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Dandara : Critiques

Dandara

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 23 Juin 2022

Entre la crise sanitaire mondiale débutée en 2020 puis la crise du papier qui s'abat depuis plusieurs mois, cela faisait presque deux ans, depuis la publication de Back to You en octobre 2020, que l'édition Akata, en tant qu'éditeur indépendant, n'avaient pu se permettre de sortir de nouveaux titres sous leur label "one-shot shôjo", puisque ce label est généralement voué à explorer des faces diversifiées du manga shôjo mais pas toujours parmi les plus vendeuses. Le label fait donc son retour en ce mois de juin avec ce qui sera le seul one-shot shôjo d'Akata pour l'année 2022: Dandara.


Derrière ce titre se cache un récit d'environ 190 pages, qui fut initialement prépublié au Japon d’août à novembre 2001 dans l'incontournable magazine Betsuma, et qui nous permet d'enfin découvrir en langue française une autrice expérimentée en la personne de Kira, mangaka qui a derrière elle plus de 30 ans de carrière, qui a conçu plus d'une quinzaine d'oeuvre shôjo/josei dans des thèmes différents et dont la plus longue reste la toute première série de sa carrière Massugu ni Ikou. Notons aussi que, plus récemment, sa série Bokura ha minna shindeiru a été adaptée en série TV dans son pays d'origine.


Dandara nous immisce dans le Japon contemporain, auprès d'un jeune acteur dont le nom est volontairement gardé secret par l'autrice, et qui s'est spécialisée dans les drames historiques au cinéma, mais en étant toujours cantonné aux rôles des victimes tout juste bonne à mourir pour mettre en valeur l'acteur principal. Seul problème: à force de vouloir être filmé à son avantage dans des rôles médiocres, il est repoussé par les femmes qui le jugent tout aussi médiocre, d'autant qu'il semble incapable de se représenter visuellement la douleur et la peur dans ses rôles. C'est alors en subissant une difficile rupture amoureuse qu'il obtient enfin un rôle plus importante: celui du célèbre Sôji Okita, guerrier emblématique du fameux Shinsen-gumi. Mais alors qu'il pense finir son tournage, une jeune femme ressemblant à s'y méprendre à son ex apparaît devant lui en l'appelant Sôji Okita. D'autres hommes, dont le célèbre Toshizo Hijikata, se montrent à leur tour en l'appelant également ainsi, tandis que les paysages autour de lui semblent étrangement sortir d'un autre temps. Plus étrange encore: aucun d'eux ne semble comprendre de quoi il parle quand il évoque son travail d'acteur ou sa peine amoureuse passée, et son katana, censé être factice, semble beaucoup trop réel...


Vous l'aurez compris, le récit de Kira propose un personnage principal qui, persuadé d'être un acteur de notre époque mais se retrouvant apparemment dans la peau du vrai Sôji Okita à l'époque du Shinsen-Gumi au XIXe siècle, est en pleine perdition, au point de ne plus savoir qui il est. Tout ce qu'il vit est-il la réalité d'un samouraï qui serait en train de sombrer dans la folie ou d'un acteur qui serait en train de perdre pied dans des illusions ? Est-il simplement en train de rêver ? A-t-il réellement été transporté depuis notre présent jusque dans le passé au sein de la peau du vrai Okita ?


Intrigant à souhait, le récit dénote également par un choix assez radical de la mangaka, choix qui plaira ou non: elle ne donne aucune réponse toute faite, ou en tout cas parfaitement claire, sur ce qui arrive à son personnage principal, et il s'agit d'un choix totalement volontaire comme l'explique Kira dans sa préface. On suit cette histoire en ne pouvant jamais répondre franchement aux interrogations, et ce sera donc au lectorat d'interpréter la chose comme il veut au bout de ce qui constitue donc une petite expérience de lecture intéressante. D'autant plus intéressante que, au départ, Kira tâche de nous immiscer assez profondément dans les pensées contradictoires de cet homme.


Mais si l'on dit "au départ", c'est bien parce qu'il y a un mais de ce côté-là: au bout d'un moment, la mangaka finit malheureusement par perdre un peu de vue cette confusion de l'état d'esprit de son héros, cette difficulté pour le lectorat de trancher son cas, car elle préfère s'attarder sur deux pistes un peu plus classiques, à savoir d'un côté la relation naissante entre notre héros et cette femme ressemblant tant à cette ex qu'il peine à oublier, et de l'autre côté son lien fraternel avec Toshizo Hijikata, un ami qui ne jure qu par le Shinsen-gumi et qui, forcément, pourrait voir d'un très mauvais oeil qu'Okita s'en éloigne. Ces éléments sont suffisamment bien campés, mais malgré tout il pourrait y avoir de quoi regretter que l'autrice n'ait pas osé aller plus loin dans la confusion autour de son personnage, histoire d'offrir vraiment jusqu'au bout une unicité forte à son intrigue.


A part ça, il faut avouer que le style visuel de Kira est séduisant: la dessinatrice livre des planches assez épurées, avec une certaine économie de trames, mettant surtout en avant les personnages et leurs visages, ce qui ne l'empêche pas de proposer assez régulièrement des décors d'époque assez crédibles. Enfin, on ressent un certain soin pour dépeindre l'époque, entre l'intervention de quelques personnages historiques (Okita et Hijikata donc, mais aussi Isami Kondo par exemple), l'évocation de certains événements de l'histoire du Shinsengumi comme la mise à mort de Kamo Serizawa, l'affaire de l'auberge Ikeda et plus généralement la lutte contre les impérialistes du han de Chôshû, ou encore la mise en pratique de certaines coutumes comme le suicide rituel.


A l'arrivée, on ne va pas le cacher, on aurait sans doute aimé que Kira aille plus loin dans son concept, qu'elle explore plus en profondeur la perdition de son personnage principal sur lequel il est si difficile de se prononcer. Néanmoins, Dandara reste une petite expérience de lecture intrigante et prenante, en plus d'être servie par de réelles qualités visuelles mais aussi par une édition française convaincante. Derrière une jaquette originale créée avec talent par Tom "spAde" Bertrand (mention spéciale au logo-titre, dont la typo fait penser à celle des films de sabres nippons), on retrouve ici le petit format shôjo/shônen typique d'Akata avec un papier souple et sans transparence ainsi qu'une qualité d'impression tout à fait satisfaisante. La traduction d'Alexandre Goy ne souffre d'aucune fausse note, tandis que le lettrage d'Isabelle Bovey s'avère propre jusque dans le sous-titrage discret ou le remplacement des onomatopées.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
14.75 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs