Arrache Chair (l') - Manga

Arrache Chair (l') : Critiques

Niku wo Hagu

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 20 Juin 2022

Les éditions Akata ont développé avec cohérence, au fil des années, une ligne éditoriale basée sur différentes philosophies. Outre une volonté de présenter des œuvres aux thématiques sociales fortes et contemporaines ou chercher à nous présenter la grande diversité du shôjo et des talents de leurs autrices, mettre en lumière des artistes émergents ou méconnus est un désir fort de la maison. Parfois, c'est par le format du recueil d'histoires courtes que l'exercice se fait, L'Arrache Chair étant l'un des exemples les plus récents.


Composé de cinq récits et de divers suppléments initialement parus entre 2017 et 2020 au Japon, le recueil est dédié à Oto Tôda, un mangaka a la carrière balbutiante mais qui s'est distingué à plus d'un égard. Auteur non-binaire, il lança devint mangaka professionnel avec l'un des récits de l'ouvrage avant d'enchainer en 2017 sur sa première série (et unique, à l'heure actuelle) : Chihayafuru – Chûgakusei-hen, spin-off du manga de Yuki Suetsugu d'Oto Tôda ne fait que dessiner, tandis que Yui Tokiumi est en charge de l'écriture scénaristique. En parallèle, le jeune artiste fait ses armes aux côtés de Tatsuki Fujimoto en l'assistant sur sa série Fire Punch. Une double expérience qui lui sera profitable, et grâce auxquelles il reviendra à travers d'autres histoires courtes par la suite, jusqu'à composer la compilation qu'est L'Arrache Chair. Et histoire de boucler la boucle, Oto Tôda signera début juillet une histoire courte aux cotés de Tatsuki Fujimoto, en qualité de dessinateur tandis que son ancien mentor assurera la direction de l'intrigue. Évidemment, on espère qu'il aura ensuite l'opportunité de composer sa propre série longue.


Au mois d'avril 2022, avant qu'Oto Tôda soit mis en lumière via ce projet conjoint avec Fujimoto, les éditions Akata nous proposent ce recueil qu'est L'Arrache Chair, un ouvrage couvrant ainsi la période 2017-2020 de la carrière de l'artiste. On est alors tentés de diviser le recueil en deux parties, la seconde étant la plus ambitieuse tant elle donne son nom au recueil. Avant ça, c'est avec deux récits initialement parus en 2017, « David l'amoureux » puis « Pastèque chaude » que le ton du style d'Oto Tôda nous est donné. S'il est difficile de savoir précisément s'il travaillait déjà avec Fujimoto, une patte semble connecter les deux mangaka. Car à travers ces deux intrigues aux tons variés, on a le sentiment que l'auteur ne se cloisonne pas dans des schémas et des procédés narratifs préconçus, et n'hésite pas à surprendre par les déroulés de ses scénarios comme par l'imagerie utilisée à certains moment, y compris dans le second récit. Il jongle ici entre une forme d'excentricité et un sous-texte morale, montrant un désir de nous parler de l'humain. C'est assez fort et réussi comme première approche, tandis que la suite s'apprête à nous prendre un peu plus au dépourvu. Car si nous sommes tentés de relier Oto Tôda et Tatsuki Fujimoto sur ces parti-pris, c'est par une histoire plus personnelle que l'artiste démontre une autre forme de son identité.


« L'Arrache Chair », histoire en deux parties qui virent le jour en 2020 (la première ayant été proposée sur le site Shônen Jump+ tandis que la seconde a été dessinée à l'occasion du recueil) dépeint une vision de l'artiste qui lui est propre. Mettant en scène Chiaki Ogawa, enfant d'un chasseur veuf qui a juré à sa défunte épouse de contribuer au bonheur de leur « fille », l'adolescent se sent homme mais est né dans un corps féminin aujourd'hui doté d'une poitrine opulente. Entre désir de choyer un père mourant, de profiter de son anatomie pour se façonner un semblant de popularité sur internet mais tout en peinant à s'adonner à un passe-temps jugé masculin et, par conséquent, à s'assumer comme celui qu'il est vraiment, l'existence de Chiaki est teintée d'incertitudes et de compromis.


A travers l'histoire la plus dense du recueil, c'est un tranche de vie sociétale que nous compte Oto Tôda, dont on sent l'implication toute particulière au vue des notes de fin de tome. L'idée de la chasse et du dépeçage animal, déconcertant de prime abord, vient d'abord servir d'enrobage à ce récit intime, celui d'un garçon transgenre et de son père, avant de symboliser la dysphorie de genre de Chiaki tout en devenant une figure de style pour s'imposer comme le rapport à la chair qui chamboule le protagoniste dans son quotidien. Avec tous ces éléments lourds de sens, l'auteur livre un récit riche de drames et de poésie qui s’accommodent pour donner un tout humain et finalement optimiste. A l'instar de l'histoire « La pastèque chaude », Oto Tôda dresse une œuvre dédiée à la compréhension mutuelle tout en s'appuyant sur ses ressentis personnels, bien qu'il se définissent comme non-binaire et non transgenre. L'idée de dessiner une suite inédite à ce recueil est, elle aussi, censée afin d'apporter un point final à ce récit qui parvient aussi à graviter autour d'autres personnages marquants, que ce soit son père souffrant d'un cancer ou son ami un poil naïf, Takatô, qui devient presque la star de cet épilogue qui aborde d'une autre manière le rapport de l'humain à l'apparence.


Dans un dernier temps, « J'aime grave mon fav » fait office de petite histoire qui manquerait presque de panache, malgré sa manière de dresser d'autres bons sentiments en nous prenant au dépourvu dans sa direction. Alors, chacune des histoires courtes qui compose le recueil s'impose comme comme une pierre à un édifice globale. Derrière un titre presque trompeur L'Arrache Chair s'impose comme une ode à l'humanité, à son rapport à l'autre, aux liens qui unissent les membres d'une famille, et à la compréhension mutuelle. Les sujets sont forts et font mouche à chaque fois, avec parfois quelques exercices narratifs assez déroutants, notamment dans « La pastèque chaude » dans laquelle on retrouve le plus l'expérience de l'artiste dans sa collaboration avec Fujimoto. Mais le recueil permet à Oto Tôda ne pas être que l'assistant, mais bien un artiste qui a sa patte, son identité, et surtout des choses à dire. On espère alors que le mangaka aurait des opportunités, autre que sa collaboration prochaine avec Tatsuki Fujimoto, pour s'exprimer. Avec ce premier ouvrage, il est clair que nous avons là un auteur à suivre de près.


Côté édition, Akata livre un travail aussi efficace qu'à l'accoutumée dans sa conception. Vincent Marcantognini, le traducteur, accouche d'un texte qui sait entretenir les nuances de chaque histoire. Côté graphique, Camille Roginas nous offre un lettrage bien calibré, tandis que Haikel « Luchisco » B nous propose une maquette de couverture hautement inspirée, à la fois en phase avec la jaquette japonaise et avec l'esthétique du récit phare qui donne son titre à l'ouvrage.


Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs