Critique du volume manga
Publiée le Mardi, 26 Décembre 2023
Sorti en France vers la mi-novembre en tant que dernière nouveauté manga yaoi des éditions Taifu Comics pour l'année 2023, An Innocent Kiss est la toute première publication française d'Emu Soutome, une mangaka qui est loin d'en être à son coup d'essai puisqu'elle officie exclusivement dans le manga homosexuel depuis une grosse dizaine d'années, à la fois professionnellement et dans le milieu amateur (on lui doit notamment plusieurs doujinshi sur Kuroko's Basket). De son nom original Innocent wo Kegasu Kiss (littéralement "Le baiser qui souille l'innocent"), ce récit a vu ses six chapitres être initialement prépubliés au Japon en 2021 dans le magazine from RED de l'éditeur ShuCream, avant d'être regroupés, en juillet de cette même année, en un unique volume relié agrémenté d'un court chapitre bonus, pour un total d'un peu plus de 200 pages.
Ici, tout commence par la rencontre entre deux jeunes hommes: jeune prince naïf du royaume, Sirius s'est éclipsé du palais en compagnie de son garde du corps le chevalier Wilhelm, afin de rechercher une herbe médicinale pour soigner un ami à lui qui est malade et à qui il ne reste plus qu'un an à vivre, cette herbe étant susceptible de pouvoir prolonger sa vie de quelques années. Dénichant le dénommé Ombra, un homme bien bâti s'y connaissant bien en botanique, il réclame son aide. Mais le prince ignore que, si son interlocuteur accepte, c'est uniquement pour un sombre dessein: Ombra a immédiatement reconnu en Sirius un ami d'enfance qui était si précieux et qui lui a pourtant laissé un très douloureux souvenir: en n'avouant pas qu'il était le fils illégitime du roi et en s'installant dans le village d'Ombra avec sa mère, il a provoqué le courroux du roi qui a fait massacrer le village, dont les parents du botaniste. Meurtri par le fait que Sirius ne l'a visiblement même pas reconnu, Ombra a alors en tête un plan précis: d'abord persuader le prince qu'il peut compter sur lui pendant qu'il fait semblant de chercher l'herbe médicinale, pour ensuite mieux exercer sa vengeance le moment venu. Mais entre les souvenirs, les sentiments et certaines vérités se dévoilant, la situation pourrait bien évoluer...
Avec ce récit, la mangaka joue donc la carte de l'histoire quelque peu torturée où les sentiments de l'un des deux personnages sont partagés entre la haine et l'amour, pour un résultat plutôt bien campé dans la mesure où l'évolution du récit et donc de nos héros suit une logique tout à fait convaincante, et cela même si, sans doute à cause du format one-shot, Emu Soutome va vite et cède à certaines facilités (on pense surtout ici à la façon dont Wilhelm déballe certaines vérités à Sirius un peu trop facilement, alors que celles-ci étaient soigneusement gardées depuis des années et que le prince ne lui a rien demandé). Et bien qu'une petite pointe d'érotisme semble sortir un peu de nulle part (la scène avec l'aphrodisiaque, très forcée), le reste semble couler de source dans l'évolution sentimentale entre les deux personnages principaux, notamment parce que l'autrice joue efficacement sur le trouble entre eux deux et sur leur différence de personnalité: là où Ombra est forcément plus sombre et rugueux, Sirius est quelqu'un qui va naturellement le déstabiliser, non seulement car il reste son ami d'enfance, mais aussi parce que le jeune prince apparaît très lumineux, positif, insouciant, doux, gentil, innocent, naïf... peut-être même presque trop car certaines de ses réactions confinent à la mièvrerie, même si ça s'explique quelque peu par la façon dont il a été élevé. Quant à la pointe de symbolisme autour des astres (via les noms de nos deux héros et le statut d'astronome de l'mai malade de Sirius), elle est sans doute trop discrète pour vraiment marquer, mais reste plutôt jolie.
Sur le plan visuel, Emu Soutome a de quoi ravir les yeux des fans du genre, en particulier pour les physiques de ses principaux personnages, la silhouette fine et douce de Sirius répondant à l'allure robuste, musclée et saillante d'Ombra, la dessinatrice mettant assez bien en valeur ces corps quand il le faut via un dessin précis et assez profond. Ce sont bel et bien ces designs des personnages que la mangaka met le plus en valeur, puisque les décors, eux, sont présents uniquement quand c'est nécessaire, même s'ils sont suffisamment travaillés pour accentuer l'immersion. Enfin, la note d'érotisme, elle, est relativement explicite: si les ébats sont montrés, ils restent brefs mais assez intenses, et les sexes sont partiellement camouflés (on devine leur forme, mais ils sont "blanchis").
On se retrouve alors avec une petite histoire un brin rapide et cédant alors à quelques facilités pour pouvoir tenir en 200 pages (alors que concrètement, il y avait de quoi s'étaler facilement sur au point deux tomes), mais qui est globalement fort bien menée, et qui doit beaucoup au travail visuel de l'autrice sur ses personnages. Et côté édition française, Taifu Comics livre une copie tout à fait convaincante avec une jaquette sobre et proche de l'originale japonaise, une bonne qualité d'impression sur un papier à la fois souple, opaque et assez épais, un lettrage propre, et une traduction limpide de la part d'Océane Tamalet.