Chant des souliers rouges (le) Vol.1 - Actualité manga
Chant des souliers rouges (le) Vol.1 - Manga

Chant des souliers rouges (le) Vol.1 : Critiques

Tetsugaku Letra

Critique du volume manga

Publiée le Mercredi, 10 Mai 2017

En ville, Kimitaka, de bon matin, se réveille avec la même nonchalance que d'habitude, afin d'aller se traîner jusqu'au lycée. En bas de la maison familiale, son grand-père qui semble perdre un peu la tête lui dit au revoir avec énergie, et la route peut commencer jusqu'à cet établissement scolaire éloigné où il n'a pas d'amis et préfère s'isoler. Eteint, l'adolescent l'est depuis qu'il a perdu ses illusions sur sa passion, le basket. Exerçant depuis l'école primaire, il se pensait très bon au collège, a même appris à plusieurs camarades de classe à jouer, mais ceux-ci ont vite fini par devenir meilleurs que lui, et le jeune garçon, incapable d'accepter cela, a commis un acte dur. Car il est difficile d'accepter l'idée de n'avoir aucun talent dans ce qui nous passionne...

Cette idée, Kimitaka l'a désormais accepté, difficilement, comme résigné. Il ne joue plus au basket, ne fait plus rien, se morfond et paresse au jour le jour sans vouloir sortir de sa déprime routinière. Mais les choses pourraient changer le jour où sa route recroise celle de Takara, jeune fille qu'il a croisée à l'époque du collège à un moment crucial : alors qu'il s'apprêtait à jeter ses baskets rogues achetées par son grand-père puisqu'il n'avait aucun talent, cette adolescente était sur le point de faire la même chose avec ses souliers rouges de flamenco, pour les mêmes raisons que lui. Trop petit de gabarit, Kimitaka n'était pas bon au basket. Trop grande en taille, mais aussi au niveau des pieds et des mains, Takara n'avait pas la grâce nécessaire pour la danse espagnole qui la passionnait tant. Tous deux ont le corps que la nature leur a donné, un corps qui ne leur permet pas d'exceller dans ce qu'ils aiment. Et chacun d'eux, en parlant, a fini par ressentir les mêmes tourments, et a envié le corps de l'autre. Si bien que, comme un symbole, au lieu de jeter respectivement leur paire de chaussures rouges, ils se les ont échangée.

C'est le destin qui semble replacer brièvement Takara sur la route de Kimitaka, et la jeune fille a changé. Désireuse de sortir de sa torpeur, et avec les baskets de Kimitaka comme porte-bonheur pour effacer son profond manque de confiance en elle, elle a choisi de faire de ses grands pieds et de ses grandes mains une qualité, en se mettant au basket. Lors d'un match, Kimitaka a l'occasion de l'observer sans l'aborder, et entrevoit une adolescente qui cherche activement sa place et a réussi à s'en faire une dans le club féminin de son lycée. Cela éveille quelque chose chez le jeune garçon, qui bientôt retrouve grâce à son grand-père les souliers de flamenco rouges que Takara lui avait donnés... Et si, lui aussi, pouvait changer ?

Elle nous avait ravi il y a quelques années avec la série My Girl et le recueil Un bus passe (mais aussi le boy's love A l'unisson paru chez Taifu Comics) : la talentueuse Mizu Sahara est enfin de retour en France avec Tetsugaku Letra, une série en 6 volumes parue de 2011 à 2015 dans le magazine Gessan de Shôgakukan. Première série (et toujours, à ce jour, seule série) de la mangaka à avoir été publiée au Japon dans un magazine estampillé shônen, cette oeuvre renommée en France Le Chant des Souliers Rouges captive dès ses premières pages, pour la douceur et la mélancolie caractéristiques de l'artiste, que l'on retrouve pleinement dans ses visuels et sa narration. Son trait empli de sensibilité nous avait manqué depuis ses dernières publications françaises début 2012, de même que sa narration très appliquée, assez introspective, décortiquant sans en faire trop et avec beaucoup de finesse le ressenti intérieur de son personnage principal.

Avec cette patte aussi personnelle que réussie, l'artiste nous plonge avec efficacité aux côtés d'un adolescent en doute, éteint, comme si son temps s'était arrêté depuis l'époque du collège et l'erreur qu'il y a faite, sans qu'il soit capable d'avancer de nouveau. Sahara évoque dès ce premier tome, avec subtilité et force, des tourments profondément humains : la désillusion, la difficulté de se relancer après celle-ci, le manque de confiance en soi, le rapport à notre corps loin d'être idéal, l'acceptation de soi... Le parcours de Kimitaka qui pourrait bien se retrouver une passion, une qualité, devrait alors être passionnant à suivre au-delà de ce tome qui n'est qu'une savante introduction. Mais son parcours à lui ne devrait pas être le seul à nous intéresser.

Une phrase revient à la lecture, et ouvre même le tome : "Changer la vie des autres, ce n’est pas à la portée du premier venu. Qu’est-ce que les gens qui y arrivent ont de si spécial ?". Peut-être, justement ne sont-ils pas si spéciaux que ça, et qu'il suffit qu'ils nous touchent là où il faut. A ce titre, Sahara dresse alors tout autour de Kimitaka d'autres personnages qui pourront l'épauler à leur manière, comme lui a soutenu sans le savoir Takara par un simple échange de chaussures. Il y a évidemment son grand-père, cachant un réel souci envers son petit-fils derrière son côté sénile, ainsi que sa mère qui espère patiemment qu'il se refera des amis. Puis il y a justement les fameux premiers amis de notre héros, Tsubura et Hana, deux autres garçons loin d'être bien intégrés et qu'il pourra découvrir. Enfin, on découvre dans le dernier tiers du tome son attachante petite soeur, peut-être son plus important soutien depuis toujours sans qu'il s'en soit aperçu... Il y a chez Mizu Sahara un talent fou pour installer et nous faire ressentir les liens de ses personnages et leur importance, comme e fut le cas précédemment dans My Girl.

Kazé Manga nous sert une édition tout à fait convaincante, qui plus est. L'éditeur a choisi de reclasser le titre en collection seinen, ce qui peut se comprendre, et nous offre donc son format seinen habituel, avec un papier et qualité d'impression corrects. On appréciera beaucoup les premières pages en couleurs, le soin apporté sur les discrètes et assez rares onomatopées, et la traduction soignée de Géraldine Oudin & Raphaëlle Lavielle.

Le Chant des Souliers Rouges s'offre une très belle entrée en matière, sensible et intelligente, suite à quoi il nous tarde de voir l'oeuvre décoller sur les tomes suivants.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
16.5 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs