Critique du volume manga
Publiée le Mercredi, 20 Avril 2022
Publié pour la première fois en France dès avril 2005 avec le premier tome du thriller Blue Heaven chez Panini, Tsutomu Takahashi est un auteur certes cultissime, et qui aura pourtant mis quelques années avant d'être reconnu à sa juste valeur en France. Si l'on excepte le bijou grandement autobiographique Bakuon Rettô (le plus réaliste et peut-être le plus puissant des mangas de bosozoku/furyô, indispensable pour quiconque aime le genre) qui est paru chez Kana entre 2008 et 2013, l'auteur fut surtout emblématique de Panini avec des oeuvres comme Alive, Sky High Karma, Sidooh et Soul Keeper, mais malheureusement à une époque où l'éditeur était au plus bas de sa réputation et ne prenait vraiment pas soin de ses publications (au point d'avoir finalement abandonné la première édition de Sidooh en mars 2014 après 14 tomes, rappelons-le).
Mais fort heureusement, Takahashi semble avoir enfin gagné ses lettres de noblesse ces dernières années auprès d'un public manga qui a mûri. Et ça, deux éditeurs l'ont bien compris !
L'un n'est autre que Panini lui-même: depuis janvier 2021, l'éditeur a effectivement entrepris de remettre en avant les séries de Takahashi faisant partie de son catalogue, avec tout d'abord Sidooh qui a été relancée en début d'année dernière, la nouvelle édition de Soul Keeper qui vient de débuter, et l'arrivée d'une nouvelle édition de Blue Heaven à partir de juin (si seulement Sky High Karma et, surtout, les autres séries de la saga Sky High pouvaient suivre !).
Mais avant ça, le plus gros de la remise en lumière de Takahashi en France a sans aucun doute été effectué par Pika Edition. L'éditeur a tout d'abord proposé dans sa collection Graphic le puissant drame social Détonations en 2018-2019, avant de lancer en septembre 2019 l'ambitieuse et tout aussi noire uchronie NeuN. Et en ce 20 avril 2022, c'est donc une troisième série du maître qui débarque chez Pika dans sa collection seinen: Black-Box, manga de boxe achevé en 6 volumes, qui fut initialement prépublié aux éditions Kôdansha entre 2015 et 2019 au sein du célèbre magazine Afternoon (un magazine que l'on ne présente plus, ayant accueilli dans ses pages L'Habitant de l'Infini, Eden, Mushishi, Vinland Saga, Bakuon Rettô... pour ne citer que quelques illustres représentants).
Et pour finir cette longue introduction, soulignons que Tsutomu Takahashi a décidément le vent en poupe dans notre pays avec une belle triple-actualité le même jour: pendant que Pika démarre Black-Box, de son côté Panini lance la nouvelle édition de Soul Keeper et publie le volume 14 de Sidooh !
Black-Box démarre sur quatre premières pages en couleurs où une journaliste pose une question qui ne semble aucunement plaire à l'interviewé, un jeune boxeur bientôt voué à passer professionnel, à tel point que le garçon lui répond de façon particulièrement tendue et provocatrice. Le ton est donné. La journaliste, elle se nomme Kimura. Et poussée par son supérieur qui semble vouloir faire de l'argent sur les paroles provocantes du jeune sportif, elle sera vouée à suivre de près le début de carrière de ce dernier, nommé Ryoga Ishida.
Et ce nom, il résonne négativement au creux de l'oreille d'un grand nombre de personnes: voici effectivement un certain temps que le père de notre héros, lui-même boxeur auparavant, a été envoyé en prison pour avoir tué quelqu'un. Et il y a à peine quelques mois, c'est le grand frère de Ryoga qui, à son tour, a été emprisonné pour un meurtre dont on dit que le jeune boxeur en devenir aurait été témoin. Un certain nombre de regards se braquent donc sur Ryoga qui, tout en tâchant de lancer sa carrière professionnelle, doit faire face à certaines haines à son égard, aux rumeurs osant dire qu'il est lui-même un assassin, à son statut de fils (et frère) de meurtriers, statut que l'on sait particulièrement éprouvant à vivre a Japon. Et pour s'opposer à tout ça, Ryoga a sans aucun doute certains atouts dans sa poche: de vrais talents en boxe (notamment pour s'adapter), une froide détermination à toute épreuve, un goût prononcer pour provoquer celles et ceux qui le dénigrent... sans oublier son père qui, depuis sa cellule de prison, prend soin de lui envoyer des lettres détaillées pour lui expliquer par quelles stratégies vaincre ses adversaires sur le ring.
Ce premier volume se pose comme une mise en place donnant l'ambiance dès le début (comme toujours chez Takahashi), et présentant les premiers pas de Ryoga dans sa possible ascension, entre le bref combat pour passer pro, les incessants entraînements où la sueur coule à flots et passant par différents éléments (courses soutenues à l'extérieur, mouvements sur le ring du club Kuroki dont le patron a promis de prendre soin du jeune garçon, aide de sa timide et appliquée manager Sayuri...), et premier combat professionnel contre un adversaire certain de sa force et décidé à briser ses espoirs d'emblée.
Des étapes classiques de tout bon manga de boxe, à ceci près que Ryoga, loin de la dignité d'un Ippo, nous rappelle plutôt un savant mélange entre la noirceur d'un Riku-do et la souffrance sociale et écorchée vive d'un Ashita no Joe. Car ici, Takahashi joue déjà à merveille sur deux créneaux. D'un côté, il y a toute cette part sombre qui se dégage autour de Ryoga, que ce soit via ses proches apparemment meurtriers et les suspicions qui portent sur lui-même. Et de l'autre, on sent bien que le jeune garçon est avant tout un écorché vif, répondant aux souffrances qu'il subit et aux dénigrements par son côté si souvent provocateur et par sa détermination à se hisser au sommet, quitte à se faire détester par une partie du public. Mais derrière ça, on sent la part de détresse, la gentillesse bien présente envers celles et ceux qui l'épaulent (comme quand il défend Sayuri face à un spectateur particulièrement odieux), ainsi qu'un talent de vrai boxeur que la journaliste Kimura ressent elle-même.
Et pour mettre tout ça en images, on peut évidemment compter sur les habituelles prouesses visuelles et narratives du mangaka, à commencer par son habituel dessin très noir et incisif, qui colle vraiment bien à cette atmosphère pleine de coups et de sueur. Mais de manière générale, le mangaka ne manque pas d'idées pour nous faire vivre la boxe au plus près en nous invitant directement sur le ring pendant les matchs, et pour cristalliser l'état d'esprit de son héros pendant les échanges de coups. A l'image de ce combat pour passer pro qui, tut aussi bref soit-il, nous est présenté avant tout à travers le malheureux adversaire de Ryoga, qui ne eut qu'être désemparé face au regard noir et déterminé de ce dernier.
"Un boxeur, ça risque sa vie."
Ce premier volume de Black-Box se pose alors comme ne entrée en matière d'ores et déjà puissante, où Tsutomu Takahashi met toutes ses qualités de dessinateur et de conteur au service d'un récit sportif noir, où l'on devine déjà une portée qui sera bien plus profonde que le simple récit sportif.
Concernant l'édition française, mention spéciale à la jaquette particulièrement bien pensée, en collant de très près à l'édition originale japonaise pour le coup. A l'intérieur, en plus des quatre premières pages en couleurs sur papier glacé, on peut souligner une qualité d'impression honorable, faite sur un papier assez souple, suffisamment épais et eu transparent. Enfin, on a droit à une traduction très honnête de la part de Julien Favereau, et à un travail de lettrage soigné, notamment par son respect des onomatopées qui participent pas mal à l'ambiance globale.
Mais fort heureusement, Takahashi semble avoir enfin gagné ses lettres de noblesse ces dernières années auprès d'un public manga qui a mûri. Et ça, deux éditeurs l'ont bien compris !
L'un n'est autre que Panini lui-même: depuis janvier 2021, l'éditeur a effectivement entrepris de remettre en avant les séries de Takahashi faisant partie de son catalogue, avec tout d'abord Sidooh qui a été relancée en début d'année dernière, la nouvelle édition de Soul Keeper qui vient de débuter, et l'arrivée d'une nouvelle édition de Blue Heaven à partir de juin (si seulement Sky High Karma et, surtout, les autres séries de la saga Sky High pouvaient suivre !).
Mais avant ça, le plus gros de la remise en lumière de Takahashi en France a sans aucun doute été effectué par Pika Edition. L'éditeur a tout d'abord proposé dans sa collection Graphic le puissant drame social Détonations en 2018-2019, avant de lancer en septembre 2019 l'ambitieuse et tout aussi noire uchronie NeuN. Et en ce 20 avril 2022, c'est donc une troisième série du maître qui débarque chez Pika dans sa collection seinen: Black-Box, manga de boxe achevé en 6 volumes, qui fut initialement prépublié aux éditions Kôdansha entre 2015 et 2019 au sein du célèbre magazine Afternoon (un magazine que l'on ne présente plus, ayant accueilli dans ses pages L'Habitant de l'Infini, Eden, Mushishi, Vinland Saga, Bakuon Rettô... pour ne citer que quelques illustres représentants).
Et pour finir cette longue introduction, soulignons que Tsutomu Takahashi a décidément le vent en poupe dans notre pays avec une belle triple-actualité le même jour: pendant que Pika démarre Black-Box, de son côté Panini lance la nouvelle édition de Soul Keeper et publie le volume 14 de Sidooh !
Black-Box démarre sur quatre premières pages en couleurs où une journaliste pose une question qui ne semble aucunement plaire à l'interviewé, un jeune boxeur bientôt voué à passer professionnel, à tel point que le garçon lui répond de façon particulièrement tendue et provocatrice. Le ton est donné. La journaliste, elle se nomme Kimura. Et poussée par son supérieur qui semble vouloir faire de l'argent sur les paroles provocantes du jeune sportif, elle sera vouée à suivre de près le début de carrière de ce dernier, nommé Ryoga Ishida.
Et ce nom, il résonne négativement au creux de l'oreille d'un grand nombre de personnes: voici effectivement un certain temps que le père de notre héros, lui-même boxeur auparavant, a été envoyé en prison pour avoir tué quelqu'un. Et il y a à peine quelques mois, c'est le grand frère de Ryoga qui, à son tour, a été emprisonné pour un meurtre dont on dit que le jeune boxeur en devenir aurait été témoin. Un certain nombre de regards se braquent donc sur Ryoga qui, tout en tâchant de lancer sa carrière professionnelle, doit faire face à certaines haines à son égard, aux rumeurs osant dire qu'il est lui-même un assassin, à son statut de fils (et frère) de meurtriers, statut que l'on sait particulièrement éprouvant à vivre a Japon. Et pour s'opposer à tout ça, Ryoga a sans aucun doute certains atouts dans sa poche: de vrais talents en boxe (notamment pour s'adapter), une froide détermination à toute épreuve, un goût prononcer pour provoquer celles et ceux qui le dénigrent... sans oublier son père qui, depuis sa cellule de prison, prend soin de lui envoyer des lettres détaillées pour lui expliquer par quelles stratégies vaincre ses adversaires sur le ring.
Ce premier volume se pose comme une mise en place donnant l'ambiance dès le début (comme toujours chez Takahashi), et présentant les premiers pas de Ryoga dans sa possible ascension, entre le bref combat pour passer pro, les incessants entraînements où la sueur coule à flots et passant par différents éléments (courses soutenues à l'extérieur, mouvements sur le ring du club Kuroki dont le patron a promis de prendre soin du jeune garçon, aide de sa timide et appliquée manager Sayuri...), et premier combat professionnel contre un adversaire certain de sa force et décidé à briser ses espoirs d'emblée.
Des étapes classiques de tout bon manga de boxe, à ceci près que Ryoga, loin de la dignité d'un Ippo, nous rappelle plutôt un savant mélange entre la noirceur d'un Riku-do et la souffrance sociale et écorchée vive d'un Ashita no Joe. Car ici, Takahashi joue déjà à merveille sur deux créneaux. D'un côté, il y a toute cette part sombre qui se dégage autour de Ryoga, que ce soit via ses proches apparemment meurtriers et les suspicions qui portent sur lui-même. Et de l'autre, on sent bien que le jeune garçon est avant tout un écorché vif, répondant aux souffrances qu'il subit et aux dénigrements par son côté si souvent provocateur et par sa détermination à se hisser au sommet, quitte à se faire détester par une partie du public. Mais derrière ça, on sent la part de détresse, la gentillesse bien présente envers celles et ceux qui l'épaulent (comme quand il défend Sayuri face à un spectateur particulièrement odieux), ainsi qu'un talent de vrai boxeur que la journaliste Kimura ressent elle-même.
Et pour mettre tout ça en images, on peut évidemment compter sur les habituelles prouesses visuelles et narratives du mangaka, à commencer par son habituel dessin très noir et incisif, qui colle vraiment bien à cette atmosphère pleine de coups et de sueur. Mais de manière générale, le mangaka ne manque pas d'idées pour nous faire vivre la boxe au plus près en nous invitant directement sur le ring pendant les matchs, et pour cristalliser l'état d'esprit de son héros pendant les échanges de coups. A l'image de ce combat pour passer pro qui, tut aussi bref soit-il, nous est présenté avant tout à travers le malheureux adversaire de Ryoga, qui ne eut qu'être désemparé face au regard noir et déterminé de ce dernier.
"Un boxeur, ça risque sa vie."
Ce premier volume de Black-Box se pose alors comme ne entrée en matière d'ores et déjà puissante, où Tsutomu Takahashi met toutes ses qualités de dessinateur et de conteur au service d'un récit sportif noir, où l'on devine déjà une portée qui sera bien plus profonde que le simple récit sportif.
Concernant l'édition française, mention spéciale à la jaquette particulièrement bien pensée, en collant de très près à l'édition originale japonaise pour le coup. A l'intérieur, en plus des quatre premières pages en couleurs sur papier glacé, on peut souligner une qualité d'impression honorable, faite sur un papier assez souple, suffisamment épais et eu transparent. Enfin, on a droit à une traduction très honnête de la part de Julien Favereau, et à un travail de lettrage soigné, notamment par son respect des onomatopées qui participent pas mal à l'ambiance globale.