Akane-banashi Vol.1 - Manga

Akane-banashi Vol.1 : Critiques Ce jour-là

Akanebanashi

Critique du volume manga

Publiée le Lundi, 04 Décembre 2023

Chronique 2 :


Le manga a cette capacité à pouvoir aborder toutes les thématiques, y compris dans le genre du shônen qui, loin de se limiter aux histoires de combat purement nekketsu ou aux comédies romantiques plus ou moins pantsu comme pas mal de monde semble étrangement encore le pense, est également capable de grandement varier les plaisir. Ainsi peut-on aussi trouver, entre autres, des shônen tâchant de mieux faire découvrir au public adolescent certains arts typiquement japonais, et on en a justement eu plusieurs exemple en France depuis un an: La Maison des Maiko (édité par Noeve Grafx) nous plonge dans le quotidien des apprenties geisha, Sounds of Life (Akata) nous offre une passionnante incursion dans la musique traditionnelle nippone via le koto, Show-ha Shoten! (Kana) nous invite à suivre le périple d'un duo comique typiquement japonais... Et depuis octobre dernier, ce sont les éditions Ki-oon qui nous proposent de découvrir l'art du rakugo à travers l'une des étoiles montantes actuelles du célèbre magazine Shônen Jump de Shûeisha: Akane-banashi.

Forme de spectacle littéraire comique née au début de l'ère Edo et où un seul conteur tient tous les rôles(les différents personnages ainsi que la narration), le rakugo a déjà été mis à l'honneur à certaines reprises en France dans le domaine du manga: on pense au Disciple de Doraku, qui n'a pas eu le succès espéré chez son éditeur Isan Manga au point d'avoir été stoppé en cours de route, et plus récemment à l'un des meilleurs (si ce n'est le meilleur) représentants manga de cet art, à savoir l'excellentissime Le rakugo à la vie à la mort, sorti chez Le Lézard Noir et ayant connu une adaptation animée en deux saisons (sous le nom "Le rakugo ou la vie" en France) ainsi qu'un drama. Ces deux titres étant plus à destination d'un public adulte, il y a de quoi être curieux de voir comme Akane-banashi compte mettre en valeur, auprès d'un public plus adolescent, cet art du rakugo qui est souvent vu, de nos jours, comme un peu désuet face aux divertissements plus modernes.

Lancée au Japon le 14 février 2022 dans son magazine de prépublication, la série est conçue à quatre mains, en plus d'afficher le nom de Keiki Hayashiya (rakugoka de son métier) à la supervision de tout ce qui concerne le rakugo. Au scénario, on découvre Yûki Suenaga, qui scénarise ici son tout premier manga. Et au dessin, on trouve Takamasa Moue, mangaka publié pour la première fois en France mais qui n'est pas tout à fait un débutant au Japon: après avoir fait ses débuts en 2015 avec l'histoire courte Galaxy Gangs qu'il présenta à un concours du Shônen Jump, il publia en 2016 dans ce magazine la série sportive en deux tomes Ole Golazo, puis proposa en 2017 dans le Shônen Jump GIGA (un dérivé du Shônen Jump) le récit en trois chapitres K.K. in the City of Fog, enquête à base de magie dans le Londres du XIXe siècle, où l'on peut croiser les figures de Sherlock Holmes et de Jack l'éventreur. Malheureusement, ces deux mangas ont tourné court faute de succès, en poussant Moue à se mettre en retrait pendant quelques années (on imagine que pendant ces quelques années il a pu parfaire son art en tant qu'assistant auprès de divers mangakas, comme il est généralement de coutume dans ce genre de cas), avant de revenir sur le devant de la scène pour la partie visuelle d'Akane-banashi, série qui lui réussit beaucoup mieux puisque son succès au japon ne se dément pas et qu'elle a été nominée cette année au 47e Prix du Manga Kôdansha.

Akane-banashi, c'est l'histoire d'Akane Osaki, enfant de primaire en classe de CM2 au tout début de l'intrigue. Jeune fille très vive et pleine de caractère (et donc immédiatement attachante dès ses premières apparitions), elle voue une admiration sans bornes à son cher papa Toru qui, dès qu'il prend le nom de Shinta Arakawa en tant que rakugoka de l'école éponyme, brille totalement à ses yeux: depuis les coulisses, elle adore observer cet homme qui ne cesse de l'épater par sa faculté à interpréter moult personnages pour amuser le public. Toru n'étant pas encore au sommet parmi les meilleurs artistes de rakugo, sa condition reste précaire: depuis 13 ans qu'il pratique cet art, il a peu de succès, gagne trois fois rien et est même moqué parfois par celles et ceux qui voient le rakugo comme précaire ou ringard (et ça, mieux vaut ne pas le montrer devant Akane !), mais ça ne l'empêche pas d'avoir la confiance de son maître Shiguma Arakawa, l'approbation de son épouse Masaki, et l'admiration de sa fille adorée Akane. Alors que demander de plus ? Sans doute la possibilité d'enfin atteindre le rang de rakugoka le plus élevé, ce qui permettrait à Toru à la fois de faire honneur à ses proches lui ayant fait confiance pendant toutes ces années, et de gagner plus pour mieux faire vivre sa famille chérie. Une fois le jour du concours pour ça arrivé, tout le monde a confiance, et les choses semblent se dérouler parfaitement, tant Toru/Shinta fait rire le public. Et pourtant, à l'issue du concours, le résultat est sans appel pour Issho Arakawa, rakugoka vétéran et très influent, qui ordonne l'expulsion de tous les candidats séance tenante, sans la moindre explication consistante, avec juste une poignée d'insultes et autres mots dégradants. Soudainement, la carrière de Toru est brisée, en le contraignant à chercher un nouveau travail certes mieux payé mais plus alimentaire. Néanmoins, le parcours de la famille Osaki dans le monde du rakugo n'est pas fini pour autant: à la fois pour venger son père et par passion pour cet art, la petite Akane a insisté auprès de maître Shiguma pour avoir de sa part des cours de rakugo en secret, sans intégrer son école puisqu'elle n'en a pas encore l'âge. Six ans plus tard, la voici devenue une jeune fille de 17 ans qui n'a rien perdu de sa fougue ni de sa passion, et qui est prête à faire tout son possible pour gravir les marches afin de devenir une rakugoka de premier plan, dans le but de réaliser le rêve de son père, de prouver ses torts au vieil Issho, voire de comprendre la vérité derrière le choix d'exclusion scandaleux qu'il a pris six ans auparavant.

Au fil d'un long premier chapitre de presque 60 pages, les auteurs ont le mérite d'installer avec fluidité et rapidité tous les enjeux majeurs de la série: tandis que le besoin qu'a Akane de réaliser le rêve de son père et de découvrir la vérité sur la décision unilatérale d'Issho sonnent comme un objectif ultime à atteindre, le parcours de la jeune fille pour arriver jusque là s'annonce comme un fil rouge palpitant qui, en premier lieu, doit vraiment beaucoup à son héroïne: pleine de charme grâce à son caractère, à sa passion et à sa détermination, qui plus est en tant que fille dans un milieu très masculin, Akane a d'ores et déjà tout ce qu'il faut pour être captivante à suivre, si bien que l'on observe déjà avec intérêt ses premières avancées: première courte représentation certes très opportune, perspective d'enfin pouvoir faire partie des disciples de Shiguma, tâtonnements pour comprendre ce qui lui manque pour progresser de plus belle... sans oublier la mise en place de différents autres personnages secondaires qui devraient gagner en importance, à l'image des quatre autres disciples de Shiguma, de la gérante du café rakugo qui soutenait tant Toru, du patron d'izakaya Mamoru Mikuroya, et surtout du dénommé Kaisei Arakawa, prodige de 19 ans qui se pose déjà comme un rival à rattraper au vu de ses grands talents et de son statut de disciple d'Issho. Dans le fond, tout ceci est très classique, mais franchement efficace dans la manière prenant dont les auteurs amènent les différents éléments.

Derrière tout ceci, un autre enjeu essentiel est, bien sûr, de faire découvrir petit à petit au lectorat ce qu'est exactement cet art du rakugo, et de ce côté là Suenaga et Moue, épaulés par leur superviseur, s'en sortent bien pour le moment en installant toutes les bases qu'il faut. Les trois classes de rakugoka (du plus novice au plus expérimenté: les zenza, les futatsume et les shin'uchi), les qualités requises pour devenir un bon rakugoka (varier les poses, les mimiques et les intonations de voix pour chaque personnage interprété, savoir donner de la voix, offrir des dialogues à base d'échanges truculents plutôt que des monologues), certains termes typiques comme les yose (les salles de rakugo) et le makura (l'introduction du spectacle qui se doit d'être immersive), la découverte de premières histoires traditionnelles du rakugo (Shibahama, Manju Kowai, Keikoya...) auxquelles il faut savoir apporter sa touche personnelle tout en y restant fidèle, différents types de récits comme les ninji-banashi (récits sur la nature humaine) ou les ongyoku-banashi (récits contenant des séquences musicales)... Et quand certains termes semblent trop vite balancés, des notes de traduction sont là pour les expliquer avec concision !

Enfin, soulignons les qualités narratives et visuelles proposées par ce premier opus: en plus d'un rythme entraînant, l'oeuvre peut déjà compter sur un dessin particulièrement expressif, qui n'a aucune difficulté à faire ressortir le dynamisme des personnages ainsi que les diverses mimiques montrées par les rakugoka sur scène. Il n'y a pas forcément énormément de personnalité dans le style même de Moue, mais les designs sont tous bien reconnaissables et variés, les décors sont bien présents et immersifs, les découpages et cadrages sont toujours clairs... Le dessinateur vise l'efficacité, et sur ce plan-là c'est très convaincant.

C'est donc, comme espéré, un début facilement emballant que nous offrent les auteurs. Porté par des enjeux bien posés dès le départ, par une héroïne très vivante et pleine de caractère ainsi que par un début d'immersion réussi dans l'univers du rakugo, ce premier tome fait très bien son office en donnant facilement envie de découvrir la suite !



Chronique 1 :


Depuis son lancement dans le Shônen Jump en 2022, Akane-Banashi est un manga qui attire l’œil. Pour beaucoup, difficile de ne pas y voir une sorte de successeur spirituel à Act-Age, titre prometteur et à peine lancé chez nous quand il fut annulé suite à l'arrestation de son scénariste pour crimes sexuels sur mineurs. Le lien entre les deux œuvres provient certainement de l'orientation tranche de vie d'Akane-Banashi, et sa manière d'embrasser par le récit initiatique le monde de la comédie, bien que celle-ci soit ici illustrée par l'arc tout à fait différent qu'est celui du rakugo. Pour Ki-oon, qui lance chez nous le manga en grande pompe, à grand renfort de festivités haut de gamme telle qu'une soirée à l'Olympia, on peut y voir une sorte de revanche, et une volonté de faire briller un manga estampillé Jump bien différent des comédies romantiques ou récits d'action fantastiques.

Akane-Banashi voit le jour le 14 février 2002 dans la revue. L'histoire est écrite par Yûki Suenaga, un scénariste qui fait ses débuts, tandis que le dessin est assuré par Takamasa Moue, un mangaka actif depuis la deuxième moitié des années 2010, mais qui n'avait que de courts titres à son actif jusqu'à présent. Citons par exemple "Ole Golazo", une série aussi parue dans le Jump en 2016, mais stoppée avec son deuxième tome. Si on veut rester dans le registre de la revanche, Akane-Banashi en est une belle pour l'artiste, puisque le manga dénombre aujourd'hui 8 tomes, et est toujours en cours.

L'histoire d'Akane-Banashi est celle de désillusions, puis d'espoirs. Le monde du rakugo est sévère, et l'artiste Toru en a fait les frais. Aux yeux de sa fille, Akane, l'homme était un maître de son art, et pouvait aspirer au grade ultime : le shin'uchi. Mais le jour J, devant une assemblée qui se régale de sa prestation, Toru ainsi que l'ensemble des candidats sont disqualifiés et bannis de l'univers du rakugo par Issho Arakawa, grand maître du milieu. 6 ans plus tard, Akane est une adolescente qui a muri. Son rêve ? Marcher sur les traces de son père qui, en se retirant du rakugo, a embrassé une vie ordinaire et monotone. En se formant auprès de Shiguma Arakawa, l'ancien mentor de son père, Akane compte bien redorer son blason, telle une revanche. Et ça tombe à pic puisque, ayant observé son paternel durant son enfance et ayant reçu les conseils de maître Shiguma, le jeune femme semble déborder de talent ! Mais la route pour obtenir le grade de shin'uchi sera rude...

Les récits initiatiques ancrés dans le réel sont peut-être les plus intrigants, de par leur dimension crédible qui impose une sorte de barrière, contrairement aux mangas fantastiques et orientés action du même genre. Par cette dimension progressive dans un environnement qui nous est commun, des mangas comme Bakuman et tout simplement les mangas sportifs ont su trouver leur public. Avec ce premier tome, Akane-Banashi est à inclure dans cette catégorie d'œuvre qui, jouant sur un aspect culturel de notre société contemporaine, va présenter le parcours d'une héroïne prête à atteindre les sommets.

Un premier volume qui s'avère être une petite réussite, à presque tous les niveaux. De son premier chapitre prologue qui plante un événement surprenant et qui va marquer l'héroïne au fer des enjeux de l'histoire, en passant par le tempérament de celle-ci pour en faire une protagoniste attachante tout en croquant le monde du rakugo de manière à la fois fluide et dynamique, l'amorce de la série semble déjà prouver que l'alchimie entre Yûki Suenaga et Takamasa Moue est totale. Le scénario se révèle justement équilibré, dans ses événements comme dans la manière d'approcher le monde du rakugo, tandis que le récit est visuellement intelligent, dynamique et capable de représenter graphiquement le sujet principal.

Car pour un lecteur français non rodé à l'univers, la question de savoir ce qu'est le rakugo est primordiale. La subtilité de ce premier volume vient en partie de sa manière de faire comprendre ce qu'est cet art, tout en le rendant visuellement fort, afin que les jeux des personnages deviennent des facteurs de dynamisme dans le récit. C'est en ça que les mangaka se complètent à merveille : Le fil de l'intrigue nous fait comprendre la définition du rakugo, quelques-uns de ses codes et ses spécificités, tandis que le dessinateur joue de cet art de la comédie pour amener des planches particulièrement vives. Ceci couplé à une histoire pleine de promesses et garnie de personnages déjà attachants, et on obtient une entrée en matière tout à fait convaincante, en plus d'être prenante et de nous intriguer sur l'art du rakugo. Et parce qu'Akane-Banashi n'est pas le seul manga à aborder le sujet, on sera largement tentés de se pencher aussi sur l'œuvre "La rakugo à la vie, à la mort" de Haruko Kumota, dont l'approche s'avère différente.

De son côté, ce premier tome laisse à croire que les auteurs ont su porter le sujet sous la forme d'un shônen grand public. La série semble connaitre un joli succès au Japon, et on ne peut qu'espérer le même destin chez nous. L'obstacle majeur sera le sujet, assez dépaysant de prime abord, mais que Yûki Suenaga et Takamasa Moue savent rendre abordable. Ki-oon déploie des efforts colossaux pour permettre au manga de fédérer le lectorat d'entrée de jeu, aussi on croise les doigts pour que la démarche soit une réussite, notamment parce qu'elle s'inscrit aussi dans une démarche culturelle de présenter l'art du rakugo lors d'une soirée de présentation au public parisien. Nous sommes bien loin d'un simple déploiement sur la BNF, une démesure qui s'apparentait davantage à du gâchis financier, même s'il y a aussi une forme d'excès dans la soirée Akane-Banashi présentée à l'Olympia. Mais celle-ci semble davantage jouer la prise de risque, de par le sujet du présent manga. À voir si la sauce prendra, donc. En attendant, on se précipitera volontiers sur le deuxième tome, paru en simultanée !


Critique 2 : L'avis du chroniqueur
Koiwai

16 20
Critique 1 : L'avis du chroniqueur
Takato
16 20
Note de la rédaction
Note des lecteurs