Critique du volume manga
Publiée le Jeudi, 22 Mai 2014
Ryû Murakami est un auteur qu’on ne présente plus, c’est aujourd’hui l’un des écrivains les plus célèbres du Japon. Dès ses débuts, le succès fut au rendez-vous puisqu’il remporta le prix Akutagawa pour son tout premier roman, Bleu presque transparent. Son talent est définitivement confirmé en 1980 lorsque paraît son second roman, aujourd’hui culte : Les bébés de la consigne automatique.
Avant toute chose, et si vous avez l’intention de lire le livre, je déconseille fortement la lecture de la quatrième de couverture de l’ouvrage, qui révèle allègrement des éléments intervenant à plus de la moitié du roman.
L’été 1972 fut particulièrement chaud, d’autant plus pour Hashi et Kiku, tous deux abandonnés dans une consigne de gare par leur mère respective. Sauvés de justesse et emmenés à l’orphelinat, les deux enfants ont tôt fait de se rapprocher, et le drame de leur naissance scelle leur destin commun.
On va donc suivre les destins de ces deux personnalités très différentes, Kiku, affirmé et impétueux, et Hashi, lâche et discret. Souffrant tous deux de troubles pathologiques, nos héros vont se forger à travers les épreuves, toujours plus rudes, et se découvrir à travers une forme de quête initiatique qui les pousse vers la découverte de leurs origines.
Retrouver leur mère respective, ou retrouver le son originel des battements cardiaux de cette dernière, les deux héros ne vont cesser de rechercher une chose qui leur échappe et qui leur manque, se confrontant au passage à leur société.
Le roman se veut sociale, mais aussi et surtout sociétale. Hashi et Kiku évoluent dans un monde qui les pervertit, un monde ignoble, sale, repoussant. Le champ lexical du dégoût est omniprésent dans l’œuvre, la beauté physique est quasi inexistante, presque tous les personnages sont décrits comme étant laids, pleins de sueur, de sang et de semence. Plus absent encore qu’une enveloppe corporelle plaisante, la beauté de l’âme n’est rien de plus qu’une chimère dans le roman de Murakami. La totalité des personnages sont inhumains, Tokyo semble être un repaire de truands, de violeurs et d’assassins, qu’ils soient taulards ou policiers. Chaque coin de rue est le théâtre d’une injustice, d’une rixe ou d’un vol, le monde en son entier n’offre rien que du désespoir, de la peur et de la haine, la folie est une norme. Le propos est donc clairement dramatique, violent, sombre. Dès le début, il est évident que tout cela finira mal. Dans ce Japon des années quatre-vingt, si fictif et si vrai, c’est dans l’ordre des choses d’être malheureux, de souffrir et de faire souffrir, rien de plus que le quotidien.
Si le monde paraît si dénué d’espoir, c’est avant tout parce que Murakami nous le dépeint à travers le regard d’une jeunesse désabusée que la société Japonaise enfonce dans son mal-être. Le roman a par ailleurs une portée psychanalytique complexe, particulièrement bien mise en exergue à travers les personnalités de plus en plus déviantes des protagonistes.
L’écriture de Murakami, ou tout du moins ce qu’il en reste une fois traduite, est particulièrement prenante. Le narrateur omniscient permet une incursion dans le mental des personnages, on plonge alors sans difficulté dans un univers noir mais ô combien fascinant et haletant. Les dialogues sont parfois introduits de façon très particulière, tout d’un bloc, un même paragraphe peut contenir une conversation complète sans transition au niveau de la ponctuation, et certains monologues, sur plusieurs pages et presque sans ponctuation, nous happe littéralement et transmettent à merveille le sentiment de désarrois des personnages qui déversent un flot de paroles brutes, dont le propos évolue et se contredit d’une phrase à l’autre.
Beau, fort, vivant, laid, émouvant, triste, noir, mort. Une œuvre aussi dense et puissante ne saurait être expliquée en quelques lignes, le seul moyen de se faire un véritable avis sur ce roman, c’est de le lire, en voici quelques lignes pour vous en donnez un aperçut, elles parlent bien mieux que moi :
« Le chauffeur dégageait une épouvantable odeur de graisse. Anémone s’aperçut que des bouts de nouille étaient mélangés au sang qui le couvrait. Une veine gonflée était apparente sur son front, ses mains moites et tremblantes semblaient prêtes à lâcher le volant à tout instant.
-Le matin je me réveillerai à côté de toi devant une mer scintillante, je préparerai des toasts et des œufs à la coque mais tu me diras, non, chéri, je n’en veux pas, je suis fourbue après tout ce que tu m’as fait la nuit dernière, tout ce que je veux c’est dormir encore. Moi je dirai, mais c’est pas bon pour la santé il faut manger, je t’amènerai le petit déjeuner au lit, est-ce qu’il y a des lits déjà dans cette villa ? Enfin, peu importe, tu dormiras nue, tes belles paupières couleur d’arc-en-ciel bien fermées. »