Comme un adieu Vol.1 - Actualité manga
Comme un adieu Vol.1 - Manga

Comme un adieu Vol.1 : Critiques

Sayonara, Otoko no Ko

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 09 Avril 2021

Elle a beau être une figure importante du manga féminin au Japon depuis désormais quasiment 25 ans, Takako Shimura, jusqu'à il y a peu de temps, n'avait été publiée en France qu'à une seule reprise, entre 2009 et 2015 aux éditions Asuka avec le très beau Fleurs Bleues, une oeuvre sensible, douce et poétique qui croquait des adolescentes à la découverte de leurs sentiments. Mais depuis l'année dernière, les éditions Akata ont, pour notre plus grande joie, entrepris de combler ce gros manque, en commençant par publier en avant-première numérique la série Si nous étions adultes..., série qui devrait désormais arriver en version papier dans les mois avenir. Mais en attendant cela, les éditions Akata montrent qu'elles ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin, en proposant dès ce mois d'avril un autre manga de l'autrice: Comme un adieu. Et quand on connaît le désir de l'éditeur de suivre sur la longueur les mangakas qu'il affectionne, on peut espérer avoir encore d'autres mangas de Shimura dans notre langue par la suite !

De son nom original "Sayonara, Otoko no Ko" (littéralement "Au revoir, garçon"), Comme un adieu est une série en 3 volumes que Shimura publia au Japon entre 2016 et 2020 au sein du Be x Boy des éditions Libre, un magazine catégorisé boy's love, déjà bien connu en France pour avoir vu passer un paquet de titres (Love Mode, Escape Journey, Gakuen Heaven... pour n'en citer que quelques-uns). Car Takako Shimura, à l'instar d'autres artistes, fait effectivement partie de ces mangakas qui sont très loin de se limiter à une seule catégorie étouffante, et dont les talents peuvent s'exprimer autant en boy's love qu'en yuri, en shôjo, shônen ou seinen... faisant alors volontiers fi des catégorisations.

Dans le cas de Comme un adieu, nous voici donc plongés aux côté d'un couple de deux hommes. Kanade Haijima, 25 ans, enchaîne les petits boulots tout en faisant partie d'une troupe de théâtre, lui qui rêvait précisément, avant, d'écrire des pièces. Voici un moment qu'il vit avec Yuhki Kuwata, 30 ans, chauffeur de bus. Mais voici qu'un jour, survient un événement inexplicable, qui arrive dès la première page de la série, et qui va bouleverser leur vie: soudainement, Kanade a rajeuni, est redevenu un petit garçon. Et tous deux ont à peine le temps de se poser des questions qu'ils doivent composer avec l'arrivée chez eux de Yûta, le petit frère de Yuhki, venu s'installer là quelque temps. une situation forcément saugrenue, car non seulement Yuhki n'a jamais osé (ni eu l'intention) de faire son coming out auprès de sa famille, mais en plus il doit désormais trouver une justification à la présence d'un "petit garçon" chez lui. Et il ne s'agit là que des premiers ennuis car, petit à petit, cette situation confrontera forcément chacun de ces jeunes hommes face à eux-mêmes, entre doutes relationnels et possibles tourments passés...

En montrant un Kanade redevenu enfant dès la première page, Takako Shimura n'offre clairement pas une entrée en matière classique, dans la mesure où avant ce bouleversement on n'a donc aucun point de repère sur la relation entre les deux personnages principaux. Cela peut déstabiliser... et c'est clairement voulu, car déstabiliser est une chose que l'autrice aura à coeur de peaufiner encore par la suite, de par son abord assez particulier mais intelligent de la chose.

En effet, s'il y a régulièrement des notes d'humour dans ce premier volume (entre le côté loufoque de la situation, les questions que se pose Yûta sur les penchants de son grand frère...), ainsi qu'une volonté de pourtant croquer les choses avec réalisme (il faut acheter des vêtements d'enfant à Kanade, s'arranger pour qu'il fasse semblant d'aller à l'école pour ne pas éveiller les soupçons de Yûta...), en fond ce sont pourtant de tout autres choses que la mangaka commence déjà à décortiquer, non sans jouer avec nos repères moraux entre autres choses. Car dans les faits, si Kanade a le corps d'un enfant physiologiquement, il garde un esprit adulte, avec tout ce que ça peut impliquer de réflexions matures, de désirs sexuels envers la personne qu'il aime, alors même que, forcément, Yuhki préfère largement se réfréner. Alors, Shimura peut choquer un peu par moments, en exposant un personnage au physique enfantin qui a un langage et des désirs adultes... mais tout ceci n'est évidemment pas gratuit, et a pour vocation, en premier lieu, d'interroger sur les représentations enfantines sexualisées que l'on peut voir dans de nombreuses oeuvres.

En somme, dans Comme un adieu, la situation fantastique de départ n'a pas de vocation humoristique ou racoleuse (même s'il y aura à tout casser quelques cases vaguement érotiques, mais quand les personnages sont adultes), et s'affiche plutôt comme le point de départ de toute une réflexion, chose qui se confirme largement à partir du moment où cette situation pousse chacun des trois personnages principaux à réfléchir sur leur situation, sur ce qu'ils sont devenus en grandissant... Sont-ils devenus les adultes qu'ils rêvaient d'être ? Qu'est-ce qui les a amenés à ce qu'ils sont devenus ? Sont-ils heureux ainsi ? A partir de là, le récit se veut toujours plus introspectif, et cela passe par un sujet en particulier: celui du théâtre, qui cristallise pas mal de choses chez nos héros, que ce soit dans leurs rêves passés, ou, comme le dit l'un des personnages, le fait que dans le théâtre (et dans les arts de manière générale) on peut devenir n'importe qui, et qui on veut.

Et pour porter tout ça, on a donc le style Shimura, tout à fait séduisant dans son genre. Au fil des années, la mangaka a développé un style visuel sensible et assez doux, qui joue beaucoup sur le blanc et sur les expressions nuancées des personnages. C'est avec la même pointe de douceur, mêlée de spleen, que s'écoule une narration assez introspective, où l'autrice se plaît parfois à brouiller un peu les choses dans des pensées vaporeuses, tout en s'appliquant à alterner entre les points de vue de chaque personnage.

On a alors un premier volume qui pique beaucoup l'intérêt. Takako dérange volontiers pour certaines situations de base, autant qu'elle captive par la complexité et les nuances de ce qu'elle en fait. Comme un adieu se présente alors comme une oeuvre dont on attendra fortement les deux tomes suivants, en espérant que la série continuera d'aller crescendo. Notons, enfin, que la fin du volume nous propose une petite histoire courte, elle aussi intéressante.

Côté édition, on retrouve le format "seinen" habituel de l'éditeur, avec un papier assez épais permettant une bonne qualité d'impression. La traduction de Jordan Sinnes sonne juste, le lettrage d'Isabelle Bovey est soigné, la première page en couleurs est un petit plus appréciable, et la jaquette créée par Manabi-S est vraiment belle: celle-ci, tout en restant fidèle à l'illustration de la jaquette nippone, propose un fort joli vernis sélectif en forme de fenêtre, travaillé jusqu'au doigts du personnage se posant sur le carreau.
  

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
15.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs