Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 25 Septembre 2019
Chronique 2
En voulant sauver un chaton d'un accident de la route, Taichi a mis sa vie en danger. Heureusement, Tôma est venu à son tour à sa rescousse... mais s'en retrouve blessé et ne peut plus participer au tournoi du Kôshien. Taichi culpabilise d'avoir brisé le rêve de son ami d'enfance, même si c'est sa survie qui importe à Tôma. Dans ce climat tendu, Futaba va tenter d'alléger la peine de Taichi...
La belle harmonie au sein du petit trio superbement dépeinte dans le tome précédent laisse ici place à une situation de désespoir. Aucune perte à déplorer dans cette accident de la route initié par le sauvetage d'un chaton, mais un rêve brisé. A partir de cette situation, l'auteur continue d'amener une profonde richesse dans les interactions entre les trois personnages centraux. Le chagrin domine, l'occasion pour Tôma de faire une puissance déclaration, tandis qu'une grande remise en question attend Taichi.
Le mélodrame aurait pu s'avérer très classique, mais KAITO en fait quelque chose de profondément touchant, de plusieurs manières. Il s'intéresse au rêvé déchu de Tôma, mais aussi au passé des deux amis d'enfance. Si on apprécie le rendu particulièrement touchant de ses séquences, parfois dénuées de paroles et jouant uniquement sur la narration, une superbe manière de mettre la mélancolie des jours passés en avant, c'est aussi ce qui nous est raconté sur les deux garçons qui prend aux tripes. Le mangaka croque toujours aussi habilement ces portraits d'adolescence à base d'une amitié passant par de multiples paradoxes, de la joie à la tristesse, en passant par l'amour et la jalousie.
Un pitch assez classique dans le fond, mais c'est la forme qui se révèle encore une fois surprenante dans Blue Flag. KAITO utilise pour seul artifice son talent de conteur, et on est très facilement happé par l'histoire finalement peu commune de ces deux amis, qui développent une relation toujours plus sincère.
Et parce que l'artiste ne manque pas de parler d'amour, ce troisième tome questionne aussi sur la nature des sentiments amoureux de quelques personnages. Futaba a un rôle important à jouer dans ce domaine, et il en reste une très belle séquence d'acceptation, menant la série vers de tous nouveaux sentiers. Cela aurait pu être un peu brusque après seulement trois tomes, mais le tout est amené de manière si douce et naturel qu'on est naturellement conquis par les développements proposés par le mangaka.
Il en résulte un troisième volume qui confirme encore une fois toute la qualité de Blue Flag. Tranche de vie sentimentale on ne peut plus sincère, elle continue de confirmer tout la profondeur du récit et la beauté de sa narration, pour construire l'adolescence de trois attachants protagonistes, chacun vivant ses petits moments de joies comme ses tracas ordinaires.
Chronique 1
"A travers cette main... je voudrais te faire ressentir tout ce que je ressens..."
A l'instant où, en sauvant un chat sur la route, Taichi pensait enfin faire face à ses sentiments négatifs issus du passé, les conséquences de son acte ont finalement été terrible. Une voiture qui arrive, un accident, un adolescent qui s'évanouit... A son réveil, pourtant, Taichi est allongé sur le trottoir, entouré de copains inquiets. Non loin de là, il voit d'autres camarades de classe effrayés et désemparés, Mami en pleurs. Puis, au beau milieu de la route, sur le lieu de l'accident, le cas de Tôma...
"Je déteste celui que je suis devenu..."
Brillamment mises en scène de façon quasiment muettes, les toutes dernières pages du tome 2 de Blue Flag nous laissaient sur un événement dramatique insondable, suscitant une attente folle concernant le sort de Tôma, qui s'est précipité sur la route pour sauver son ami en encaissant le choc à sa place. Le mangaka Kaito arrêtant le suspense dès la première page de ce troisième volume, tout comme les éditions Kurokawa le font d'emblée via la 4e de couverture, cela nous évitera au moins de devoir chroniquer ce tome en évitant de spoiler et donc en devant occulter de parler de choses importantes...
Car des choses importantes, il s'en passe forcément un paquet dans ce nouvel opus, l'accident de Tôma n'étant pas sans conséquences. Avec une jambe cassée, ce dernier est obligé de renoncer à son rêve de Kôshien avec son équipe de base-ball, et forcément Taichi se sent profondément coupable de ce qui est arrivée. Pourtant, au-delà du regard mauvais de certaines personnes comme Mami, pas mal de monde se montre bienveillant avec lui: Tôma lui-même n'en veut aucunement à son ami car le plus important c'est lui et sa vie, le grand frère Seiya se montre tout aussi bienveillant en affirmant que notre héros n'a aucune raison de se sentir coupable et que c'est Tôma lui-même qui a pris la décision de s'élancer sur la route... Mais au fond de lui, qu'est-ce que Taichi, lui, ressent face à cette situation ?
Le sentiment de culpabilité, même injustifié, est une chose qui peut être extrêmement difficile à effacer, encore plus quand, comme Taichi, on a toujours été quelqu'un d'un peu mal dans sa peau et en manque de confiance. A l'heure où, grâce à la présence de Tôma et Futaba, certaines choses semblaient aller beaucoup mieux pour l'adolescent, un seul drame le replonge dans ses pires doutes, et c'est en étant à fleur de peau qu'il commence à tout rejeter, entre une dispute avec Tôma et une façon presque odieuse de déballer de nombreuses choses à une Futaba qui s'inquiète simplement pour lui.
Le coeur de Taichi est alors, plus que jamais, mis à nu dans toute sa complexité. Et on cerne d'autant mieux les doutes, tourments et faiblesses de cet ado meurtri que Kaito glisse au bon moment un petit flashback éclairant encore un peu plus la relation amicale, parfois compliquée à assumer, qu'il entretient avec Tôma depuis l'enfance, entre réelle amitié, désillusions et sentiment d'infériorité.
Tôma, lui, reste un modèle de bonté, assurant à Taichi qu'il n'a pas à s'en faire, paraissant bien plus inquiet pour son ami que pour lui-même... Mais lui aussi, on le cerne bien, a ses propres moments d'incertitudes et de regrets qu'il ne veut pas montrer, la scène de visionnage du match de base-ball le montrera très bien. Et en l'esprit de Taichi tout comme en celui du lecteur, il en découle alors forcément une autre interrogation: qu'est-ce que ce grand gaillard sportif, si gentil et si populaire, peut-il bien réellement ressentir et cacher tout au fond de lui ?
"J'aurai qu'à enfouir ces sentiments bien profondément."
Et entre les deux garçons, il y a Futaba, toujours aussi mimi et amusante dans pas mal de bouilles, certes, mais surtout elle-même troublée et inquiète, que ce soit pour Tôma ou pour Taichi. En voulant emmener Taichi quelque part pour lui changer les idées, la timide jeune fille enclenche chez son ami quelque chose qui aura forcément des répercussions sur elle aussi, et l'heure est peut-être venue pour elle de se questionner un peu plus sur des sentiments décidément délicats à définir, car dans l'âme humaine rien n'est tout blanc ou tout noir. Avec notamment l'habituelle bienveillance de Masumi envers son amie, Kaito interroge alors plutôt profondément sur certaines considérations sentimentales, sur ce qu'est l'amour, sur les frontières floues que ce sentiment peut avoir avec d'autres comme l'amitié ou l'admiration... Ce n'est, dans le fond, pas forcément hyper original, mais alors, qu'est-ce que c'est bien mené et fin !
"Je ne peux pas... avoir plusieurs personnes qui comptent pour moi ?"
Et de manière générale, c'est ce qui fait toujours autant la force de Blue Flag. Le récit continue de jouer sur un déroulement plutôt classique, mais à chaque fois Kaito en profite pour aborder de la meilleure façon possible toute la complexité de ce que peuvent ressentir ses jeunes héros dans leurs sentiments, leurs tourments, leurs rêves, leurs relations, les événements du passé les ayant conditionnés... C'est crédible, juste, et toujours impeccablement porté par une patte visuelle tout en subtilité et en pudeur, avec son lot de non-dits poignants voire de geste symboliques comme ces mains serrées entre les personnages.
"Merci... de ne pas m'avoir... abandonné."
Plus qu'une tranche de vie lycéenne, Blue Flag continue de se dresser comme une fresque humaine belle, profonde, à la pertinence rare, touchant toujours où il faut.