Chat noir (le) - Actualité manga

Chat noir (le) : Critiques

Kuroneko no Me ga Yami ni

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 08 Janvier 2024

Auteur vétéran et maître du manga d'horreur à qui l'on doit des titres comme L'Enfant Insecte, Serpent Rouge ou encore le culte Panorama de l'Enfer, Hideshi Hino a fait un joli retour en France chez son éditeur historique IMHO en 2023, et cela dès le mois de février avec la publication d'une oeuvre qui était, jusque-là, inédite dans notre pays: Le Chat Noir. De son nom original Kuroneko no Me ga Yami ni (littéralement "Les yeux du chat se tournent vers l'obscurité"), ce manga a vu le jour au Japon chez l'éditeur Rippû Shobô, en tant que shôjo (comme la majorité des titres de l'auteur, ce qui prouve encore un peu plus toute la variété de ce genre encore trop souvent sous-estimé), en 1979, ce qui en fait donc plutôt une oeuvre de première partie de carrière de Hino (rappelons qu'il a fait ses débuts en 1967 avant de vraiment décoller au début des années 1970) et, à ce jour, le plus ancien titre de l'auteur publié dans notre langue.

L'histoire nous fait suivre Noireau, un chat noir né dans un tuyau d'égout d'une décharge, au fin fond d'une zone industrielle. Explorateur dans l'âme, contrairement à ses frères qu'il méprise, il quitte son lieu de naissance dès que possible pour partir à la découverte du monde et tenter de subsister, si bien que sa curiosité le pousse rapidement à s'interroger sur une espèce qui lui semble bien étrange: l'être humain. Certains humains ont beau le fuir comme la peste à cause des superstitions affirmant que les chats noir sont signes de malheur, le félin, que ce soit par affection ou par pur intérêt personnel (avoir de quoi manger, se protéger du froid...), trouve toujours le moyen de se loger auprès de certains d'entre eux, et devient alors l'observateur privilégié de leur quotidien... et de leurs malheurs.

Un peu à l'image de mangas comme Orochi de Kazuo Umezu (Le Lézard Noir) ou, dans une moindre mesure selon les histoires, Tomie de Junji Ito (Mangetsu), Hideshi Hino prend ici le parti de nous faire suivre différentes histoires horrifiques et dramatiques à travers les yeux d'un personnage extérieur et observateur, en l'occurrence le chat noir ici, celui-ci étant, tout au long de l'oeuvre, l'unique narrateur pour nous faire découvrir quatre récits sombres et tous terribles dans leur genre: un clown sans talent et méprisé par les siens qui décide d'essayer la ventriloquie pour ne pas être viré du cirque où il travaille depuis 20 ans, un mangaka d'horreur aussi terrifiant que ses oeuvres, un petit garçon délaissé par sa mère et brimé par les enfants de son âge qui cherche du réconfort en adoptant un chien très protecteur et possessif, et un couple de personnes âgées qui n'a plus de couple que le nom puisque tous deux passent leur temps à se disputer et à se faire des crasses.

On choisit volontairement de ne pas en dire plus sur chacune des quatre histoires afin de ne pas spoiler leur déroulement, mais on peut tout de même souligner la maestria avec laquelle Hino les mène, ne serait-ce que grâce à son choix de faire du félin l'unique narrateur, un choix très astucieux et efficace puisque, dès lors, la narration reste partiellement détachée des histoires qui n'en paraissent que plus fatalistes et noires. En terme d'horreur pure, le mangaka joue sur certaines figures qui suscitent naturellement une part d'effroi, à l'image de la marionnette de la première histoire, du mangaka lui-même dans la deuxième histoire, ou du chien de la troisième histoire qui est prêt à absolument tout pour protéger son jeune maître. Et ces figures sont d'autant plus efficaces que l'auteur à une manière très noire de les dessiner. Mais chez Hino, la part horrifique se conjugue très souvent avec une part dramatique qui joue sur la misère sociale, sur les parts sombre de l'être humain et sur la condition humaine , et chaque histoire en est ici le témoin: marginalisation, pauvreté, difficultés à trouver sa place en société (que ce soit au travail, en famille, à l'école...), dédain envers autrui, brimades, désir de vengeance, enfant délaissé, vieillesse, deuil... sont autant de choses que l'auteur parvient à brasser avec talent. Mais il ne s'arrête pas là puisque, derrière la part de réalisme de ces portraits sombres et tragiques, il ajoute à chaque fois une pointe de surnaturel qui ne peut quasiment pas être expliquée, et c'est tant mieux. S'agit-il de pure folie humaine poussé à son paroxysme ? Le chat noir serait-il réellement porteur de malheur sans en avoir lui-même conscience ? A chacun de se faire son avis.

Enfin, en poussant l'analyse et l'interprétation plus loin, on pourrait aussi voir, en chacune de ces histoires, un moyen pour Hideshi Hino de réfléchir sur le rapport de l'artiste-créateur à son art et à son oeuvre, la façon dont son oeuvre peut lui échapper, ou encore ce qu'il peut en faire pour échapper à quelque chose. Là-dessus, la chose la plus évidente provient du mangaka d'horreur de la deuxième histoire où Hino part dans un déroulement très méta, mais il est tout aussi intéressant d'observer comme la marionnette créée par le clown et le chien "modelé" par l'enfant échappent quelque peu à leur contrôle, sans oublier le rôle que donne le vieux sculpteur à sa dernière création dans la quatrième histoire.

A l'arrivée, il y a énormément de choses à retenir dans cette oeuvre à la narration maligne et brillante, au fil de laquelle Hideshi Hino marie à merveille l'aspect horrifique à des portraits sombres de l'être humain et de ce qui l'entoure. Il s'agit à la fois d'un excellent cru dans la carrière du maître, et d'un bon moyen pour les néophytes de découvrir ce mangaka puisque ce titre regroupe tout ce qui peut faire la richesse de sa bibliographie.

Quant à l'édition française, elle est convaincante dans l'ensemble: le grand format sans jaquette ni rabats (typique de l'éditeur) est soigné, la couverture conçue pour l'occasion est dans la lignée des autres titres de l'auteur en étant à la fois assez sobre et noire (ce qui a le mérite de donner suffisamment le ton), le papier est à la fois souple et assez épais malgré une transparence trop appuyée sur certains pages, le lettrage est propre, et la traduction effectuée par Léopold Dahan est très correcte.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
17.25 20
Note de la rédaction