Clan des Poe (le) Vol.2 - Actualité manga
Clan des Poe (le) Vol.2 - Manga

Clan des Poe (le) Vol.2 : Critiques

Poe no Ichizoku

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 19 Janvier 2024

Quelques mois après la parution du tome 1 en guise d'inauguration de l'alléchante collection Héritages des éditions Akata, l'oeuvre la plus emblématique de Moto Hagio revient en France pour son deuxième et dernier pavé, pile pour la venue de l'autrice au FIBD d'Angoulême dans quelques jours. Et les choses étant décidément bien faites de la part d'Akata, ce deuxième opus bénéficie justement d'une assez longue et intéressante préface de Xavier Guilbert, le co-commissaire de l'exposition sur la mangaka qui aura lieu pendant le festival.

Rappelons, s'il le fallait encore, que l'oeuvre nous invite à suivre différentes histoires non-chronologiques centrées sur le vampanella Edgar, son compagnon Allan après qu'il l'a rencontré, et sa soeur Marybelle avant qu'elle ne meure tragiquement, à différentes époques. Six nouveaux récits sont au programme ici, ceux-ci ayant été initialement prépubliés au Japon entre 1973 et 1976, toujours dans le magazine Bessatsu Shôjo Comic des éditions Shôgakukan.

Moto Hagio propose non pas une histoire linéaire, mais plutôt une successions d'histoires ayant toujours pour éléments centraux nos trois personnages principaux, ou l'un des trois, ou deux des trois. Le tout, dans un ordre qui, volontairement, n'est aucunement chronologique: d'un récit à l'autre, on vogue entre les époques passées et futures (le futur d'après 1880 mais d'avant notre époque actuelle, s'entend - par exemple avec une histoire se passant au lendemain de la Première Guerre mondiale), en différents lieux (généralement l'Angleterre, mais pas que) puisque leur condition oblige les vampanella à régulièrement déménager. De nos jours, cette construction non-chronologique a été réutilisée à maintes reprises (on pourrait par exemple citer Mermaid Forest de Rumiko Takahashi, qui traite aussi de personnages immortels par ailleurs), mais il faut se dire qu'à l'époque il s'agissait d'une chose révolutionnaire, d'un choix précurseur dans le domaine du manga. Et puis, cela convient à merveille pour nous faire ressentir l'immortalité et surtout la solitude d'Edgar, qui travers les époques en restant éternellement adolescent.

Pas de surprise quant au schéma narratif qui est le même que pour le tome 1 bien sûr, et qui reste particulièrement ambitieux voire novateur pour l'époque dans le domaine du shôjo manga, avec des histoires alternant entre les époques, pouvant aller du XIXe siècle jusqu'à un proche présent de l'époque à laquelle Hagio a conçu l'oeuvre (en l'occurrence, l'un des récits va jusqu'en 1966). Le côté non-chronologique étant, alors, un délice nous invitant à retracer, petit à petit, le parcours qu'a pu être celui de nos héros, le tout avec un côté ouvert où il est totalement possible d'imaginer d'autres récits afin d'enrichir toujours plus ce fascinant univers, Le Clan de Poes ayant ce pouvoir de nous offrir toute une mythologie propre.

On ne va pas vous faire l'affront de vous raconter ici un seul mot des différentes histoires: la base ayant été posée dans le volume 1, mieux vaut vous laisser tout découvrir. On va plutôt se contenter de souligner les qualités déjà amplement vues dans la première moitié de la série, qualité que la mangaka a su peaufiner en maîtrisant toujours mieux son propos, sa mythologie, ses personnages récurrents comme secondaires. Graphiquement, tout en restant ancré dans son époque au niveau des codes visuels du genre, l'oeuvre se démarque toujours par l'ambition la profondeur alors inédite de ses personnages, par ses incroyables élans de lyrisme dramatique, et par de nombreuses compositions formidable où l'autrice se débarrasse de tout découpage académique. Egalement, il y a de grosse variations d'ambiance permettant à Moto Hagio de voguer à merveille entre toutes sortes d'émotions, entre les instants de joie presque innocente et les atmosphères plus mélancoliques, tristes, dures, voire un brin horrifiques. Et au niveau des thématiques, tout en retrouvant évidemment ce qui était déjà présent dans les premières histoires (les réflexions sur la condition des vampanellas, sur les deux mondes différents que sont celui des humains et celui de ces vampires, sur la solitude, sur la mort, sur le temps, sur l'existence même, sur le souvenir...), Hagio esquisse plus profondément un véritable travail sur les relations passionnées de ses principaux personnages, relations confinant quasiment à des amours tabous ou proches de l'homosexualité, à une époque où Hagio planchait justement en parallèle sur Le Coeur de Thomas, oeuvre de 1974-1975 souvent considérée comme la pierre fondatrice du boy's love.

Si le premier volume était déjà captivant, ce deuxième tome l'est encore plus, tant Moto Hagio y maîtrise son concept, ses personnages, sa narration et son art. Et jusqu'au bout, on découvre ce grand morceau de l'Histoire du manga avec un bonheur d'autant plus présent que l'édition française reste excellente et conçue par des passionnés, avec ses assez nombreuses pages en couleurs/bichromie, son grand respect de l'oeuvre dans la traduction, sa galerie d'illustrations et sa chronologie détaillée.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
18.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs