très affaiblie, semble proche de faire une fausse couche, au risque d'y laisser la vie. L'animal est sauvé en étant confié à l'institut de recherche sur les primates Kornberg de Saint Louis dans le Missouri. Mais la surprise est encore plus forte quand, deux mois plus tard, Eva, puisque c'est le nom de ce chimpanzé, met au monde un être ne ressemblant à aucun autre: un "humanzee", mi-humain mi-chimpanzé, vraisemblablement issu des expérimentations malsaines de Grossman. La nouvelle de cette naissance unique au monde fait évidemment le tour des journaux, mais les choses se calment au fil des années: Gilbert Stein, professeur à l'institut Kornberg, et son épouse avocate Hanna ont décidé d'adopter et d'élever cet être comme s'il était leur propre fils, non sans le couver parfois. Quinze années passent ainsi, et l'humanzee, baptisé Charlie, a bien grandi, devenant un adolescent a priori comme les autres, si bien que l'heure est venue pour lui de faire ses premiers pas en société en intégrant le lycée. le désir de ses parents et en particulier de Hanna est simple: qu'il parvienne à se comporter comme un élève normal, à étudier, à se faire des amis... ce qui ne sera pas forcément chose très aisée. D'autant plus que, maintenant que l'humanzee est devenu adolescent et refait surface parmi les humains, il risque bien malgré lui de secouer la société américaine tout entière en devenant la cible d'enjeux qui le dépassent...


Darwin's Incident nous compte donc l'histoire de Charlie, un personnage principal résolument atypique dans la mesure où il est le seul au monde de son espèce, ce qui va forcément intriguer un paquet de monde. Au fil des pages, on découvre un garçon unique, qui a hérité à la fois de la puissance physique du chimpanzé (ce qui lui sera utile plus d'une fois dès ce premier tome) et de l'intelligence de l'esprit humain, le tout décuplé. Ainsi, Charlie dévoile petit à petit une façon, d'être, un comportement, un sens de la réflexion qui lui sont propres: il monte dans les arbres avec agilité et facilité, il réfléchit différemment quitte à déstabiliser ses interlocuteurs en permettant alors à l'auteur de pousser assez loin certaines réflexions sur le monde qui nous entoure (entre autres le véganisme, ses parents étant eux-même végans), il possède une sensibilité à part jusque dans son observation minutieuse des activités des fourmis... Il est à part, oui. Et ça, son entourage risque bien de le lui faire sentir, en bien comme en mal.


Ainsi retiendra-t-on avant tout la figure de Lucy, une adolescente réputée comme une élève modèle et une solitaire dans son bahut, et qui va vite s'intéresser sincèrement à Charlie et devenir son amie en évitant autant que possibles les préjugés à son égard. Des préjugés que bien d'autres personnes auront, malheureusement, entre certains lycéens (Ozzy en tête) dénigrant l'humanzee à cause de son allure différente, d'autres entretenant une peur à son égard pour différentes raisons (on ne sait pas de quoi il est capable vu qu'il n'est pas totalement humain, il pourrait faire du mal sans efforts avec sa puissance physique, etc, etc), le shériff décidant de le surveiller plus ou moins discrètement car il est persuadé qu'il va déraper... sans compter les intérêt que Charlie, à son insu, va susciter à plus grande échelle, en premier lieu ici de la part d'un groupuscule d'activistes végans radicaux qui, entre deux attentats mortels, est bien décidé à faire de l'humanzee son emblème, quitte à employer pour ça des moyens extrêmes...


L'existence même de Charlie secoue son entourage et la société, oui. Chacun semble vouloir le voir à sa manière, que ce soit en faire un objet de curiosité, s'attacher sincèrement à lui, estimer qu'il est une aberration ne devant pas exister, essayer d'en faire un emblème... alors même que Charlie, lui, semble surtout vouloir se contenter de vivre. Et le mangaka remue ainsi ciel et terre autour de son personnage principal, c'est bien pour décortiquer en profondeur nombre d'aspects de notre société: l'accueil face à la différence, les préjugés, les menaces, le terrorisme, les amalgames, les confrontations idéologiques... sont autant de chose qu'Umezawa met en scène avec une qualité: éviter d'être catégorique, tout représenter de façon varier afin d'offrir un portrait sociétal à la fois très riche mais aussi assez critique quelque part sur les errances de l'être humain. Ainsi, par exemple: le sujet du véganisme est-il abordé sous des angles très divers, en mettant en scène autant les mouvements les plus radicaux nuisant souvent à l'image de cette pratique, que les personnes qui, à l'image des parents de Charlie, sont végans en accord avec leurs convictions personnelles mais sans cherche à imposer quoi que ce soit à autrui.


Darwin's Incident s'annonce alors comme un récit de société particulier riche et actuel, et d'autant plus efficace qu'il s'avère bien travaillé sur le plan visuel. On pourra avant tout souligner la qualité du design de Charlie, particulièrement bien pensé et crédible dans son hybridité. Mais il y a aussi les décors photoréalistes ancrant très bien le récit dans notre réalité (d'autant plus qu'il est fait référence à diverses choses de notre monde comme les masques anonymous ou les films Marvel), ou encore le découpage redoutablement efficace autant dans les quelques petits moments d'action que dans la mise en évidence des personnages et de ce qu'ils nous inspirent (difficile de ne pas se sentir inquiet devant les gros plans sur les yeux un peu possédés de max).


A l'arrivée, l'oeuvre de Shun Umezawa s'installe donc déjà bel et bien comme la claque attendue: avec son idée de départ intrigante et intelligemment utilisée pour entamer un portrait de société très riche, mais aussi grâce à ses évidentes qualités graphiques, Darwin's Incident a toutes les cartes en mains pour devenir un nouveau gros morceau du manga sociétal, et c'est tout le bien qu'on lui souhaite.


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Takato

17.5 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs