Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 24 Septembre 2024
Nobuyuki Fukumoto et Kaiji Kawaguchi ont beau manquer encore de vraie reconnaissance en France, ils n'en restent pas moins, tous les deux, des vétérans du manga ayant une solide stature au Japon: l'un a notamment rencontré une notoriété internationale avec ses séries-fleuves Akagi et Kaiji (toujours inédites en France à ce jour), tandis que l'autre a pu briller dans ses oeuvres de guerre ou de politique,notamment via Zipang, Eagle et Spirit of the Sun qui furent publiés dans notre langue il y a plusieurs années. On avait déjà pu profiter d'une collaboration entre les deux artistes avec la série en trois tomes Seizon Life, histoire touchante qui vit le jour au Japon en 2000, qui fut éditée en France par Panini une première fois en 2005, puis qui connut l'année dernière une nouvelle édition dans un grand format composé de deux épais volumes. Mais avant Seizon Life, les auteurs avaient déjà travaillé ensemble une première fois, sur une oeuvre que l'on a enfin l'occasion de découvrir dans notre langue en ce mois de septembre.
Confession, également connu au Japon sous le titre Kokuhaku (ce qui a exactement le même sens), est un récit d'environ 300 pages que Fukumoto scénarisa et que Kawaguchi dessina entre 1997 et 1999 pour le compte du magazine Uppers des éditions Kôdansha. Après une première édition nippone en volume relié sortie là-bas en juillet 1999, l'oeuvre a connu quelques autres éditions au fil des années, dont la toute dernière en date est parue en avril de cette année. C'est sur cette dernière édition que Panini s'est basé pour nous proposer une version française en grand format Perfect. Toutefois, nous ne reviendrons pas plus en détails sur la qualité de cette édition ici, dans la mesure où cette chronique a été faite à partir d'une épreuve numérique fournie par l'éditeur.
L'histoire suit Asai et Ishikura, deux hommes qui sont amis depuis l'époque de l'université où ils fréquentaient le même le club de randonnée. Mais hélas pour eux, leur nouvelle ascension du mont Owari, qu'ils connaissent pourtant bien, est vouée à laisser des séquelles dans leur vie et dans leur relation, sitôt qu'une brume épaisse, alors qu'ils sont près du sommet à 3200 mètre d'altitude, se lève en les empêchant de progresser, puisqu'ils ne voient plus rien à quelques mètres autour d'eux. Et pour ne rien arranger, Ishikura s'est grièvement blessé à la jambe... Résigné à mourir, persuadé qu'il y restera, le blessé choisit alors de confesser à Asai un crime terrible qui lui pèse depuis longtemps: cinq ans auparavant, lors d'une sortie en montagne du club de randonnée de la fac, il a délibérément assassiné Sayuri, une camarade du club, en l'étranglant, le corps de la jeune femme n'ayant ensuite été retrouvé que six mois plus tard après la fonte des neiges, et l'enquête ayant vite conclu à un accident. Asai n'a cependant pas le temps d'accuser le choc de cette confession, car à proximité, derrière l'épaisse brume, il a fini par repérer le refuge de montagne qu'ils avaient perdu espoir de trouver, et parvient à porter son camarade blessé jusque-là. Seulement, suite à ce qu'a dit Ishikura, l'ambiance n'est plus du tout la même: tandis qu'Ishikura commence à regretter sa confession, Asai sent bien que son compagnon n'est plus lui-même, et il commence à avoir peur qu'il le tue pour ne pas risquer d'être dénoncé. Les deux hommes étant voués à passer quelques jours seuls dans se refuge éloigné de tout et entouré par la tempête, qui sait ce qu'il pourrait se passer entre eux avant que les secours ne puissent intervenir...
Dans un cadre de huis-clos enneigé que Kaiji Kawaguchi exploite très bien dans sa mise en scène, Nobuyuki Fukumoto imagine une histoire se partageant en quelque sorte en plusieurs parties, chacune jouant un peu sur un créneau différent à partir de certaines avancées bien dosées dans la tournure que les choses sont vouées à prendre entre les deux hommes peut-être pas si bons amis que ça. Et si nous allons soigneusement éviter d'en dire beaucoup plus sur la tournure que prend l'oeuvre dans ses rebondissements, évidemment afin de ne rien spoiler, on peut au moins souligner les qualités de la première partie, qui est de toute façon la plus intéressante et réussie, car c'est là que nombre de doutes s'installent en particulier dans l'esprit d'Asai. En effet, dans ses histoires, Fukumoto apprécie généralement de placer ses personnages a priori ordinaires dans des situations difficiles, dramatiques ou tendues qui vont finir par révéler leurs faiblesses et leurs facettes cachées, en sondant pas mal l'aspect psychologique. C'est exactement ce à quoi on a droit ici: pendant un long moment, Asai a peur face à Ishikura qui lui semble désormais différent. Il craint de se faire tuer à tout moment pour qu'il se taise à jamais sur le meurtre de Sayuri, se demande s'il doit tuer avant d'être tué, ne sait pas comment en discuter avec son compagnon d'infortune, se met à interpréter chaque geste, chaque parole et chaque bruit venant de lui, le tout dans un climat d'incertitude et de quasi-paranoïa franchement efficace.
Alors, Asai a-t-il raison de se méfier autant ? La réponse arrivera bien assez vite, en permettant aux mangakas d'ensuite accentuer le ton sur d'autres ambiances, notamment de thriller voire d'action, pour un cocktail qui se lit très facilement et qui nous accroche jusqu'au bout, tant le rythme est efficace et les principaux rebondissements scénaristiques bien distillés. Mais malgré le côté très prenant, tout ceci ne se fait pas sans petites lacunes, notamment parce que plus le récit avance et plus le trait devient forcé/exagéré. Côté dessins, Kawaguchi est parfois à deux doigts d'en faire des caisses via certaines expressions faciales surfaites et qui prêteraient presque plus à sourire qu'autre chose. Et côté scénario, Fukumoto finit par tomber dans des ficelles plutôt grosses et amenées peu finement, à l'image de certains développements sur le vrai fond d'Asai. Le tout jusqu'à une conclusion qui, en plus d'être simpliste, pourra éventuellement laisser un arrière-goût amer entre l'issue attendant un personnage, et le cas amoindri de la pauvre Sayuri, victime d'un féminicide et de prédateurs masculins sans que les auteurs en fassent grand cas.
A l'arrivée, bien que Confession accomplisse très efficacement son rôle de divertissement haletant d'un bout à l'autre, l'oeuvre de Fukumoto et Kawaguchi finit par montrer des petites limites et maladresses dans sa deuxième moitié, après une première partie vraiment très bonne dans son côté plus psychologique et dans son atmosphère de huis-clos un peu parano. Mais qu'on se le dise, cela n'entache que peu le plaisir de lecture et les évidentes qualités d'immersion et d'écriture.