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Amant (l') : Critiques

Koibito

Critique du volume manga

Publiée le Jeudi, 23 Janvier 2020

Kan Takahama est une autrice que l'on voit de plus en plus dans nos librairies, mais aussi au Japon. Découverte en France, notamment aux éditions Casterman avec Kinderbook puis Mariko Parade (qui résulte d'une collaboration avec l'artiste Frédéric Boilet), elle a été mise en lumière ces dernières années avec Le dernier envol du papillon, Tokyo, amour et libertés, La Lanterne de Nyx, ainsi que Le Goût d'Emma, une autre collaboration prouvant l'amour de l'artiste pour le patrimoine de l'Hexagone, et l'attachement de plus en plus fort des éditeurs envers cette artiste. Alors, quand on lui propose d'adapter un roman en manga en vue d'une parution dans le magazine Torch des éditions Leed, il n'est pas étonnant que Kan Takahama se soit penchée sur L'Amant de Marguerite Duras. Publié en 1986, l'ouvrage vaut à l'autrice, à l'époque, le prestigieux prix Goncourt. Cette autofiction est aujourd'hui considéré comme un incontournable de la littérature française moderne, aussi en voir germer une version manga sous le crayon de Kan Takahama a forcément un intérêt.

Dans les années 80, Marguerite Duras est loin d'avoir la fougue de ses 15 ans. Une simple rencontre avec un fan, à la gare, suffit à lui rappeler les années qui ont passé, et les expériences qu'elle a vécu. C'est ainsi que, de retour chez elle, elle se remémore son adolescence en Indochine française, et sa relation entre amour, passion charnelle et intérêt, qu'elle a vécu avec un riche chinois, malgré tous les interdits imposés à l'époque, dans le pays...

Sur un peu plus de 150 pages, Kan Takahama retrace ainsi l'histoire de Marguerite Duras, avec son propre style. Car c'est peut-être ce qui marque le plus dans le récit : l'appropriation de la mangaka de l'oeuvre littéraire, à laquelle elle donne des couleurs chatoyantes. Le style de l'autrice, son travail sur les personnages par exemple, reste reconnaissable via une expressivité si sincère et particulière que le charme demeure à chaque fois. Et au delà de ça, c'est sa manière de dépeindre l'Indochine française d'époque, à grand renfort de couleurs vives, et de certifier graphiquement les lieux où se déroulent les différentes actions, qui aident à une immersion efficace. On le savait, depuis Le Goût d'Emma notamment, la mise en couleur de Kan Takahama et son amour des décors est une grande force de son style. Le retrouver ici, dans une histoire incluant une époque et un contexte géographique différent, est d'une saveur toute particulièrement, notamment quand l'ensemble est appuyé par une qualité d'édition sur laquelle nous reviendrons en fin de chronique.

L'intrigue, elle, se veut être une adaptation sans faille de le l'autofiction de Marguerite Duras (entendez par là un récit s'appuyant sur son vécu, mais pour laquelle l'écrivaine s'est laissée aller à quelques élans de libertés pour se replonger dans son lointain passé). C'est le récit d'une adolescente évoluant dans un pays qui n'est pas le sien, en plein conflit familial, et qui bravera différents interdits au nom d'une relation charnelle avec un riche adulte chinois, d'abord par un motif intéressé, pour que la relation prenne ensuite plus de densité et se complexifie, du côté de l'héroïne comme celui de son amant.

L'adaptation manga de Kan Takahama est donc l'occasion d'ouvrir ce récit à un autre public, peut-être plus habitué au Manga ou à la BD, dont le mérite est d'adapter un roman plutôt court sur une durée très honnête. Cela permet à la mangaka de prendre son temps tout en apportant un rythme efficace, et d'insister sur les différentes situations, permettant de retranscrire les pistes narratives et thématiques déjà présentes dans le roman.

Il faut alors faire preuve d'un certain recul pour entrer comme il se doit dans l'oeuvre. L'héroïne est une adolescente de 15 ans, vivant une relation très charnelle avec un adulte plus âgée qu'elle. Fort heureusement, malgré des scènes de nudité, Kan Takahama ne montre rien ne vulgaire, et l’œuvre ne se veut ni aguicheuse, ni voyeuriste. Sa subtilité peut ainsi être rapprochée du roman de Marguerite Duras : le récit cache différents degrés de lectures et quelques messages autour des interdits sociaux d'époque, nourrissant alors plusieurs pistes de réflexion, sans forcément cautionner certains comportements.

Pour celui qui a lu le roman, il sera aussi amusant de le comparer avec le rendu de l'adaptation de Kan Takahama. Eu, au contraire, ceux qui découvrent l’œuvre par ce biais seront peut-être piqués par la curiosité de découvrir le roman d'origine de Marguerite Duras, afin de mieux saisir les choix d'adaptation de la mangaka.

Une lecture forte donc, dense, aussi belle que dure par instants, appuyée par une qualité d'édition excellente de la part de l'éditeur Rue de Sèvres. Le one-shot prend la forme d'un format franco-belge, à couverture rigide, et par un papier couché brillant qui fait efficacement ressortir l'art coloré de Kan Takahama. On apprécie aussi la présence d'une préface de la mangaka, la manière dont son agente, Corinne Quentin, lui a proposé le projet, et comment elle s'est inspirée en voyageant dans le pays concerné. Enfin, une postface donne la parole à son éditeur japonais, une belle manière d'avoir un point de vue différent sur l'ascension artistique de l'autrice, qui s'est fait connaître en France avant d'avoir une carrière au Japon. Le tout compilé dans un bel objet proposé à 18€, soit un excellent rapport qualité/prix. Chez certains éditeurs, un tel ouvrage aurait été vendu bien plus cher.
   

Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
17 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs