Ce vide au fond de moi Vol.1 : Critiques

Ano Natsu ga Houwa suru.

Critique du volume manga

Publiée le Vendredi, 06 Septembre 2024

Mangaka que l'on avait découvert avec beaucoup d'intérêt aux éditions Kana il y a une quinzaine d'années avec le diptyque Scene et surtout le magnifique Evil Heart (l'un de ces nombreux bijoux dont on ne parle plus assez), Tomo Taketomi refait enfin parler de lui en France depuis quelque temps, pour notre plus grande joie. Ainsi, après avoir découvert récemment aux éditions nobi nobi! sa très réussie adaptation manga de l'excellent Château solitaire dans le Miroir, on le retrouve en ce début de mois de septembre, dans la souvent intéressante collection Moonlight des éditions Delcourt/Tonkam, avec sa dernière série en date, lancée au Japon en août 2022 dans le magazine Dengeki Daioh d'ASCII Mediaworks/Kadokawa: "Ano Natsu ga Houwa suru." (littéralement "Cet été est saturé."), que l'éditeur français a préféré renomme "Ce Vide au fond de Moi", un choix assez intelligent puisque cela donne une bien meilleure idée de l'ambiance très dure et du thème de la série.

Notons également que ce projet de manga est un peu atypique puisque, ici, Taketomi a choisi de concevoir un drame social, contemporain à partir d'une chanson issue de Vocaloid. Chanson que l'on doit à Iori Kanzaki (qui, du coup, est crédité au scénario du manga), qui a été chantée par les artistes virtuels bien connus Rin et Len Kagamine, et qui a été mise en ligne en août 2018.

"Hier, j'ai tué quelqu'un."

C'est sur ces paroles fortes (correspondant exactement à la première phrase de la chanson d'origine, par ailleurs) que s'ouvre ce premier volume, avant d'immédiatement nous faire assister à une scène terrible quand Chihiro Azuma, un homme taciturne de 27 ans travaillant dans un magasin d'imprimerie, se remémore, comme toujours depuis 13 ans, la tragédie de son adolescence à l'époque du collège: Alors que sa très précieuse petite amie Ruka a accidentellement tué quelqu'un qui la harcelait en le poussant dans un escalier, et qu'il s'est résolu à fuir avec elle, les deux enfants ont vite été rattrapés par la police, et le jeune garçon a alors vu celle qu'il aimait se trancher la gorge en lui affirmant que lui devait continuer à vivre. Depuis, Chihiro vit comme un zombie. N'ayant goût à rien, se contentant de vivre modestement avec l'argent de son travail sans rien attendre de plus, il refuse depuis tout ce temps toute relation amoureuse voire relation amicale et ne semble aucunement vouloir profiter des joies de l'existence, car il aurait le sentiment de trahir son profond amour d'adolescence qu'il n'a jamais pu oublier. Cela, on le verra très bien dans le début de cette histoire, dès lors qu'il refuse une promotion au travail et qu'il ne montre quasiment aucun intérêt dans les avances d'une pourtant charmante collègue. C'est finalement quand son collègue Sata l'invite à essayer un site de rencontres et de coups d'un soir que sa vie risque enfin de prendre un nouveau virage, sans pour autant renier le passé: lors d'une rencontre vouée à être un coup d'un soir, il découvre une partenaire qui dit être une étudiante de 20 ans, qui semble renfermer en elle quelque chose lui rappelant son amour disparu... et qui,elle aussi, s'appelle Ruka. A partir delà, cette fille va devenir comme une sorte d'obsession pour lui, pour des raisons que l'on cerne facilement. Seulement, cette Ruka Mizuhara est-elle tout à fait ce qu'elle affirme être ?

Bien sûr, on va prendre soin de ne pas répondre à cette question, car ce serait spoiler une part importante de ce premier tome qui, bien plus que Chihiro, va tout compte fait surtout finir par se focaliser sur Ruka et tout ce qui l'entoure, cette jeune fille cachant de terribles secrets. Sans trop de surprises quand on connaît le passif de Taketomi, il sera question de thématiques sociales graves voire très graves,qui sont encore vouées à s'enrichir sur la longueur via d'autres personnages comme Yuki Anzai. Et pour ça, le mangaka n'hésite pas, à son grand mérite, à mettre les pieds dans le plat pour encore plus déranger et mettre mal à l'aise, en faisant avoir à ses personnages des comportements et des réactions qui ont de quoi choquer pour cristalliser de plus belle une chose: chacun des principaux personnage a en lui un profond mal-être, un vide total (surtout affectif) les poussant à agir d'une manière qui peut souvent sembler sur le coup assez dingue mais qui s'expliquera à travers ce qu'ils ont vécu.

En soi, l'idée est bonne, et pour le coup il semble impossible de ressortir indemne de la lecture, tant Taketomi appuie cet aspect, jusque dans des moments de violence psychologique et physique affreux et dans quelques scènes assez explicites. Et pourtant, cette fois-ci, l'auteur n'en ferait-il pas un peu trop ? En effet, malgré un fond social bien présent et marquant, il y a des choses qui font un peu too much, tant les éléments graves s'enchaînent en un seul petit tome. Qu'on se le dise, il est notamment question ici de harcèlement, de meurtre, de suicide d'enfant, de deuil, de sentiments amoureux incestueux, d'absence parentale, de prostitution de lycéennes, de chantage et vengeance via vidéo porno volée, de tentative de viol collectif d'adolescente, de manipulation psychologique de filles affaiblies... le problème étant que le mangaka veut tellement accumuler rapidement ces sujets terribles que notre cerveau a envie de dire stop au bout d'un moment, et qu'il donne l'impression d'oublier de faire évoluer plus en nuances ses personnages. Par exemple, ce que Chihiro propose à Ruka vers la fin du tome semble presque sortir de nulle part, à moins que l'auteur se décide à revenir plus sur lui par la suite.

Si bien qu'à l'arrivée, il est très difficile de savoir quoi penser exactement de ce premier tome: on ressort de la lecture assurément mal à l'aise, ce qui permet à Tomo Taketomi de bien nous imprégner de sujets sociaux et humains qu'il présente de façon "coup de poing", mais d'un autre côté il y a ce sentiment de trop et ces quelques limites qui laissent interrogateurs quant à là où le mangaka compte nous mener. Reste qu'au vu des oeuvres passées de l'auteur, on a largement envie de lui faire confiance, en espérant que l'on fait bien.

Finalement, le carton jaune ira plutôt pour l'éditeur. Non pas que l'édition en elle-même soit mauvaise: la jaquette est fidèle à l'originale nippone, le logo-titre est soigné, la première page en couleurs sur papier glacé est appréciable, le papier ainsi que l'impression sont de qualité convaincante, la traduction d'Essia Mokdad est très claire, et le lettrage de Tomoko Benezet-Toulze est propre. On peut même passer outre le synopsis en quatrième de couverture qui semble légèrement à côté de la plaque puisqu'il est dit de la défunte Ruka qu'elle était au lycée alors qu'apriori, elle était collégienne. Non, le gros souci, c'est qu'on est face à un manga traitant de sujets très durs avec beaucoup de violence psychologique et certains moments assez explicites (notamment une petite scène de sexe entre collégiens où la nudité n'est pas cachée), que le contenu peut heurter certaines sensibilités, et qu'il y a zéro avertissement sur la jaquette pour signaler ça. Sérieusement ?


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Koiwai
13 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs