Critique du volume manga
Publiée le Lundi, 26 Juin 2023
En octobre 2021, quelques mois après le lancement du light novel d'origine en France, les éditions Mahô ont décidé, très logiquement, de poursuivre l'aventure Berserk of Gluttony avec l'adaptation manga.
Rappelons qu'à l'origine, cette oeuvre se nomme en japonais Bôshoku no Berserk - Ore Dake Level to Iu Gainen o Toppa Suru, et a vu le jour en premier lieu en tant que web novel lancé par son auteur Ichika Isshiki (un cadre en entreprise dont c'est le premier light novel) sur un site internet. Ensuite repérée par l'éditeur japonais Micro Magazine (l'éditeur du light novel de Moi, quand je me réincarne en slime entre autres), elle a pu être lancée à partir de 2017 en format light novel en s'enrichissant d'illustrations conçues par Fame, un artiste dont c'était alors le premier travail d'illustrateur sur des romans mais qui, depuis, a aussi planché sur les light novels (inédits en France à ce jour) The Most Notorious Talker (dont la version manga est disponible chez nous chez Meian) et The World's Fastest Level Up (dont l'adaptation manga est prévue dans notre langue chez Soleil à partir d'août). Comme beaucoup de séries à la popularité suffisante, Berserk of Glutonny a ensuite eu droit à différents spin-off/dérivés: En plus d'un futur anime qui arrivera prochainement, la série connaît également depuis 2023 un spin-off au format manga nommé Boushoku no Berserk - Ore dake Level to Iu Gainen wo Toppa shite Saikyou... ainsi que l'adaptation manga des romans initiaux qui nous intéresse dans cette chronique, qui a été lancée au Japon en 2018 dans le magazine Comic Ride de Micro Magazine en comptant à ce jour 10 tomes, et qui a été confiée à un mangaka jusque-là inconnu dans notre pays, à savoir Daisuke Takino, un dessinateur dont la carrière professionnelle dure depuis 2012, qui avait déjà dessiné quelques séries courtes auparavant, mais dont Berserk of Gluttony reste la plus longue oeuvre à ce jour.
L'histoire nous plonge dans un monde typé dark fantasy où l'on découvre Fate Graphite, un jeune homme qui n'a malheureusement pas été gâté par sa naissance dans la roulette de la vie: dans un univers où chacun à des compétences plus ou moins puissantes et utiles, il n'a a priori rien de tout ça et doit se contenter d'un simple poste de garde dans la capitale du royaume de Seyfert, en subissant jour après jour les moqueries, brimades et autres remarques hautaines de la fratrie Vlerick, des saints chevaliers, l'élite des chevaliers simplement car ils sont bien nés, qui profitent surtout de leur statut pour piétiner les autres sans vergogne. Heureusement, dans ce contexte inégalitaire et peu joyeux, Fate peut compter sur la bonté de celle que lui et bien d'autres gens du peuple admirent plus que tout: Roxy Hart, jeune femme faisant elle aussi partie des saints chevaliers, héritière d'une des cinq grandes familles du royaume, et s'évertuant à mettre ses talents au service des plus faibles, ce qui lui attire forcément une animosité de la part de sales types comme les Vlerick. Tel est le pitoyable quotidien de Fate... du moins jusqu'à ce qu'un soir change tout. Alertant sur l'irruption de voleurs, il a l'occasion d'en tuer un qui tentait de fuir après avoir été blessé, et s'activer en lui tout le potentiel de sa compétence de Gloutonnerie: il peut désormais engloutir les capacités (force, magie, etc) et les compétences des êtres vivants qu'il tue, à commencer ici par les compétences "évaluation" et "télépathie" permettant respectivement d'évaluer les capacités des cibles et de lire dans les pensées, ce qui lui sera vite utile. Et comme si ça ne suffisait pas, voici bientôt que Roxy, touchée par son récent courage et par sa situation, le convie à venir travailler pour elle. Commence alors pour Fate une toute nouvelle vie, une existence ayant enfin un sens et où il voudra devenir toujours plus fort, à la fois pour servir et protéger celle qu'il admire et pour améliorer la situation des plus faibles face aux ordures de ce monde, humains comme monstres.
Les connaisseurs du light novel d'origine le verront, et les lecteurs découvrant l'oeuvre par ce manga le ressentiront peut-être aussi: il y a des manques dans l'entrée en matière du récit ici. Alors que le romancier d'origine prenait vite et bien soin d'exposer les inégalités de ce monde ainsi que le background de Fate (sa compétence de Gloutonnerie initialement inutile et vue comme un fléau car elle lui procure une faim insatiable, la mort de son père, la façon dont il a été rejeté par son village natal puis est arrivé à la capitale) dans les premières pages du premier roman,Daisuke Takino zappe un peu tout ça pour entrer encore plus vite dans le vif du sujet, ce qui fait que l'on n'entre pas forcément tout de suite très bien dans l'intrigue puisque l'on ne sait rien de notre héros quand sa compétence s'active enfin réellement. L'autre limite de ce premier volume vient de la patte visuelle du mangaka, que l'on sent forcément un peu hésitante au départ notamment dans les anatomies qui sont par moments un brin statiques ou irrégulières.
Mais sitôt ces quelques défauts de départ passés, on se prend peu à peu au jeu en découvrant ou en redécouvrant un scénario qui se met soigneusement en place dans l'ensemble, d'autant plus que Takino trouve bel et bien ses marques petit à petit et qu'on le sent désireux d'offrir une belle copie, en restant fidèle aux designs déjà existants dans le light novel initiaux, en en imaginant d'autres soigneusement pour les figures n'apparaissant pas dans le roman (comme le tavernier, Kasim et la fillette que ce dernier tente de kidnapper), et en proposant des décors classiques mais suffisamment présents et efficaces (surtout quand on sait qu'ils sont quasiment inexistants dans les illustrations du roman).
Le début de l'oeuvre suit forcément un schéma classique du genre où notre héros, dès lors qu'il voit sa compétence se révéler, a toutes les cartes en mains pour devenir toujours plus fort. C'est exactement la voie qu'il suit: à force de trucider des monstres (tout d'abord les plus faibles comme les gobelins), Fate s'applique petit à petit à gagner en qualités. Qui plus est, dans le début de sa quête, Fate pourra déjà rapidement compter sur un premier partenaire très particulier: Greed, une épée spéciale qui n'a pas été forgée par les humains, avec qui il peut converser par télépathie, et qui a la langue bien pendue à la fois pour se montrer sarcastique envers Fate, pour lui donner de vrais conseils éclairants ou pour tout simplement l'exploiter aussi (d'ailleurs, rappelons que "greed" signifie "avidité" en anglais, ce qui n'est pas un hasard du tout ici). Vient ensuite le lien qui se construit entre notre héros et Roxy au fil des pages, dès lors que cette dernière en fait l'un de ses employés et lui montre toujours plus de confiance: ses tâches dans la demeure principale des Hart permet déjà à Fate d'en découvrir plus sur la famille de Roxy et sur certains drames l'ayant récemment touchée, mais aussi de préciser certaines informations qui se révéleront importantes en vue de la suite (en tête l'existence de Gallia, un continent au sud qui a été ravagé par le Dragon céleste, monstre si surpuissant qu'il est considéré comme invincible). Enfin, l'autre aspect important provient évidemment de ce qui donne sa principale caractéristique à l'oeuvre: la compétence de Gloutonnerie de Fate, qui est réellement à double tranchant, chose qu'on nous fait déjà assez bien comprendre au fil du tome. Pour l'instant,la nuit en secret, Fate peut tuer autant de gobelins dont il a besoin pour tromper sa faim et sentir un minimum de satiété en lui, mais qu'en sera-t-il le jour où il sera devenu si fort que ces piètres créatures ne lui suffiront plus ?
Au bout du compte, il y a un certain plaisir à retrouver le tout début des aventures de Fate dans cette version manga. Malgré quelques tâtonnements visuels et quelques manques trop flagrants au tout début du récit? Daisuke livre un début d'adaptation honorable, où sa mise en images de l'univers du light novel d'origine a largement de quoi s'améliorer et s'intensifier. On suivra donc ça avec intérêt !
Concernant l'édition française, Mahô a tout d'abord fait le choix judicieux de confier la traduction à Yukio Reuter, déjà à l'oeuvre sur le light novel, pour une cohérence totale. A part ça, le papier et l'impression sont de bonne qualité, le lettrage de Burno Durand est soigné, et la jaquette reste proche de l'originale japonaise tout en s'offrant un logo-titre travaillé.